Boris Pasternak – Le docteur Jivago

Le docteur Jivago est une œuvre qu’on ne présente plus. Il valut à son auteur, Boris Pasternak, le prix Nobel de Littérature en 1958, et au-delà du livre, c’est le film éponyme, avec Omar Sharif et Julie Christie (et sa célèbre musique de la « chanson de Lara ») qui est resté dans la mémoire collective.

Curieux destin, tout d’abord, que celui de ce livre, refusé en Union Soviétique et qui trouvera le chemin des librairies grâce à une traduction italienne que la CIA se hâtera de diffuser en Europe. Nous sommes alors en pleine guerre froide, et l’occasion est trop belle de montrer à quel point le régime soviétique n’est pas forcément né dans l’allégresse mais sur fond de souffrance du peuple.

L’entrée en matière dans le livre se fait de façon assez laborieuse (en tout cas de mon côté) en raison de la profusion des personnages et des histoires qui s’entrecroisent. Heureusement, la description succincte des personnages principaux présente en début du roman constitue une aide précieuse. La figure principale du roman est Youri Jivago, orphelin de père, qui sera élevé par la famille Groméko, et dont il épousera la fille, Tonia. Nous suivons ainsi la vie de Jivago, de sa naissance à sa mort, dans le contexte du passage de l’Empire Russe à celui de l’Union Soviétique.

Le docteur Jivago est bien sûr une histoire d’amour : celle de Youri et de Lara, qu’il côtoiera sur le front, lui le médecin réquisitionné, elle devenue infirmière, et séparée de son mari disparu au front. Il est juste que les sentiments des deux protagonistes donnent au livre certains de ses plus beaux passages, comme celui repris sur la quatrième de couverture de la présente édition :

Mais voici encore ce qu’il se disait : « Ma charmante, mon inoubliable ! Tant que les creux de mes bras se souviendront de toi, tant que tu seras encore sur mon épaule et sur mes lèvres, je serai avec toi. Je mettrai toutes mes larmes dans quelque chose qui soit digne de toi, et qui reste. J’inscrirai ton souvenir dans des images tendres, tendres, tristes à vous fendre le coeur. Je resterai ici jusqu’à ce que ce soit fait. Et ensuite je partirai moi aussi. (…)

Néanmoins, au delà de cette histoire d’amour, c’est une description très vivante de cette période troublée qui est offerte au lecteur. Alors que Youri accueillait positivement les événements historiques de 1917, il est perceptible que chacun est pris dans le tourbillon de l’histoire. La guerre civile qui oppose les Blancs et les Rouges n’a finalement que des perdants : la population, soumise à des exactions, des privations, à l’exil, comme l’illustre dans le livre le long exode qui conduit la famille du docteur Jivago de Moscou à la Sibérie. Ainsi, je trouve que le livre n’est pas une critique à l’encontre du nouveau régime, mais plutôt un témoignage du désastre que constitua cette période, l’absence de choix raisonnable offert aux habitants :

C’est que tout maintenant prenait une teinte politique : si l’on faisait le voyou, on était considéré en zone soviétique comme un réactionnaire ; et chez les Blancs, les bagarreurs passaient pour des bolcheviks. (…) Les Blancs et les Rouges rivalisaient alors de cruauté : par un jeu de représailles, de surenchères, leurs atrocités ne cessaient de croître. On avait la nausée du sang. Il refluait à la gorge, montait à la tête, vous noyait les yeux

La censure qui touche le roman (celui-ci ne sera publié en URSS que sous Gorbatchev) tient sûrement à la critique que fait l’auteur en général des révolutions, tranchant en cela avec l’épopée héroïque contée alors par le régime :

Personne ne fait l’histoire, on ne la voit pas, pas plus qu’on ne voit l’herbe pousser. Les guerres, les révolutions, les tsars, les Robespierre sont ses ferments organiques, son levain. Les révolutions produisent des hommes d’action, des fanatiques munis d’oeillères, des génies bornés. En quelques heures, en quelques jours, ils renversent le vieil ordre des choses. Les révolutions durent des semaines, des années, puis, pendant des dizaines et des centaines d’années, on adore comme quelque chose de sacré cet esprit de médiocrité qui les a suscités.

Roman d’amour, roman historique, roman de guerre, Le docteur Jivago est tout cela à la fois. Si vous ne l’avez encore jamais lu, n’hésitez pas à franchir le pas ; l’écriture, la description des paysages, de la rencontre entre Youri et Lara, mais aussi le destin des autres personnages (à l’image de Strelnikov, général révolutionnaire qui se voit finalement poursuivre par le régime qu’il a contribué à porter sur les fonts baptismaux), sont autant de raisons pour vous convaincre.

Je vous conseille donc :

X de l’acheter chez votre libraire

X ou de l’emprunter dans votre bibliothèque

de lire autre chose

Le docteur Jivago, de Boris Pasternak, traduit du russe. Folio, 1972, 703 pages.

