Miklós Molnár – Histoire de la Hongrie

Le 4 juin 2020 marque le centième anniversaire du Traité de Trianon, l’un des nombreux traités qui suivent la Première Guerre Mondiale. Il était chargé de régler le sort de la Hongrie et reste perçu jusqu’à aujourd’hui comme un cataclysme dans l’histoire de ce pays d’Europe Centrale. M’appuyant sur cet événement, je souhaiterais donc revenir sur l’Histoire de la Hongrie, en compagnie de Miklós Molnár, pour vous faire (re)découvrir un pays finalement peu connu par les Français.

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Miklós Molnár

Miklós Molnár (1918 – 2003) était un historien hongrois qui a traversé le XXème siècle et ses atermoiements. Séduit par le marxisme dans sa jeunesse, il se convertit à des thèses plus libérales après avoir été obligé de quitter son pays dans la foulée de l’occupation de 1956. L’Histoire de la Hongrie présentée ici couvre les prémices du pays jusqu’au démantèlement du Rideau de fer, en fait jusqu’au millénaire de la Hongrie, en 1996.

Le peuple hongrois est à l’origine un peuple de l’Oural ayant fait partie de l’Empire khazar. S’installant dans l’Europe médiane, il se rend célèbre par ses nombreuses incursions dans les territoires voisins (dynastie des Arpadiens) avant de se tourner vers le Saint Empire et de créer un royaume chrétien.

Plusieurs dynasties se succèdent à partir du XIVème siècle. Le poids des princes est alors très important. Citons Jean de Hunyad, par exemple, voïvode de Transylvanie en 1441, qui possédait plus de 2 millions d’hectares et 57 villes ! Son fils, Mathias Corvin, est resté célèbre entre autres pour sa bibliothèque, qui était à l’Epoque la seconde en Europe après celle du Vatican. Cette période est en fait une sorte d’apogée pour la Hongrie qui, à l’instar des autres pays d’Europe Centrale, et contrairement à l’Europe occidentale, régresse à partir de 1500. La guerre, les structures féodales pénalisent son développement. Partagée en 3 parties au milieu du XVIème siècle (dont l’une, déjà, est « gérée » par un Habsbourg), elle sera libérée des Ottomans à la fin du XVIIème siècle.

Comment caractériser la société magyare ? L’une des premières choses qui interpelle, c’est que les hongrois sont en minorité sur leur territoire. Nous sommes dans un espace constitué de nombreux peuples, notamment slaves. La seconde chose, c’est le caractère inégalitaire de cette société : à la fin du XVIIIème siècle, 200 familles de magnats et prélats très riches côtoient 7 à 8 millions de paysans pauvres ! On retrouve cette tendance tout au long du XIXème siècle et il faudra attendre la réforme agraire de l’après Seconde Guerre Mondiale pour que les grandes propriétés soient dépecées. A ce moment-là, 55% de la population est d’ailleurs paysanne. La Hongrie est donc un pays agricole marqué, qui était d’ailleurs la plus grande exportatrice de viande vers 1580. Enfin, c’est un pays avec un sentiment national fort.

Ce sentiment national va d’ailleurs prendre tout sa mesure au XIXème siècle et notamment grâce à la littérature. Associée à l’Empire des Habsbourg, la Hongrie, menée par Kossuth, déclare son indépendance en 1849, avant d’être écrasée par les armées de François-Joseph, épaulées par les troupes tsaristes. Une indépendance brève, mais qui suscitera un imaginaire fort, à l’instar du poéte national Sándor Petőfi, mort à 26 ans sur les champs de bataille. L’Autriche, battue par la Prusse lors de la bataille de Sadowa en 1866, proposera à la Hongrie un Compromis de dualisme en 1867. On parle dès lors d’Autriche-Hongrie. Budapest connaît un grand essor, l’industrie et le ferroviaire se développent fortement.

La Première Guerre Mondiale marque une réelle césure :

Les pertes de la monarchie sont extrêmement lourdes. Sur les 3 800 000 soldats mobilisés en Hongrie, 661 000 perdent la vie, plus de 700 000 sont blessés et autant faits prisonniers.

