Darragh McKeon – Tout ce qui est solide se dissout dans l’air

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Désigné par le magazine LIRE comme le meilleur premier roman étranger en 2015, Tout ce qui est solide se dissout dans l’air, de l’irlandais Darragh McKeon, a pour toile de fond la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en avril 1986. Qu’ils soient chirurgien, paysan, employé d’usine, les protagonistes du roman voient leur vie influencée par cet évènement majeur. A découvrir aujourd’hui sur le blog !

Le passé exige qu’on lui soit fidèle. Je me dis souvent que c’est la seule chose qui nous appartienne vraiment.

Le roman nous invite à suivre plusieurs personnages : il y a d’abord Grigori, un chirurgien talentueux qui s’investit pleinement dans son travail, le jeune Yevgueni, un pianiste prodige, sa tante Maria (l’ex-épouse de Grigori), ayant eu des activités contre le régime et désormais ouvrière d’usine, et puis le jeune Artiom et sa famille, des paysans résidant près de la centrale.

Artiom a 13 ans, et c’est aujourd’hui le premier jour de chasse auquel il a le droit de participer. Ce qui devait être un jour de fête s’achève dans la peur, quand les oies tombent littéralement du ciel :

Tous ressentent un malaise grandissant devant la vision absurde qui s’offre à eux. (…) Ils ont passé presque toute leur vie sur ce petit morceau de terre. Ils savent la marée des saisons, les dispositions de la nature, ses habitudes et ses humeurs. Ils voient dans les évènements bizarres de ce matin-là une rupture.

A travers sa famille, c’est le destin de nombre de ceux qui habitaient près de la centrale qui est esquissé : l’évacuation, la réquisition du père pour aller « nettoyer » la forêt (et les conséquences que vous pouvez imaginer), le refus d’être hébergé par leur propre famille de peur de la contamination.

J’ai retrouvé à la lecture des accents du livre de Svetlana Alexiévitch, La supplication, comme dans les passages suivants :

Mais bientôt la forêt est devenue rouge, les feuilles rutilaient. Youri se souvenait que le père d’Artiom en avait ramassé une en déclarant : « Mère Nature saigne. » Il y avait dedant des trous minuscules, commes si les chenilles étaient devenues folles.

Deux jours après l’accident, les militaires avaient planté un drapeau au-dessus du réacteur, symbole d’orgueil, d’endurance. Cinq jours plus tard, il était en lambeaux, rongé par l’air. Le jour suivant, un nouveau drapeau flottait au vent. Une semaine plus tard, un autre. Chacun évitait de regarder le drapeau. C’était trop perturbant.

Mais au-delà de la catastrophe, c’est un pays en déliquescence qui nous apparaît, où règnent les conditions difficiles de survie :

Le sucre a doublé en dix-huit mois. Le pain et le lait ont prix soixante pour cent, la viande soixante-dix. (…) Certains ouvriers parmi les plus âgés ont eu des malaises pendant leur service. (…) Chaque soir, dans le bus qui la ramène chez elle, elle remarque des paquets de cheveux tombés sur les vestes sombres.

On perçoit aussi la peur, la différence de traitement entre les personnes et bien sûr le manque de transparence enveloppant Tchernobyl. Grigori, en voulant prévenir les habitants du danger des radiations, s’y heurtera pleinement.

A travers des descriptions vivantes, précises, très imagées, Darragh McKeon nous offre des moments de lecture très forts qui nous font ressentir la souffrance des personnages. Je reste néanmoins un peu sur ma faim concernant certains protagonistes avec lesquels j’ai eu du mal à me lier. Au final, une lecture parfois très forte, mais un peu inégale, que je vous conseille néanmoins en :

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Tout ce qui est solide se dissous dans l’air de Darragh McKeon, traduit de l’anglais par Carine Chichereau. 10/18, 2017, 450 pages.

9 réflexions sur “Darragh McKeon – Tout ce qui est solide se dissout dans l’air

  1. dominiqueivredelivres 17 juillet 2017 / 10:08

    je crois que je ne me serais pas précipité sur ce livre mais ta référence à Svetlana Alexiévitch l’emporte
    j’ai donc ajouté ce bouquin à ma loooooongue liste de mes envies

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    • Patrice 25 juillet 2017 / 20:53

      Oh, que tu as de bonnes références !

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  2. luocine 19 juillet 2017 / 16:22

    contente de retrouver mon ordinateur et les blogs si tentateurs … mon téléphone « ne me dit pas tout! » en particulier il ne sait pas bien ouvrir les mails des blogs que j’aime.

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    • Patrice 25 juillet 2017 / 20:47

      Merci pour ton gentil message :-).

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  3. unfilalapage 19 juillet 2017 / 18:49

    Sujet intéressant qui pourrait me plaire ! Encore une belle découverte que tu nous proposes là 🙂

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    • Patrice 25 juillet 2017 / 20:42

      Merci ! Mais je te conseille surtout Svetlana Alexievitch.

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  4. Agnès 24 juillet 2017 / 13:51

    En lisant ton article je comprends le titre, à prendre au pied de la lettre à ce que je vois. Ca fait froid dans le dos.

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    • Patrice 25 juillet 2017 / 20:26

      Oui, c’est un épisode vraiment terrible de l’histoire et certains passages en rendent très biien compte.

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  5. Clara 1 août 2017 / 10:57

    Pas trop glauque ? En vacances, les livres trop « lourds » me dépriment assez. J’aime bien rester sur du plus léger … mais de bonne facture quand même ! (Expo 58 en ce moment, les Britanniques sont fantastiques pour ça) Sur le sujet de « Tout ce qui est solide … », j’avais vu un très beau film, « La terre outragée », mais je ne sais pas s’il est sorti partout …

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