Cette lecture s’incrit dans le défi Pavévasion organisé par Sur mes brizées ; il s’agit également d’une lecture commune fait avec Maryline de Lire et merveilles.

26 réflexions sur “Boris Pasternak – Le docteur Jivago

  1. Goran 20 septembre 2020 / 09:47

    J’avais adoré l’adaptation cinématographique de David Lean. Ce dernier est l’un des plus grands réalisateurs de son époque et même au-delà…

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    • Patrice 20 septembre 2020 / 18:57

      On nous l’a projeté au collège, et je n’étais pas conquis (mais à cet âge là…), et depuis, je n’ai encore jamais repris le temps de le voir. Après la lecture du livre, ce serait une bonne idée de le remettre à l’ordre du jour !

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      • Goran 20 septembre 2020 / 18:59

        Et puis, je te conseille la fille de ryan, c’est pour moi un chef d’œuvre…

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  2. Eve-Yeshé 20 septembre 2020 / 13:39

    j’ai adoré le film que j’ai vu et revu mais toujours pas lu, j’ai honte quand même …
    j’ignorais que la parution n’avait eu lieu que sous l’ère Gorby …

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    • Patrice 20 septembre 2020 / 18:57

      Oui, cela montre bien le caractère sensible du livre pour l’Union Soviétique. C’est un livre qui se lit très bien, je te le conseille vivement !

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      • Eve-Yeshé 21 septembre 2020 / 13:01

        en fait il faut juste que je franchisse le pas: comme avec « Cent ans de solitude » par exemple ou avec « Un garçon convenable » les pavés en ce moment je bloque un peu 🙂

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  3. Madame lit 20 septembre 2020 / 15:56

    Ce livre figure parmi mes romans préférés. Un auteur d’un humanisme, il me semble, presque inégalée…

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    • Patrice 20 septembre 2020 / 18:58

      Oui, c’est très juste, et les réflexions de Jivago dans le livre l’attestent vraiment.

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    • Patrice 20 septembre 2020 / 18:59

      Merci pour le commentaire, je ne vois que tu n’es pas la seule dans ce cas !

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  4. luocine 20 septembre 2020 / 17:31

    j’ai lu ce roman quand j’étais ado et je me suis précipitée pour voir le film. J’ai aimé les deux

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    • Patrice 20 septembre 2020 / 19:00

      Je sais ce qu’il me reste à faire 🙂

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  5. Agnès 21 septembre 2020 / 08:35

    Ca fait longtemps que je n’ai pas revu le film mais le personnage de Youri Jivago m’y avait agacé, qui par son indécision fait le malheur de ses deux familles et ça m’a barré l’envie de lire le livre.

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    • Patrice 21 septembre 2020 / 20:59

      Je n’ai pas du tout retrouvé cette indécision dans le livre ; le personnage de Iouri m’a paru très attachant et très humain. Je veux rester sur cette impression 🙂

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  6. Marilyne 21 septembre 2020 / 09:09

    Figure-toi que je n’ai jamais vu le film, je connaissais à peine l’histoire avant de me plonger dans le roman. Grand merci pour cette lecture commune qui m’a enfin motivée à franchir le pas, ce fut une grande lecture.

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    • Patrice 21 septembre 2020 / 21:00

      Et merci à toi de m’avoir accompagné, j’ai beaucoup apprécié ta chronique !

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  7. dominiqueivredelivres 21 septembre 2020 / 09:50

    C’est bon les lectures communes elles viennent enfoncer le clou
    hier en lisant Marilyne j’ai sorti mon exemplaire
    avec le tien je sais que je vais plonger vers ma relecture

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    • Patrice 21 septembre 2020 / 21:01

      Ca me fait très plaisir !

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  8. krolfranca 22 septembre 2020 / 08:17

    Marilyne et toi, vous donnez très envie de lire ce roman dont le titre est si connu alors que j’aurais bien été incapable de dire de quoi ça parle.

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  9. Ingannmic 22 septembre 2020 / 11:23

    Je l’ai lu, mais il y a trèèès longtemps, et si je me souviens avoir été marquée par cette lecture, j’avoue avoir tout oublié de l’intrigue. A relire, donc en ce qui me concerne !

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  10. Lilly 23 septembre 2020 / 11:11

    Une très bonne idée cette lecture commune, j’aurais dû participer ! Ce livre semble être le digne successeur de « Guerre et Paix » en fait. La réflexion politique devrait m’intéresser.

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  11. Tania 27 septembre 2020 / 14:42

    Ce billet lu après celui de Marilyne me confirme dans l’idée de lire le roman, je choisirai plutôt la collection Quarto pour les compléments.

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    • Patrice 18 juillet 2022 / 16:48

      Merci beaucoup, je vais lire ton billet tout de suite 🙂

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