Pavel Kohout – L’heure étoilée du meurtrier

Décidément, les Tchèques ont un lobby fort sur ce blog, on ne peut le nier ! Je vous présente donc aujourd’hui un autre auteur venu de ce pays : Pavel Kohout. Ecrivain, dramaturge et poète, né en 1928, il fait partie des personnages les plus connus sur la scène littéraire tchèque. J’aurais bien aimé de vous parler de « L’exécutrice » (chez Albin Michel), un roman dont l’héroïne fréquente un lycée pour les bourreaux – cette idée a permis à l’auteur de se pencher sur les pratiques des régimes totalitaires, sur la nature humaine et sa cruauté sous un autre angle, plutôt humoristique. Mais comme d’habitude, mes choix sont aussi influencés par la disponibilité des livres en français. Je vous propose donc de vous rendre à Prague, avec L’heure étoilée du meurtrier (chez folio).

* (si vous avez l’habitude de ne lire que le début de l’article, ne passez pas cette fois-ci à côté du petit sondage en bas de cette page !)

Comme le titre l’indique, il s ‘agit d’un policier. En effet, il y a un tueur de femmes, du genre sadique, qui rôde à Prague. Derrière cette histoire se cache beaucoup plus : un tableau vivant des dernières semaines de la Deuxième Guerre Mondiale en plein cœur de l’Europe. Les chapitres sont intitulés selon les mois, on sait donc précisément qu’on va revivre les journées chaotiques de février à mai 1945. Prague est alors sous occupation allemande (Protectorat de la Bohème et de la Moravie de 1939 à 1945).

La police criminelle se retrouve sur un terrain très délicat. La première victime est en effet une baronne allemande. S’il s’avérait qu’un tueur tchèque s’acharne sur des honnêtes citoyennes allemandes, la situation deviendrait très précaire. Tout le monde se rappelle des conséquences tragiques qu’a eu l’attentat sur Heydrich et on craint des représailles de la part des Allemands au cas où se cacherait derrière le meurtre un mobile politique.

L’affaire est confiée au jeune Jan Morava, son travail restant néanmoins supervisé par le chef de la police criminelle, le charismatique et expérimenté Beran. Les Allemands utilisent la nationalité de la première victime comme prétexte pour placer un agent au sein de la police. Erwin Buback, un Allemand de Prague, doit faire semblant de contrôler le travail des Tchèques tout en rassemblant les informations sur d’éventuels mouvements de résistance.

Je veux empêcher toute résistance éventuelle de l’intérieur. C’est là où j’ai besoin de vous, Buback. Nous savons tous les deux qu’ici, seule la police tchèque est capable d’une action organisée. Nous pourrions évidemment leur retirer ce qui leur reste d’armes légères, mais cela nuirait considérablement à l’ordre public ici. Ce serait à notre détriment. Et surtout, la plupart de ces quelques milliers de policiers sauraient toujours se battre et donner des ordres. Chaque individu est en mesure d’organiser une attaque contre une petite unité allemande. Il peut apprendre à des centaines de gens le maniement des armes. Il nous faudrait les rassembler, voire les abattre. Mais nous risquerions ainsi de provoquer un nouveau ghetto de Varsovie, une révolte de désespoir. C’est pourquoi, Buback, la baronne von Pommeren continuera à être le pied allemand qui bloque la porte tchèque et vous notre cheval de Troie. Gardez les yeux et les oreilles ouverts (…)

On prépare en effet l’ultime affrontement entre les Allemands et leur ennemis. La police tchèque se mobiliserait-elle secrètement ? Chaque information compte. Buback est un atout, car étant né à Prague, il parle couramment tchèque – un détail qu’il réussit à dissimuler.

La situation dans la capitale devient petit à petit chaotique, le comportement des uns et des autres imprévisible. Les Allemands voit leur défaite approcher et se retrouvent coincés à Prague face à des habitants qui s’affranchissent et veulent se venger de toutes les années de l’occupation. On ne sait même plus qui commande.

(…) Je vais l’appeler tout de suite. Alors, Heil… »

Silence. Puis un très net embarras.

« …Au fait, que dit-on depuis hier ? »

Et puis il y a la politique. Les résistants, le Conseil national tchèque, les communistes qui sentent déjà leur moment arrivé… Comment reprendre le pouvoir après tant d’années d’occupation ? Comment éviter les victimes ? Comment se repartir le pouvoir, comment se reconstruire ? Beaucoup retournent leur vestes, en voyant le vent tourner… Inactifs pendant des années ou alors même collaborant avec le régime, ils veulent se donner en vitesse une étiquette de résistant.

