Karel Čapek – Voyage vers le Nord

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Après avoir chroniqué L’année du jardinier de Karel Čapek, je m’étais promis de découvrir un autre titre de cet auteur tchèque majeur du XXème siècle. Je jetais donc mon dévolu sur un récit de voyage rédigé peu avant la Seconde Guerre Mondiale et le décès de l’écrivain, Voyage vers le Nord.

Croyez-moi, le monde est beau.

Le voyage vers le Nord conduit Karel Čapek vers le Danemark, la Suède puis les fjords de Norvège. Il effectue ce voyage seul, et même s’il nous gratifie de quelques rencontres plaisantes, c’est bel et bien la nature et les paysages traversés qui font office de personnage principal du roman et auxquels l’auteur n’hésite pas à s’adresser directement.

Il effectue d’abord un bref passage au Danemark, un pays propère où il fait bon vivre et où les gens se font confiance, décrite (comme toujours) avec le sens de la formule :

Rien à dire, c’est un tout petit pays, quoi qu’il compte plus de cinq cents îles ; c’est une petite tranche de pain, mais bien beurrée. Loués soient ces troupeaux, ces granges, ces pis gonflés, ces clochers émergeant de la cime des arbres, ces ailes de moulins qui tournent dans une brise fraîche…

N’oublions pas que ce voyage fut effectué en 1936, et Čapek est conscient de la montée de périls. Rédigeant dès 1924 une critique du communisme, il dénonce également le national-socialisme. Les nazis avaient d’ailleurs couché son nom sur la liste des personnes prioritaires pour la déportation après l’invasion de la Tchécoslovaquie. Sa mort prématurée en 1938 lui a évité cette ultime épreuve. Ainsi, dans ce livre, on trouve quelques allusions à la période troublée traversée par l’Europe :

Stockholm est une ville animée, avenante et qui arbore fièrement sa richesse : on y trouve une foule de rois en bronze, de cyclistes, de jolies jeunes filles tout en jambes et de gaillards à la taille quasi-surnaturelle pour la plupart ; bien qu’il s’agisse d’un race parfaite, personne, ici n’a développé de théorie raciale.

Au fur et à mesure du récit, en concluant son périple et après avoir observé des gens évoluant dans une nature hostile, il perçoit le péril qui monte et la futilité des luttes en cours :

Un jour, les hommes comprendront qu’aucune victoire n’en vaut la peine ; et, s’il leur faut vraiment des héros, ils pourraient élire ce petit docteur de Hammerfest qui va d’île en île sur son canot à moteur dans la nuit polaire, là où une femme est en train d’accoucher et un enfant de pleurer. Les tambours de la guerre dussent-ils cesser de battre un jour, il y aura toujours bien assez de place pour les hommes courageux et entiers.

Néanmoins, ces quelques lignes ne doivent pas vous détromper sur la nature première de cet ouvrage ; il s’agit d’un récit de voyage où l’on voit défiler devant nous des montagnes, des glaciers, des lacs… le tout servi par un langage très poétique, très imagé. Une lecture qui nécessite une présence de la part du lecteur, une certaine lenteur pour bien savourer. Ajoutons-y un sens de l’humour très développé (ce qui est très tchèque !), illustré ci-dessous par la façon dont il décrit un groupe appartenant à une congrégation chrétienne, ayant pris place sur le même bateau que lui :

Ils pratiquent avec ferveur l’amour du prochain et s’exercent notamment sur les gens souffrant du mal de mer, les chiens, les jeunes mariés, les enfants, les marins, les autochtones, et les étrangers, en les accostant et en les encourageant, en les apostrophant chaudement, en les saluant, en leur souriant et, d’une façon générale, en les accablant de toutes sortes de prévenances ; ainsi, il ne nous restait plus qu’à nous barricader dans nos cabines pour y balsphémer tout bas, avec acharnement. Que le Dieu de miséricorde prenne nos âmes en pitié !

Enfin, si L’année du jardinier était richement illustrée par son frère Josef, c’est Karel lui-même qui nous gratifie ici de très jolis croquis des paysages rencontrés.

Il m’a manqué peut-être dans ce livre une partie du charme que j’avais tant apprécié dans L’année du jardinier. Je vous conseille néanmoins d’aller découvrir ce livre en :

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lisant autre chose

Voyage vers le Nord, de Karel Čapek, traduit du tchèque par Benoît Meunier et préfacé par Cees Nooteboom. Les éditions du sonneur, 2010, 287 pages.

Ce livre a été lu dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran,

Si vous souhaitez entreprendre un autre voyage avec l’auteur, je vous recommande vivement le billet que Passage à l’Est! avait consacré aux Lettres d’Angleterre.

19 réflexions sur “Karel Čapek – Voyage vers le Nord

  1. Goran 12 mars 2020 / 15:01

    Pour rester dans l’actualité, du même auteur (que j’aime beaucoup), je conseille le titre suivant : La maladie blanche.

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    • Patrice 12 mars 2020 / 22:24

      Ah, ça, encore une sacrée recommendation de ta part. Je pensais lire « La guerre des salamandres » prochainement, mais ce titre, que je ne connaissais pas, a l’air vraiment passionnant. Merci Goran !

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      • Goran 13 mars 2020 / 08:08

        La guerre des salamandres, j’avais adoré, c’est sans doute mon préféré de l’écrivain…

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      • Patrice 15 mars 2020 / 16:50

        Je pense le chroniquer en mars 2021 🙂

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  2. laboucheaoreille 12 mars 2020 / 15:38

    Je n’ai jamais lu cet écrivain mais j’en ai entendu dire beaucoup de bien. Pas de doute que je le lirai un jour, mais je ne commencerai pas par ses récits de voyage (ce n’est pas un genre dont je raffole, sauf chez Nicolas Bouvier …).

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    • Patrice 12 mars 2020 / 22:25

      Tu peux suivre le conseil avisé de Goran ou encore choisir « La guerre des salamandres », un classique de Capek !

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  3. Eve-Yeshé 12 mars 2020 / 18:13

    je ne l’ai jamais lu non plus et je ne sais même pas si la bibliothèque propose ses romans … Je note celui-ci (probablement pour le mois de l’Est de 2021 car je découvre beaucoup d’auteurs c’est stimulant 🙂

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    • Patrice 12 mars 2020 / 22:30

      Je pense que si, car on a la chance d’avoir un certain nombre de livres traduits en français Tu peux déjà commencer la lecture pour 2021 🙂

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  4. Ingrid 14 mars 2020 / 10:27

    Bon, je note plutôt La guerre des salamandres et L’année du jardinier, je ne connais pas cet auteur, sauf de nom..
    Ingannmic

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    • Patrice 15 mars 2020 / 16:51

      N’oublie pas La maladie blanche, mise en avant par Goran. Eva me disait que c’était un classique de Capek.

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  5. Passage à l'Est! 14 mars 2020 / 22:52

    Je retrouve le Capek des Lettres d’Angleterre et son humour, surtout pour décrire les gens et leurs traits de caractère parfois bizarres! Merci pour le lien.

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  6. lcath 21 mars 2020 / 09:33

    Pas facile les récits de voyage… je découvre le genre il y en a qui séduisent et d’autres …

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  7. luocine 25 mars 2020 / 17:21

    j’ai très envie de découvrir cet auteur merci de l’avoir présenté

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