La Hongrie est également déstabilisée sur le plan politique : au régime démocratique mis en place après la guerre, succède une République des Conseils (une tentative menée par Béla Kun, un proche de Lénine), avant que le régime conservateur de l’amiral Horthy n’accompagne le pays jusqu’à la Seconde Guerre. C’est lui qui doit signer le traité de Trianon :

Faisant suite au traité de Versaille du 28 juin 1919 avec l’Allemagne et au traité de Saint-Germain-en-Laye du 19 septembre 1919 avec l’Autriche, le traité de Trianon a imposé à la Hongrie des conditions plus draconiennes qu’à l’Allemagne. (…) La Hongrie, 283 000 km² sans la Croatie, se voit réduite à 93 000 km², sa population passe de 18,2 millions à 7,6 millions, pour atteindre près de 8 millions à la fin de 1920 en raison du rapatriement de Magyars des territoires annexés. En tout, 3 425 000 Magyars, dont des populations compactes et limitrophes, se retrouvent séparés de la mère-patrie sur les territoires attribués aux pays successeurs. (…) Les conséquences d’une paix avec un tel découpage ont été désastreuses. Bien que les dispositions principales du traité aient été prévisibles dès 1919, son ampleur et son injustice flagrante ont traumatisé les Magyars en deçà et au-delà des nouvelles frontières. Ses conséquences économiques mises à part, le choc de Trianon a déterminé la politique révisionniste du régime Horthy, entraîné l’opinion publique au nationalisme et isolé le pays de ses voisins, la future Petite Entente, qui montent la garde sur les frontières.

La perspective de récupérer les territoires perdus pousse la Hongrie dans les bras du Reich allemand. Le reste de l’histoire est davantage connu : la Hongrie tombera ensuite dans l’escarcelle de Moscou. Un véritable régime stalinien sera instauré avec ses procès politiques retentissant. La Révolution de 1956, durement réprimée, marquera un tournant dans l’histoire du pays : le « socialisme du goulash » mené par János Kádár (incluant un secteur privé non négligeable et une société davantage tournée vers la consommation) fera dire que la Hongrie était « la baraque la plus joyeuse » du camp soviétique. Une relative prospérité, mais au prix d’un endettement record, qui plombera le pays par la suite, notamment dans sa transition vers le capitalisme.

Au final, un livre passionnant, parfois exigeant certes, et qui nécessite quelques connaissances préalables, mais qui se lit très bien et n’oublie pas de mentionner des écrivains de langue hongroise. Je vous conseille de le compléter par l’ouvrage passionnant de Françoise Pons, Hongrie, l’angoisse de la disparition, qui exprime bien le sentiment hongrois actuel ; enfin, pour celles et ceux qui sont intéressé(e)s mais ne souhaitent pas un lire un tel livre, voici une sélection d’émissions radio traitant de la Hongrie :

Je vous conseille donc

X d’acheter ce livre chez votre libraire

X ou de l’emprunter dans votre bibliothèque

lire plutôt autre chose

Histoire de la Hongrie, de Miklós Molnár. Tempus Perrin. 2004. 469 p.

16 réflexions sur “Miklós Molnár – Histoire de la Hongrie

    • Patrice 4 juin 2020 / 10:50

      C’est toi qui me pousses à la dépense :-). Comment ne pourrais-je pas chroniquer un livre de Georges Castellan sur la Croatie et la Slovénie. Je le note tout de suite, merci Goran !

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  1. Temps de lecture 4 juin 2020 / 10:54

    Merci pour cet éclairage, c’est vrai que c’est un pays que l’on connait peu en France, tout comme ses voisins d’ailleurs. C’est dommage que l’on entende peu parler de ses auteurs.

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    • Patrice 5 juin 2020 / 07:03

      Merci pour ce commentaire. Oui, et c’est dommage pour la Hongrie, qui est un pays si riche. En terme de littérature, on a tout de même la chance d’avoir beaucoup d’auteurs hongrois traduits en français.

