Ernest Callenbach – Ecotopia

CallenbachEcotopia est un livre écrit en 1975 par Ernest Callenbach, le rédacteur en chef d’une célèbre revue de cinéma, et récemment republié en France par les éditions Rue de l’échiquier. Son thème ? Comment vit-on en Ecotopia, un pays qui a décidé de mettre l’écologie au cœur de ses principes? A l’heure où l’on parle de plus en plus de la nécessité d’un développement soutenable, ce livre, pourtant paru il y a plus de quarante ans, reste d’une grande actualité.

Vingt ans après la sécession de plusieurs Etats américains (l’Oregon, une part de la Californie et l’état de Washington) pour créer un nouvel Etat basé sur l’écologie, le journaliste new-yorkais William Weston est autorisé à rentrer en Ecotopia, pour enquêter sur ce nouveau pays.

Les notes prises par Weston et les articles qu’il rédige pour le Times-post constituent le récit. Le carnet de bord personnel du journaliste a le mérite de montrer le changement progressif de William Weston vis-à-vis de la société écotopienne (d’abord ironique, il est peu à peu acquis aux principes du nouvel système) ; ce carnet devient de plus en plus différent de la version plus policée qu’il destine aux lecteurs américains.

Qu’est-ce que ce nouvel Etat et quels sont ses principes ? Au fil des pages, le lecteur découvre l’ensemble des mesures qui ont été mises en place depuis 1974, l’année de la sécession. Le recours aux transports en commun et vélos gratuits, le recyclage, la végétalisation des villes, la semaines de vingt heures, la production d’énergies renouvelables avec un fort accent sur le côté local… Un fonctionnement en rupture avec la pratique du voisin Etats-Unien :

Ce qui était en jeu, soutiennent les Ecotopiens avisés, n’était rien de moins que l’abrogation de l’éthique protestante du travail sur laquelle l’Amérique a été bâtie. (…) Le produit national brut chuta de plus de trente pour cent. Mais les effets les plus notables de cette semaine de travail réduite à vingt heures furent d’ordre philosophique et écologique : l’homme, affirmaient les Ecotopiens, n’est pas fait pour la production, contrairement à ce qu’on avait cru au XIXe siècle et au début du XXe. L’homme est fait pour s’insérer modestement dans un réseau continu et stable d’organismes vivants, en modifiant le moins possible les équilibres de ce biotope.

A lire ces lignes, on est quelque peu stupéfait car on se dit que les solutions qui sont prônées aujourd’hui pour freiner le réchauffement climatique sont toujours les mêmes qu’évoquées il y a plusieurs dizaines d’années. Cela peut paraître exaspérant. On y parle par exemple d’ « une économie domestique fondée sur l’état d’équilibre : tous les déchets alimentaires, les eaux usées et les ordures devaient être transformés en engrais organiques destinés aux terres cultivables, où ils entreraient à nouveau dans le cycle de production. » Du bon sens en fait…

Je serais tenté de vous livrer pêle-mêle quelques extraits illustrant les choix faits par le jeune pays, mais attardons-nous sur un des points clés, qui est de relier l’homme à son environnement. Voilà ce que cela peut vouloir dire :

L’industrie du bois inclut ici une pratique qui doit apparaître très barbare à ses malheureux clients : tout individu ou tout groupe souhaitant construire une charpente doit d’abord rejoindre et séjourner dans un camp au milieu de la forêt pour y accomplir son « service forestier » : il s’agit d’une période de travail durant laquelle ils doivent en théorie contribuer à la croissance de nouveaux arbres pour remplacer le bois qu’ils vont consommer.

Ou encore celle qui vise à limiter l’obsolescence programmée :

J’ai néanmoins remarqué que les Ecotopiens réparent bel et bien leurs objets personnels. En fait, il n’y pas de magasin de réparation dans les rues. Curieux corollaire, les garanties sont ici inexistantes. Les gens trouvent normal que les produits manufacturés soient costauds, durables et réparables – moyennement quoi ils sont aussi frustes, comparés aux nôtres. Cette petite révolution n’a pas été facile : j’ai entendu maintes anecdotes comiques sur des objets au design ridicule produits juste après l’Indépendance, les procès intentés à leurs fabricants et autres tribulations. Une loi impose aujourd’hui de soumettre tous les prototypes de nouveaux objets à un jury de dix citoyens ordinaires (on n’utilise pas le terme de « consommateur » dans une conversation polie). L’autorisation de fabriquer est seulement accordés si tous les jurés peuvent réparer les pannes probables avec des outils de base.

Est-ce pour autant une société utopique et harmonieuse ? Non, les diverses personnages du livre l’avouent, des défis sont toujours à relever. De plus, c’est une société qui tend à se fragmenter, et des jeux de guerre rituels sont même inventés pour canaliser l’agressivité et le besoin de compétition. Ce que je trouve intéressant, c’est que le progrès technique reste présent (l’usage de la visioconférence est très largement répandu), mais il est jugé et développé seulement s’il apporte une valeur ajoutée environnementale.

L’intrigue retranscrite essentiellement dans les carnets personnels du journaliste est d’un intérêt relatif. Il tombe amoureux d’une écotopienne et se trouve peu à peu intégré à cette société. Le principal atout du livre reste cette vision d’un monde qu’on souhaite durable et les impact sur la société ; elle prévaut également sur les qualités littéraires du livre au sens strict.

Au final, je vous conseille donc de :

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lire autre chose

Ecotopia, de Ernest Callenbach, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent. Rue de l’échiquier fiction, 2018, 303 pages.

D’autres avis sur Touchez mon blog, Monseigneur… / Le fil d’Ariane

 

8 réflexions sur “Ernest Callenbach – Ecotopia

  1. luocine 16 février 2020 / 10:49

    Pour une fois je n’ai pas eu envie de lire ce livre malgré ce billet pourtant élogieux.

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    • Patrice 20 février 2020 / 07:28

      J’ai trouvé les thèmes soulevés par le livre vraiment pertinents, mais la qualité littéraire m’a manqué, pour être honnête.

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  2. laboucheaoreille 16 février 2020 / 15:48

    Moi non plus, pas très tentée par l’écologie en littérature … l’intrigue a l’air un peu convenue malgré un sujet sans doute très actuel.

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    • Patrice 20 février 2020 / 07:28

      Je pense qu’on peut trouver de meilleurs titres sur l’écologie en littérature, je n’abandonne pas 🙂

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  3. Goran 16 février 2020 / 19:34

    J’en avais entendu parler, mais j’avais déjà passé mon tour…

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    • Patrice 20 février 2020 / 07:30

      Je pense que tu as des choses plus intéressantes à partager sur ton blog que ce titre.

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  4. Valentyne 10 avril 2020 / 17:15

    Ce livre m’intéresse (je pensais l’offrir a ma fille de 18ans – passionnée d’écologie…)
    Du coup j’hésite …

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    • Patrice 13 avril 2020 / 06:24

      Très franchement, il est intéressant dans la mesure où il montre la clairvoyance de l’auteur mais aussi qu’une grande partie de la vision qu’on pouvait avoir en 1975 est toujours valide. Pour le reste, je ne pense pas forcément que ce serait ce que je conseillerais spontanément. Il y a des livres teintées d’écologie qui sont beaucoup mieux (j’attends par exemple beaucoup de « Brut » de Dalibor Frioux).

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