Jean-Dominique Brierre – Milan Kundera, Une vie d’écrivain

Kundera.JPGAujourd’hui, 1er avril 2019, Milan Kundera fête ses 90 ans. Joyeux Anniversaire ! Pour célébrer ce dernier comme il se doit, je vous propose de parcourir ensemble la biographie que vient de lui consacrer Jean-Dominique Brierre dans Milan Kundera, Une vie d’écrivain. L’occasion de redécouvrir le riche parcours de celui qui quitta sa Tchécoslovaquie natale pour la France en 1975, la genèse de son œuvre, mais aussi une partie de l’histoire de l’Europe centrale de 1948 à 1968.

Milan Kundera naît donc le 1er avril 1929 à Brno, en Moravie, province de l’actuelle République Tchèque à laquelle il était très attaché. On apprend que son père était musicien et, faisant partie des légions tchécoslovaques, dont il fonda et dirigea leur orchestre. Cette influence de la musique se fera sentir dans l’œuvre de l’écrivain, qui adoptera des structures comme la construction en 7 parties dans plusieurs de ses romans.

Agé de 19 ans en 1948, l’année de la prise de pouvoir des communistes, il était adhérent au Parti Communiste dont il fut néanmoins exclu à 20 ans. On retrouve là clairement un parallèle avec Ludvik, le personnage principal de son roman La Plaisanterie (une de mes lectures préférées !). Il dut quitter également l’Université avant d’étudier à la Faculté de cinéma puis d’en devenir enseignant. Ce n’est qu’en 1956 qu’il sera réintégré au PC tchécoslovaque.

Du côté de l’écriture, il s’oriente d’abord vers la poésie avant de délaisser ce style. Faisant cela, il rejette ainsi le lyrisme de ses débuts, duquel il se méfie fortement. Voici un point intéressant : Kundera pense avoir été dupé par l’illusion du communisme, il se méfie désormais des élans lyriques de la jeunesse, qui selon lui contiennent les germes du totalitarisme. Son premier recueil de nouvelles, Risibles Amours, marque ce revirement et lui vaudra un énorme succès en Tchécoslovaquie :

Livre inaugural, Risibles Amours contient la plupart des thèmes qui seront développés dans l’œuvre ultérieure du romancier : l’illusion lyrique propre à la jeunesse, la dialectique entre lourdeur et légèreté, entre vie publique et vie privée, l’identité et le problème de l’être, la tragi-comédie des destins humains, le corps et la nudité des femmes, le caractère mimétique du désir, le ridicule de certains situations sexuelles. (…) Dès sa première fiction, par l’adoption de la « perspective ironique », Kundera fait voler en éclates l’esprit de sérieux inhérent à toute représentation purement politique du monde, qu’elle soit stalinienne, gauchiste ou libérale.

Un autre grand succès de l’auteur sera La Plaisanterie, qui sortit en 1967 en Tchécoslovaquie. Son succès sera également très important en France, mais où les lecteurs ont voulu y voir surtout une critique du régime, alors que ce n’était pas l’ambition de Kundera : « C’est un roman sur la fragilité des valeurs humaines, et non pas un roman qui voudrait dénoncer un régime politique. L’ambition d’un romancier, c’est un peu plus que viser un régime politique éphémère. », dira-t-il à cet égard.

A travers les témoignages de Kundera lui-même, mais aussi de ses amis, comme Philip Roth ou Alain Finkielkraut, de son traducteur François Kérel, Jean-Dominique Brierre nous offre une vision de la complexité de l’écrivain et des clés de lecture de son œuvre :

« A l’abstraction des idées philosophiques, Kundera oppose le personnage de roman, détenteur d’une part de vérité relative. (…) D’après Kundera, tout roman, depuis que le roman existe, poursuit un but unique : résoudre « l’énigme du moi ». (…) Le réel ne prend corps et forme in fine qu’à travers la perception, par définition subjective, qu’en a chacun. » (…) « Dans La Plaisanterie, unique roman de Kundera écrit à la première personne du singulier, chacun des quatre personnages, parlant en son nom propre, exprime un point de vue différent soit sur un événement précis, soit sur une personne qu’il a connue, ou plus largement sur le contexte politique de l’époque. La force du roman kundérien est de présenter divers points de vue, des hypothèses antinomiques, sans en privilégier aucun ou aucune. »

De plus, comme je l’ai mentionné dans l’introduction, cette biographie laisse une part importante au contexte historique. Le printemps de Prague, auquel Kundera a participé, y est ainsi analysé par ce dernier (et je trouve cela très pertinent) :

Il me semble qu’en Bohême l’Histoire a effectué une expérimentation inédite. Là-bas, ce n’est pas, selon les vieilles recettes, un groupe d’hommes (une classe, un peuple) qui s’est dressé contre un autre, mais des hommes (une génération d’hommes et de femmes) qui se sont soulevés contre leur propre jeunesse. Ils s’efforçaient de rattraper et de dompter leur propre action, et pour peu, ils allaient réussir. Dans les années 1960, ils gagnaient de plus en plus d’influence et au début de 1968 leur influence était presque sans partage. 