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  2. luocine 5 juin 2020 / 10:04

    Je suis restée sans voix à cette phrase : « Jean de Hunyad, par exemple, voïvode de Transylvanie en 1441, qui possédait plus de 2 millions d’hectares et 57 villes ». J’ai adoré lire ton billet mais je pense que ça va me suffire !
    C’est le résultat d’un travail trop bien fait !

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    • Patrice 5 juin 2020 / 14:09

      Et oui, c’est impressionnant ! Merci pour le commentaire, si mon billet est assez clair, j’en suis ravi, car ce type de livre est toujours difficile à résumer 🙂

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  3. Eve-Yeshé 5 juin 2020 / 12:59

    je connais peu l’histoire de la Hongrie à part la période sous domination autrichienne alors je prends bien sûr…
    Mon banquier connaît mes achats compulsifs de livres alors il devrait être sympa 🙂 🙂

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    • Patrice 5 juin 2020 / 14:13

      Je trouve toujours ce genre d’ouvrage très intéressant. Une lecture pertinente sur la période serait aussi le livre de Jean-Paul Bled ‘L’agonie d’une monarchie. Autriche-Hongrie 1914-1920)

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  4. Agnès 6 juin 2020 / 15:33

    Je connais une Hongroise de Roumanie. C’est une femme qui a la petite cinquantaine mais elle parle du traité de Trianon comme s’il datait d’hier. Je comprends mieux pourquoi en lisant ton compte-rendu. Il y a aussi un article sur la commémoration du centenaire dans le Monde du 6 juin.

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    • Patrice 11 juin 2020 / 15:06

      Il faut que je lise cet article, merci pour le conseil ! Oui, c’est une période clé pour comprendre l’histoire contemporaine de la Hongrie.

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  5. Passage à l'Est! 7 juin 2020 / 17:25

    Merci pour ce beau compte-rendu! J’ai lu d’autres histoires (en anglais) mais pas celle-ci. J’irai y jeter un coup d’oeil, car je suis curieuse de voir comment il aborde la question des origines, qui n’est vraiment pas tranchée.
    J’imagine que tu voulais dire que le livre couvre la période jusqu’à 1996, 100 ans après le millénaire de 1896? Même si, là aussi, il n’est pas sûr que les « Hongrois » sont « arrivés » au cours de l’année 896.

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    • Patrice 11 juin 2020 / 15:12

      Merci beaucoup ! Je me souviens qu’il abordait ces origines. Tu penses à la « filiation » par rapport à Attila ou encore à l’installation en Dacie ?
      Oui, j’ai peut-être manquais de clareté : le livre couvre en effet 1100 ans d’histoire si l’on peut dire.
      Et grâce à toi, j’ai appris qu’un tiers des Hongrois pense toujours que c’est un traité qui devait couvrir seulement une période de 100 ans !

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  6. Passage à l'Est! 17 juin 2020 / 17:39

    Je pensais surtout à des recherches plus récentes qui remettent en question la relation entre ces peuples qui sont arrivés dans le bassin des Carpathes, et la langue qui est devenue la langue hongroise. Ces recherches soulèvent la possibilité que les « Hongrois » aient acquis leur langue non pas pendant leur long périple qui a abouti en Hongrie, mais au contact des populations locales (dont on ne sait pas grand chose). Ne me demande pas qui croire, je n’en sais rien!
    En tout cas, on peut dire que cette question des origines est (a toujours été) très politisée. Un nouvel institut public a été inauguré il y a quelques années justement pour travailler sur cette question, et le gouvernement a amorcé un rapprochement avec le Conseil Turcique (une organisation de pays turcophones). Ce qui ne l’empêche pas de jouer aussi la carte du pays chrétien qui a stoppé l’invasion ottomane quand ça l’arrange.

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    • Patrice 18 juin 2020 / 03:18

      Je ne me souviens pas exactement s’il en était fait mention dans le livre. Il fut un temps où je m’intéressais à tous les détails de l’histoire tchèque, mais je n’avais poussé l’étude de l’histoire hongroise dans ces nuances. En tout cas, c’est très intéressant, car on a l’impression de revivre parfois des débats qui ont animé beaucoup de pays au XIXème dans l’écriture ou la réécriture de leur histoire. Merci beaucoup pour ton éclairage !

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