Romain Slocombe – Monsieur le Commandant

Slocombe

1942. L’écrivain renommé et académicien Paul-Jean Husson écrit une lettre à l’attention du « Sturmbannführer Schöllenhammer » de la Kommandantur d’Andigny dans l’Eure. Le but de cette lettre ? Une dénonciation… Mais pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de la belle-fille de l’écrivain. Dans Monsieur le Commandant, Romain Slocombe imagine le contenu de cette lettre, nous faisant revivre le contexte de cette période de l’Histoire mais surtout en nous immisçant dans les pensées de l’écrivain. Un livre glaçant !

Monsieur le Commandant fut l’un des succès de la rentrée littéraire 2011 et fut nominé pour le Goncourt de cette même année. A la lecture de ce livre, je ne peux que comprendre cet engouement.

Cette longue lettre de dénonciation, découpée en chapitres, dévoile assez rapidement sa cible. Elle s’appelle Ilse, elle est allemande ; et notre écrivain en est follement amoureux… mais elle est en même temps sa belle-fille.

Il serait assez maladroit d’en dévoiler plus sur les raisons qui vont pousser Paul-Jean Husson à écrire cette lettre. Disons simplement que le lecteur se fait rapidement une idée sur la question, mais force est de constater que le récit, gagnant en intensité au fur et à mesure des pages, réserve des surprises et, comme je le signalais dans l’introduction, glace le sang.

En complément de l’histoire, il convient de dire que ce livre est très bien écrit et qu’il est un témoignage réussi de l’état d’esprit de l’époque. Husson est un antisémite affirmé et l’un des partisans du régime de Vichy. Il parle de youpins, de juiverie, de la déliquescence morale de la fin de la IIIème République. La haine anti-juive suinte à travers les lignes, comme l’illustrent ces quelques lignes :

Mais il nous faut bien constater, nous Français – comme vous-même l’avez fait dans votre pays, avant d’en tirer les conclusions nécessaires -, que, parallèlement au libéralisme et à ses conséquences, au capitalisme égoïste et au marxisme révolutionnaire assassin, il y a, encore et toujours, les Juifs ! C’est eux que l’on retrouve dans toutes les forces dissociantes, où ils s’entendent à merveille pour ronger, maille à maille, le réseau de nos traditions.

La lettre est aussi l’occasion de raconter des événements qui se sont déroulés pendant de longues années. Les pages dédiées à la débâcle de 1940 sont également stupéfiantes…

Le spectacle atroce de la défaite était partout. Les bas-côtés de la route débordaient de véhicules délaissés, carrosseries défoncées, vitres étoilées, ferrailles désossées dont on avait récupéré les roues, les moteurs, tout ce qui pouvait servir. Certaines autos gardaient la trace de mitraillages par l’aviation allemande, petits trous oblongs à travers le toit, et leurs sièges et banquettes portaient de larges flaques brunes de sang séché. Au bord de la route nous vîmes souvent des petits tertres de terre fraîchement retournée, surmontés d’une tragique croix de branches, assemblée à la va-vite. Objets divers, bibelots, jouets d’enfant, cartons, valises, papiers détrempés, chiffons et vêtements déchirés jonchaient le sol, entre les charrettes aux essieux ou aux brancards brisés, les ambulances roussies par les flammes, les chevaux morts dont on avait prélevé de larges quartiers de viande, laissant le blanc des côtés à nu, les débris de motos en panne avec leur side-car, les cadres de vélos sans roues, les poussettes renversées, les remorques vidées, les pneus brûlés, les roulantes abandonnées…

… mais ne sont pas les seules. On redécouvre des faits, comme la réinspection des conditions d’octroi de la nationalité (entre 1927 et 1940) qui concernait 900.000 personnes.

Au final, c’est un sentiment d’écœurement qui ressort : qu’il s’agisse du comportement répugnants de policiers qui le devinrent à la faveur de l’arrivée de Vichy, ou bien plus encore de celui de l’écrivain et de ses motivations pour effectuer cette dénonciation. Une plongée dans l’âme humaine dans tout ce qu’elle a d’obscur.

Je vous conseille donc au final de :

X l’acheter chez votre libraire ou bouquiniste 

l’emprunter dans votre bibliothèque

lire plutôt autre chose

Monsieur le Commandant, de Romain Slocombe. Editions Pocket, 2013, 239 pages.

8 réflexions sur “Romain Slocombe – Monsieur le Commandant

  1. La Barmaid aux Lettres 13 janvier 2019 / 11:17

    Je l’avais lu il y a quelques années. Je n’y pensais plus mais il est vrai que ton billet m’y a ramené et oui, il était poignant. Dérangeant par le personnage qu’on n’imagine plus mais extrêmement intéressant pour les raisons que tu as citées.

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  2. mjo 13 janvier 2019 / 12:07

    Style académique, suspens incroyable, l’histoire d’un beau salopard. Terrifiant de bout en bout !

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    • Patrice 19 janvier 2019 / 22:19

      Très bon résumé, Marie-Jo. C’est exactement ça!

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  3. Agnès 13 janvier 2019 / 18:42

    Du même auteur j’ai lu récemment L’affaire Léon Sadorski qui m’a un peu déçue, mais très bien documenté également. Je reviendrai peut-être vers Romain Slocombe avec Monsieur le Commandant. C’est un vrai personnage ce Husson?

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    • Patrice 19 janvier 2019 / 22:21

      Oui, je l’avais vu récemment sur ton blog. Je pense que ce livre pourrait te plaire. C’est un personnage inventé mais je pense qu’il a pu trouver des sources d’inspiration assez aisément.

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  4. Madame lit 14 janvier 2019 / 23:10

    Je ne connaissais pas…ce livre m’apparaît vraiment sombre et déroutant…

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