Schalom Asch – Moscou

Asch_Moscou

Liberté, liberté, qui savait quel visage tu allais prendre !

Moscou est la troisième et dernière partie de la Trilogie Avant le Déluge, écrite dans les années 20 par l’écrivain yiddish Schalom Asch. Après Pétersbourg, qui décrivait la vie bourgeoise des familles Mirkin et Halperine dans la Russie tsariste, Varsovie, qui engageait le fils Mirkin, Zakhari, dans la défense des opprimés, ce troisième tome est entièrement dédié à la Révolution russe. Est-il aussi réussi que les deux précédents ?…

Et bien, disons-le dès le début, car personne n’est capable de réfréner un tel suspense, la réponse est : OUI ! Je dirais même que c’est le meilleur des trois tomes. Le contexte historique, en arrière-plan (certes important) de Pétersbourg et Varsovie, passe ici au premier plan, pour accompagner nos protagonistes : Zakhari, le personnage le plus important de la trilogie, et qui gagne en épaisseur au fur et à mesure du récit, les familles Mirkin et Halperine (surtout les pères), l’une des filles Hurwitz que l’on rencontrait dans le second tome, un propriétaire terrien qui veut retourner sur ses terres, mais aussi des révolutionnaires, majoritairement bolcheviques.

La première Révolution de 1917 (celle de février) porte au pouvoir les socialistes révolutionnaires (Kerensky). Alors que tout le monde s’attendait à un nouvel ordre (notamment la redistribution des terres), la situation reste trouble et le nouveau pouvoir cherche surtout à continuer la guerre et obtenir la victoire. C’est le point sur lequel les bolcheviks vont s’appuyer pour convaincre la population de les rejoindre.

La peur du front, la volonté d’une paix rapide avaient fait fondre les rangs des socialistes révolutionnaires. Les ouvriers, les soldats, se ralliaient de plus en plus nombreux aux bolcheviks. Les masses étaient sûres maintenant que seuls les bolcheviks étaient capables d’étouffer ce « serpent » – la guerre- qui les tenait à la gorge, de neutraliser les patriotes belliqueux et le pouvoir des des généraux qui n’aspiraient qu’à les charger de nouveau des chaînes tsaristes.

Zakhari Mirkin rejoint ainsi les bolcheviks et jouera un rôle important dans les combats menant à la victoire en Octobre 1917. Le lecteur suit les négociations, les jeux de dupes entre les différentes parties avant d’assister à la prise du Kremlin.

Dans la seconde partie, un nouvel ordre se met en plan. Le père de Zakhari, le vieux Mirkin, comprend rapidement la nature du nouveau pouvoir et enjoint les autres acteurs économiques à le servir :

Le sabotage ? J’aimerais bien savoir contre qui ? Contre les bolcheviks ? Contre la Russie ? Les bolcheviks, vous ne leur ferez pas peur. Vous les boycotterez, il mettront d’autres hommes à votre place, des hommes incapables, incompétents.

Rapidement, les confiscations se mettent en place. Les immeubles bourgeois sont partagés entre les nouveaux locataires, les anciens propriétaires étant confinés dans une ou deux pièces restantes. Les espoirs de Zakhari de voir déboucher cette Révolution vers un monde plus juste, où il n’y aura plus d’opprimés, s’estompent rapidement. C’est l’occasion de nous livrer des réflexions qui sont toujours aussi actuelles pour définir un mode de société « idéal » :

Mais quel serait le stimulant, quelle motivation pousserait l’individu à aller au bout de ses possibilités, de ses talents ou de ses capacités, quand seraient abolis le profit personnel et l’égoïsme, ferments de la société capitaliste ? Comment parvenir à contrôler les dons des individus et empêcher ceux-ci de les garder jalousement pour servir leurs propres ambitions ? Quelles récompenses pourrait-on imaginer pour remplacer celles que promettait la foi en l’au-delà ? La joie supérieure de tout partager que recèle le communisme ? Etait-ce là une source assez féconde pour abreuver la multitude ?

Au lieu de cela, c’est la répression qui s’intensifie. Les bolcheviks, qui promettaient la paix, signent certes celle de Brest-Litovsk, mais ouvrent un front intérieur : la guerre civile. Le régime totalitaire se met en place, on commence à assassiner les opposants dans les caves de la rue Loubianka comme le montre cette réponse de Richkov à Mirkin :

Nous n’avons pas de temps à perdre avec des théories. Inutile d’user sa salive – il y a deux camps – le leur et le nôtre. Il y a ceux qui sont pour Octobre et ceux qui sont contre. Nous divisons les hommes en deux catégories selon ce critère : ceux qui travaillent pour la Révolution et ceux qui travaillent contre elle. S’il s’est rallié à Octobre, il est des nôtres. Fût-il le diable en personne, Octobre le sanctifiera. Le principe justifie tout.

J’ai beaucoup aimé Moscou et notamment la Seconde Partie du livre. Schalom Asch décrit avec tant de talent le malaise de Zakhari, l’évolution du pouvoir, le contexte historique, que j’ai l’impression que tout est dit !

Au moment où les librairies réouvrent, je ne saurais trop vous conseiller :

x d’acheter ce livre chez votre libraire

de l’emprunter dans votre bibliothèque

lire autre chose

Moscou, de Schalom Asch, traduit du yiddish et préfacé par Rachel Ertel. Archipoche, 2020. 570 pages.

12 réflexions sur “Schalom Asch – Moscou

  1. Eve-Yeshé 24 Mai 2020 / 15:39

    les trois sont dans ma PAL grâce à toi:-)
    il faut que je les trouve maintenant que le déconfinement semble fonctionner (je reste tranquille jusqu’à début juin, car je redoute quand même la 2e vague 🙂

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    • Patrice 25 Mai 2020 / 07:43

      Heureux de voir que que mes recommendations sont suivies :-). Ils sont sortis récemment, je pense qu’il ne devrait pas être trop difficile de les trouver. Prends bien soin de toi (tout à fait d’accord avec toi) !

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  2. Ingannmic 25 Mai 2020 / 10:28

    Les couvertures de cette trilogie sont par ailleurs très attrayantes.. je suis tombée l’autre jour sur Pétersbourg, qui a promptement rejoint mon sac, lors de mes retrouvailles avec ma librairie préférée !

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    • Patrice 26 Mai 2020 / 07:19

      Oui, je suis d’accord avec toi sur les couvertures, je les aime beaucoup aussi. Ah, je suis curieux de voir ce que tu en penseras, alors !

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  3. Tania 25 Mai 2020 / 10:40

    Je note ces trois titres de Schalom Asch, cela me fait penser à « Une saga moscovite » d’Axionov, que je relirais volontiers.

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    • Patrice 26 Mai 2020 / 07:22

      Je me suis noté aussi cette saga, c’est une bonne idée de l’évoquer. La trilogie de Schalom Asch a été pour moi une belle découverte de cette année 2020 en tout cas.

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  4. lcathe 5 juin 2020 / 21:04

    Je viens d’acheter le premier tome et sa lecture prévu pour bientôt .

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    • Patrice 11 juin 2020 / 14:59

      J’ai hâte de lire ton avis alors !

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