Budaï est un linguiste qui doit se rendre à Helsinki pour participer à une conférence. Éreinté, il s’endort dans l’avion et se retrouve après l’atterrissage dans un bus qui le conduit vers un hôtel. Le seul bémol ? Au lieu de la Norvège et d’Helsinki, il se retrouve dans un pays et une ville complètement inconnus, au langage incompréhensible. Un comble pour un linguiste ! Épépé de Ferenc Karinthy nous fait suivre les pérégrinations de Budaï dans cet univers inconnu.
Quel désarroi que celui de Budaï ! Après une longue attente à la réception de l’hôtel où il doit laisser ses papiers d’identité, il doit faire preuve d’autant de patience pour attendre l’ascenseur surpeuplé qui doit le conduire à sa chambre. Partout, les files d’attente sont interminables… et la langue inintelligible. Le premier réflexe de Budaï est bien sûr de retourner à l’aéroport pour repartir chez lui et enfin rejoindre le congrès auquel il est invité. Mais ses tentatives restent vaines.
Et s’il n’y a pas le moindre doute que le malentendu qui l’a conduit ici va tôt ou tard se dissiper, et qu’à ce moment-là il pourra immédiatement poursuivre son voyage vers bon but, il se sent à cet instant passablement désemparé : sans amis, sans connaissances et même sans documents, et apparemment complètement abandonné dans une ville absolument inconnue dont il ignore jusqu’au nom, où il ne peut communiquer avec personne, lui, rompu à tant de langues ; tout au moins il n’a pas trouvé jusqu’à présent un seul être avec qui échanger deux mots dans cet inextricable fouillis envahissant de peuple en perpétuel mouvement et perpétuellement accéléré.
Après cette phase de rébellion, qui le fera même conduire à l’incarcération, Budaï essaie de comprendre et de se débrouiller. Les pages dédiées au décryptage de la langue nous font d’ailleurs rappeler que l’auteur lui-même était linguiste !
Ce qui rend son affaire très difficile c’est le fait qu’il n’y ait aucun signe dont il connaisse la lecture, il n’a pas le moindre point d’appui, avec quel système d’écriture pourrait-il comparer celui d’ici ? Il n’a bien sûr pas en mémoire les multiples écritures cunéiformes disparues depuis longtemps pour la plupart, et qu’il n’a jamais étudiées dans le détail. Une autre difficulté provient de ce qu’il ne peut formuler aucune hypothèse, il ne possède aucun repère, tout au moins jusqu’à présent, un mot ou un nom à chercher, une faible lumière conductrice pour démarrer. Existe-t-elle quelque part, cette lumière ?
Dans ce tumulte permanent, la seule touche d’humanité est apporté par cette femme au nom insaisissable, Épépé, qui donne son nom au livre et avec lequel Budaï aura une relation.
Si j’avais pu nourrir quelques doutes sur le côté fantastique du livre en lisant sa description, j’ai été littéralement embarqué dans cette lecture. J’ai trouvé vraiment intéressantes les réactions du personnage principal dans ce milieu inconnu. Parallèlement à celui qui occupe Budaï, on se pose des questions sur le message ou sur le lieu que Karinthy décrit ici. S’agit-il d’une métaphore de la société hongroise communiste ? Certains indices convergent : la présence de cette langue particulière, de ces files d’attente, l’allusion à une révolution réprimée dans la ville, et bien sûr le fait que le livre ait été écrit en 1970. Pour autant, Budaï se retrouve ici dans une société multiculturelle, surpeuplée, âgée, consumériste et gaspilleuse , où des progrès techniques semblent avoir été réalisés à en juger par la rapidité de l’érection des bâtiments qui entourent l’hôtel. Ne serait-ce pas plutôt une projection vers une société du futur ? Quoi qu’il en soit, c’est un monde repoussant, inhumain, où les gens semblent toujours au travail et en mouvement. Ou tout simplement de la difficulté d’être un étranger dans une société où l’on est transparent pour les autres ? Ou encore sur l’importance du langage pour la vie en société ?
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Epépé de Ferenc Karinthy, traduit du hongrois par Julie et Pierre Karinthy. Zulma, 2013, 285 pages.
Ce livre a été lu dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran,
Ce livre avait déjà chroniqué (et apprécié !) durant le Mois de l’Europe de l’Est 2019 par La jument verte.
Je me souviens de la critique de la jument verte et bravo pour la tienne… 🙂
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Merci beaucoup, Goran. Je suis sorti avec ce livre de mes lectures habituelles et cela fait du bien !
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J’avais aimé l’idée, très originale, et l’atmosphère étrange et inquiétante mais mon intérêt avait baissé au cours de la lecture, car j’avais trouvé qu’à partir d’un certain moment, l’intrigue tourne en rond…
Ingannmic
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Je comprends ce que tu veux dire. C’est un peu ce que j’ai ressenti sur les dernières pages, pour être franc, mais dans l’ensemble, j’ai trouvé cela très réussi et tellement inattendu. C’est une lecture qui m’a marqué.
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J’ai beaucoup aimé ce roman, et le fait que Budaï soit un linguiste plutôt qu’une personne lambda accroît l’intérêt du texte.
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Oui, et cela donne l’occasion d’avoir de très belles pages sur le décryptage de la langue.
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Je ne connais pas ce livre mais le personnage principal semble fort intéressant.
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Oui, et c’est une ambiance très particulière, très bien restituée.
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Oui, c’est comme pour Le Papillon : tu dis que le fantastique te fait peur . Mais en fait, j’ai l’impression que dans les oeuvres des pays de l’Est, le fantastique est presque obligatoirement une métaphore et un moyen de parler de la réalité.
un autre lien : Tourgueniev
https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2020/03/tourgueniev-les-eaux-printanieres.html
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Oui, tu as raison, c’est un commentaire judicieux, il me faut franchir le pas. Merci pour le nouveau lien !
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PS : j’ai lu Epépé en 2015. C’est une oeuvre étrange, qui me fait penser aux romans de l’absurde décrivant un univers dépourvu de sens. Et c’est aussi une manière de parler de la domination soviétique et d’un monde privé de liberté.
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C’est également l’interprétation que j’en faisais. J’étais agréablement surpris par ce livre qui ne faisait pas a priori partie du type de lecture qui m’attire le plus.
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Je crois que les Bibliomaniacs en avaient parlé dans une émission. C’est intriguant mais je ne sais pas si je le lirai.
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Malgré les recommandations, je ne l’ai toujours pas lu. Il est bien noté quelque part ( des listes et des listes… )
Voici une nouvelle participation, en Hongrie aussi : » Dernier jour à Budapest » de Sandor Marai.
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Oui, c’est le lot de tout lecteur :-). Formidable d’avoir un livre de Sandor Marai, merci !
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Hum,le fantastique n’est vraiment pas ma tasse de thé…
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C’est la même chose pour moi, mais je dois avouer que cela marche bien avec ce roman. Fantastique n’est peut-être pas le meilleur mot pour caractériser Epépé, qui incite à une vraie réflexion. Donc, je te le conseille quand même 🙂
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Un excellent souvenir du précédent « mois de l’est »
Le désarroi grandissant de Budaï est prenant ….
je penche plus pour une « société du futur » qu’une « critique » de la Hongrie…
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Oui, ça a été pour moi aussi une très belle découverte. Je te rejoins sur l’interprétation ; il s’agit peut-être d’une société du futur qui reprend certains points communs avec le régime communiste.
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Effectivement, je n’avais pas pensé à la projection d’une société dans le futur ou le langage comme élément principal. Ou peut-être, la conjugaison de toutes ces hypothèses, pourquoi pas.
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