(…) On pouvait y lire les lettres RG : Garde révolutionnaire.

Curieux, pensa Morava, que ce soit justement Tetera, dit le bellâtre. Ses plus grands faits d’armes étaient ses exploits de coureur de jupons. Il faisait partie de ces hommes devant lesquels, durant des années, on avait veillé à tenir sa langue car ils ne lâchaient jamais la moindre critique contre l’occupant ! Morava avait pourtant remarqué la veille à la radio la rapidité avec laquelle des trouillards se métamorphosaient en fringant héros.

Et bien sûr, comment résoudre le sort des citoyens allemands installés à Prague ?

L’une des femmes tchèques, qui semblait à demi folle de douleur, fit un bond vers les gardes et se précipita sur une grande Allemande. Même humiliée, avec sa natte blonde, celle-ci ressemblait à l’idéal de beauté nazie qu’avaient montré durant des années les films et les affiches. Comme si elle voulait éliminer tout un peuple en s’en prenant à l’Allemande, la Tchèque lui planta ses ongles dans le visage et lui déchira la peau. La femme agressée se mit à hurler de douleur. Elle laissa tomber son gros sac et protégea ses joues de se deux mains. Les deux petites filles à côté d’elle se mirent à pleurnicher.

J’ai vraiment apprécié comment l’auteur a su restituer la complexité de la situation, la frustration de nombreuses personnes après les années d’oppression, l’incertitude sur ce que l’avenir apportera, ainsi que les différents caractères des gens, que ce soit dans le camp allemand ou tchèque.

Je suis alors désolée de pointer une chose qui m’a énormément gênée dans cette traduction française : le choix (de l’éditeur ou du traducteur ?) de retranscrire les noms personnels ou géographiques (n’ayant pas d’équivalent français) phonétiquement, de les adapter au lecteur français ! Ainsi, dans le livre qui parle de l’histoire tchèque, on voit la langue complètement martyrisée. Pour vous donner une idée : c’est comme si, dans un livre tchèque, on retranscrirait Jacques Chirac comme Žak Širak (comme si de rien n’était !) et Marseille devenait Marsej. Je n’ai jamais vu une telle pratique. Pourquoi ne pas opter pour des notes de traduction, ou alors un petit tableau avec quelques repères de prononciation ? Qu’est-ce que vous en pensez ? Je vous propose un petit sondage ! Comme exemple (tiré du livre), j’ai choisi le nom d’une ville slovaque.

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L’heure étoilée du meurtrier de Pavel Kohout, traduit de l’allemand par Isabelle Hausser. Folio, 2011, 544 pages.

Ce livre a été lu dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran.

9 réflexions sur “Pavel Kohout – L’heure étoilée du meurtrier

  1. Olivier 27 mars 2018 / 20:06

    Concernant les transcriptions phonétiques ce sont bien sûr des abominations. En plus, s’agissant d’un récit écrit, on se fiche bien de la prononciation.

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  2. Claude 28 mars 2018 / 06:37

    Bonjour, je suis complètement d’accord, je ne comprends pas que l’on fasse encore de telle traduction, les notes en bas de page ou en fin de livre sont quand même abordables, même dans un monde où tout doit tomber tout cuit dans la bouche des lecteurs !!!! Les gens lisent des livres de plus en plus faciles, où il y a de moins en moins à réfléchir, c’est triste et très dommageable pour la littérature. J’arrête là, c’est un petit sujet qui me fâche ;o)

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  3. luocine 28 mars 2018 / 07:51

    moment important pour ce pays je n’ai rien lu sur ce moment mais je suis allergique à la transcription des noms propres alors pas sûre que je lise ce roman.

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  4. Marilyne 28 mars 2018 / 09:16

    Je n’ai lu que ton dernier paragraphe, ce roman est dans mes piles. Je me réjouis que l’avis soit positif mais je suis soufflée par le délire de traduction que tu pointes !

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  5. dominiqueivredelivres 29 mars 2018 / 08:22

    joli échantillon de la littérature Tchèque, je note tout cela même si ma liste est longue comme un jour sans pain……

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  6. Goran 29 mars 2018 / 08:53

    Tu as raison, ces traductions, ou plutôt devrais-je dire transformations, sont horribles… Je ne comprend pas non plus.

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  7. Claudine Frey 29 mars 2018 / 12:50

    Les retournements de veste ont été très fréquents et pas seulement en Tchéquie !! Très beau titre pour un sujet bien sombre.

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