Angela Huth – Amour et désolation

HuthL’Angleterre rurale des années 90 sert de toile de fond au roman d’Angela Huth, Amour et désolation. L’amour est représenté par George et Lily dont on suit la relation qui semble tout d’abord improbable. La désolation, quant à elle, est incarnée par les scandales sanitaires, au premier rang desquels la « maladie de la vache folle ». Une époque noire pour l’agriculture anglaise que l’auteure a le mérite de dépeindre avec beaucoup d’acuité. 

George est un jeune avocat destiné à reprendre le cabinet co-dirigé par son père ; mais sa vraie passion reste l’agriculture. Il décide donc de revendre l’étude et de s’investir dans la ferme familiale, dominée par l’élevage de moutons et de vaches laitières. S’il avait déjà rencontré Lily pendant ses études, le souvenir qu’il en a s’est vite effacé ; il en est de même pour la jeune femme qui se décide pourtant un beau jour de lui rendre visite pour quelques jours. Ils décident de s’installer tous les deux sur l’exploitation isolée, dont les plus proches voisins sont Prodge et Nell, un frère et une sœur amis d’enfance de George.

Prodge finit de construire une bergerie de ses propres mains, George, même s’il est tout d’abord éreinté par le travail physique, a réellement trouvé sa voie ; il est épaulé par Lily, qui s’occupe de la maison, du jardin, mais aussi des voisins plus âgés. L’horizon s’obscurcit sur le plan personnel (je vous laisse découvrir pourquoi) mais aussi professionnel avec le spectre de la maladie de la vache folle. N’oublions pas l’embargo qui frappa la viande britannique à partir de 1996, qui fit drastiquement baisser le prix de la viande bovine. Toute la souffrance des éleveurs, qui va jusqu’au suicide, est évoquée avec justesse :

Au cours des deux années qui suivirent, quarante-sept mille fermiers d’Angleterre et du Pays de Galles cessèrent l’activité qu’ils avaient exercé toute leur vie. Ceux qui n’abandonnèrent pas la terre s’accrochaient pour survivre : leurs revenus, amputés de soixante-dix pour cent, connaissaient le plus bas niveau qu’on eût enregistré depuis trois générations. Beaucoup durent subsister avec deux mille livres par an. (…) Puis elle me fait remarquer qu’il y a plus malheureux que nous. Barry Fenton, par exemple, qui habite du côté de Dulverton : il vient de vendre son troupeau et s’est inscrit dans un cours de plomberie, tout comme voulait le faire le vieux Peter Friel. Ça veut dire qu’il ne gagnera pas un sou pendant trois ans et qu’à la fin il devra exercer un métier qu’il déteste parce qu’il a une famille à nourrir. Barry Fenton a cinquante-trois ans. Les Fenton possèdent leur ferme depuis trois générations. Barry a travaillé la terre toute sa vie. Son fils, qui devait hériter de l’exploitation, ne veut pas entendre parler de cet endroit. Il est parti tenter sa chance dans une société d’informatique à Bristol. « Pas question que je me tape la vie d’enfer que tu as eue, papa », qu’il a dit à Barry. Et on ne peut pas le lui reprocher, hein ?

Au-delà du calvaire subi par les éleveurs, ce sont les difficultés du monde rural en général qui transparaissent : les difficultés économiques bien sûr, la désertification, la remise en cause des traditions (chasse au renard), la charge administrative croissante, la fermeture des abattoirs, ou encore l’absence de soutien du gouvernement. Les griefs envers Bruxelles sont nombreux, et l’on ne peut s’empêcher de faire le lien avec cette Angleterre rurale qui votera pour le Brexit environ 20 ans plus tard. On sent que l’auteure s’est bien documentée, notamment quand elle évoque que le plaisir d’observer les bêtes se transforma peu à peu en l’anxiété de voir apparaître l’ESB (Encéphalite Spongiforme Bovine).

En mai, on calcula qu’en mettant les bêtes abattues bout à bout, on atteindrait une distance longue de 2900 kilomètres, c’est-à-dire, celle qui sépare Londres du Sahara. Le gouvernement avait fini par faire appel à l’armée. On racontait que des soldats se plaignaient d’avoir à achever des bêtes agonisantes en les assommant avec des clés anglaises ou en les noyant dans une rivière.

Vous le sentez sûrement, c’est au final avant tout l’arrière-plan de la crise de la vache folle qui constitue l’intérêt du roman ; combiné à des personnages attachants, même si leur histoire aurait pu être davantage creusée, cela m’a permis de passer quelques heures de lecture bien agréables. Je vous conseille donc découvrir ce livre en :

X l’achetant chez votre bouquiniste

X l’empruntant dans votre bibliothèque

lisant plutôt autre chose

Amour et désolation, d’Angela Huth, traduit de l’anglais par Lisa Rosenbaum. Folio, 2005, 416 pages.

Cette lecture s’inscrit dans le cadre du défi littéraire d’octobre de Madame lit, consacré à la littérature anglaise, ainsi que du challenge Voisins Voisines 2018.

voisinsvoisines2_2018

8 réflexions sur “Angela Huth – Amour et désolation

  1. luocine 14 octobre 2018 / 12:22

    jolie photo qui évoque bien la campagne . J’imagine bien les difficultés de la crise agricole en Grand Bretagne.

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    • Patrice 22 octobre 2018 / 20:11

      Merci. On a la chance d’avoir un paysage qui se prête à se genre de photo dans le nord de la Hollande. C’était en effet une période vraiment difficile pour les éleveurs. Je l’ai vécu de près (mais en France, c’est déjà une grande différence) dans la ferme familiale, et l’anxiété était vraiment présente. Certains ont vu leur troupeau abattu, et on peut imaginer la crise que cela représentait…

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  2. zarline 14 octobre 2018 / 14:56

    Difficile à croire que cela fait plus de 20 ans… Juste de repenser à ces images, ça me donne des frissons. Mais ton billet me donne assez envie de lire ce roman sur un thème finalement peu traité en littérature.

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    • Patrice 22 octobre 2018 / 20:08

      Et oui, le temps passe très vite. Cela faisait un petit moment que je cherchais un titre sur ce thème aussi. De mémoire, je crois que François Busnel, dans son voyage en Angleterre fait il y a 2 ou 3 ans, mentionnait aussi un auteur qui traitait de la ruralité et de ce thème. Il me faut absolument retrouver le nom de cet auteur.

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  3. Madame lit 14 octobre 2018 / 21:19

    Titre noté pour le défi! Je crois que j’aurais le coeur trop sensible pour lire ce roman.Les images de ces bêtes tuées me hanteraient…

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    • Patrice 22 octobre 2018 / 20:06

      J’ai peut-être choisi des extraits un peu trop ciblés sur l’ESB, mais il y a beaucoup d’autres choses moins terrifiantes dans ce livre.

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