Il reste beaucoup de choses à dire de ce livre, et je m’aperçois que je couvre très peu la période française de l’écrivain, mais aussi ses références littéraires, son mode de vie assez secret… N’hésitez donc pas à lire ce titre dont l’un des atouts majeurs est qu’il incite à lire l’œuvre de Kundera. Sur ma pile, j’ai ainsi rajouté Risibles Amours, L’insoutenable légèreté de l’être, mais aussi La vie est ailleurs !

Je vous conseille donc :

X d’acheter ce livre chez votre libraire ou bouquiniste

X de l’emprunter dans votre bibliothèque 

de lire autre chose

Milan Kundera – Une vie d’écrivain, de Jean-Dominique Brierre. Ecriture, 2019, 336 pages.

 

17 réflexions sur “Jean-Dominique Brierre – Milan Kundera, Une vie d’écrivain

  1. laboucheaoreille 1 avril 2019 / 10:40

    Très belle chronique ! N’ayant lu que quatre ou cinq livres de Kundera, j’aimerais beaucoup lire son oeuvre complète et pourquoi pas cette biographie.

    J’aime

    • Patrice 18 avril 2019 / 21:03

      Je te la conseille, elle permet de bien cerner l’auteur, le tout dans le contexte de la Tchécoslovaquie d’après-guerre (très bien décrit). Quatre ou cinq livres de Kundera, ce n’est déjà pas si mal !

  2. luocine 1 avril 2019 / 10:50

    J’ai tant aimé cet auteur, je l’ai lu et relu et cette biographie me tente mais j’avoue que je suis étonnée que cette biographie soit rédigée de son vivant.p

    J’aime

    • Patrice 18 avril 2019 / 21:01

      Oui, mais c’est une sorte d’hommage peut-être. Dans le même esprit, il a aussi été publié dans La Pléiade son vivant.

      J’aime

  3. Eve-Yeshé 1 avril 2019 / 14:23

    belle chronique, ce livre me tente. Je n’ai lu que « L’insoutenable légèreté de l’être » que j’ai beaucoup aimé,et j’en ai plusieurs dans ma PAL 🙂

    J’aime

    • Patrice 18 avril 2019 / 21:00

      Si je peux me permettre, je te conseille vivement « La Plaisanterie » !

      Aimé par 1 personne

  4. Claudine Frey 1 avril 2019 / 15:58

    Je sais qu’en France, il a été horrifié par les traductions françaises de son oeuvre (je crois qu’il leur reprochait d’être trop lyriques ! ?) et il les a traduites lui-même par la suite.

    J’aime

    • Patrice 18 avril 2019 / 20:59

      Exactement, notamment « La Plaisanterie ». C’est un des aspects évoqués dans le livre.

      J’aime

  5. Ingannmic 1 avril 2019 / 21:02

    Ça m’intéresse, j’adore cet auteur dont j’ai dévoré les romans lors de mes années lycée.. il me reste néanmoins pas mal de ses titres à découvrir, heureusement, et il faudrait aussi que j’en relise certains, dont je n’ai pas gardé de souvenir… même si je sais que j’ai tout aimé !

    J’aime

    • Patrice 18 avril 2019 / 20:58

      J’ai eu envie de lire tous ses titres après avoir découvert la biographie 🙂

      J’aime

  6. Marilyne 2 avril 2019 / 09:17

    Je n’ai pas vu passer cette biographie, merci pour ce billet. La lecture de  » L’insoutenable légèreté de l’être  » avait été un choc, j’étais jeune, j’ai eu l’impression  » d’entrer en littérature « . Sur ma pile  » Les testaments trahis « .

    J’aime

    • Patrice 18 avril 2019 / 20:56

      Il me faut absolument relire « L’insoutenable légèreté de l’être ». Je suis passé à côté (pas le bon moment) ; merci pour ce bon conseil. Et au plaisir de lire le billet sur « Les testaments trahis » !

      J’aime

  7. Tania 5 avril 2019 / 10:31

    Ses livres sont dans ma bibliothèque, « La plaisanterie » est un chef-d’oeuvre. Mais je me rends compte que je ne savais pas grand-chose de sa vie.

    Aimé par 1 personne

    • Patrice 18 avril 2019 / 20:47

      Je ne peux que m’associer à ton propos sur « La plaisanterie ». Cette biographie donne non seulement une vision de sa vie, mais surtout l’envie de découvrir d’autres titres de Kundera, et c’est bien là l’essentiel.

      J’aime

  8. Madame lit 12 avril 2019 / 19:25

    J’adore cet écrivain… Lors de mes études littéraires à L’Université Laval située dans la ville de Québec, j’ai appris qu’il avait postulé à un poste, mais que sa candidature n’avait pas été retenue… C’était avant ses succès littéraires. Merci pour cette présentation! Elle me donne envie!

    J’aime

    • Patrice 18 avril 2019 / 20:39

      Je suis heureux que cette biographie t’ait donné envie, c’est une bonne nouvelle. Finalement, on a eu beaucoup de chance qu’il « atterrisse » en France 🙂

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.