Thomas Harding – Hanns et Rudolf

Thomas Harding, écrivain et journaliste britannique, apprend lors du décès de son grand-oncle Hanns Alexander, juif allemand ayant émigré en 1936 en Angleterre, que celui-ci a traqué et arrêté Rudolf Höss, le commandant du camp d’Auschwitz. A partir de documents historiques, d’archives, d’entretiens, il restitue ici le récit de deux vies, celles de Hanns et Rudolf qui vont se croiser à la fin de la guerre.

Entrons, si vous le voulez bien, directement dans le récit, les chapitres alternant entre les deux principaux protagonistes.

Quelle parcours tout d’abord que celui de Rudolf. Il perdit rapidement son père, auquel il était peu attaché et se décida à partir à la guerre dès 14 ans. Quand l’armistice est signé, il a 16 ans et est déjà sergent ; il s’engage ensuite dans des corps francs. Ainsi, destiné initialement au séminaire, il se laisse attiré par l’esprit de camaraderie qui règne dans les rangs des combattants. Adhérent au NSDAP, prisonnier politique de 1924 à 1928, il se laisse convaincre par Himmler de quitter la terre pour travailler à Dachau puis à Sachsenhausen. A lire ces chapitres, il apparaît clairement que Höss n’était pas un monstre ; il l’est devenu. Son rêve était de travailler la terre, objectif duquel il s’est détaché sous l’influence de rencontres faites dans le parti nazi.

De son côté, Hanns Alexander est né dans un milieu juif bourgeois de Berlin. Son père était médecin et il a fondé une clinique qui était la plus fréquentée de la capitale. Elevé dans une famille aimante, faisant les quatre-cents coups avec son frère jumeau Paul, il assiste à la montée du totalitarisme en Allemagne, des restrictions envers les Juifs, ce qui conduisit la famille à prendre la difficile, mais salutaire décision, d’émigrer en Angleterre.

Hanns venait de quitter le pays qui l’avait vu naître. Il avait dix-neuf ans, son baluchon et dix marks pour toute fortune – somme maximale autorisée aux migrants. (…) Entre 1934 et 1939, plus de soixante-dix mille Juifs fuyant les pays sous contrôle nazi – l’Allemagne, l’Autriche, la Tchécoslovaquie et la Pologne – déferlèrent en Grande-Bretagne. Il y avait parmi eux près de dix-mille enfants non accompagnés, sauvés in extremis dans le cadre de l’opération humanitaire Kindertransport.

Höss est chargé de construire le camp d’Auschwitz. Il se consacre complètement à sa funeste tâche qui va prendre une ampleur considérable lorsque l’invasion à l’Est est décidé par Hitler. On suit avec effroi les essais de Zyklon B.

Entre 1940 et 1944, plus d’un million trois cent mille détenus arrivèrent à Auschwitz. Sur ce nombre, il n’y eut que deux cent mille rescapés. Un million de juifs, soixante-quinze mille Polonais, vingt et un mille Tziganes et quinze mille prisonniers de guerre soviétiques n’en revinrent jamais.

Hanns prit la décision de rejoindre l’armée britannique, mais c’est en avril 1945, lorsque furent constituées le premières équipes d’enquêteurs, que son destin bascule. Employé d’abord comme traducteur, il découvre l’horreur des camps, notamment de Belsen. Les témoignages collectés auprès d’anciens bourreaux servent alors à préparer le premier procès pour crimes de guerre ; rapidement, il obtient l’autorisation d’enquêter lui-même et part à la chasse des nazis qui s’étaient cachés. Après avoir arrêté le Gauleiter Simon, qui régissait le Luxembourg, il traque et finit par capturer Rudolf Höss. Ce dernier confesse la solution finale, donnant ainsi à l’accusation des éléments clés dans le grand procès qui s’ouvre à Nuremberg.

Ce livre est une vraie réussite. Il restitue très bien le contexte historique allemand dès la première guerre mondiale. Il est richement illustré grâce à des documents d’archives, notamment des photos, comme celles des protagonistes, des événements qui jalonnèrent cette Histoire (synagogues ravagés pendant la nuit de Cristal, libération des camps) ou encore de scènes improbables comme la vie des enfants Höss dans leur villa d’Auschwitz. Surtout, il offre au lecteur, de façon non manichéenne, deux portraits d’Allemands dans toute leur complexité.

Citons Höss pour terminer ce billet. Lorsque le psychologue chargé de l’interroger cherche à lui faire exprimer des émotions, Höss répond :

« A l’époque, nous n’avions pas à songer aux conséquences de nos actes. Je ne me suis jamais imaginé qu’un jour, j’aurais à en répondre. En Allemagne, voyez-vous, il était entendu que si quelque chose tournait mal, c’était l’homme qui donnait les ordres qui était responsable.

_ Mais sur le plan humain ?

_ Cela n’entrait pas en ligne de compte », coupa sèchement Höss.

On ne peut s’empêcher de continuer à se poser la question de ce qui peut pousser un tel homme à devenir un bourreau et à s’affranchir de toute morale.

Je vous conseille donc :

x d’acheter le livre chez votre libraire

x de l’emprunter dans votre bibliothèque

de lire autre chose

Hanns et Rudolf, de Thomas Harding, traduit de l’anglais par Isabelle D. Taudière et Clémentine Peckre. Flammarion, collection livres Champs, 2015. 436 pages.

Ce livre a été lu dans le cadre des Lectures communes autour de l’Holocauste.

19 réflexions sur “Thomas Harding – Hanns et Rudolf

  1. Passage à l'Est! 27 janvier 2022 / 22:02

    Un livre que je ne connaissais pas mais dont l’aspect documentaire m’intéresse beaucoup et qui m’aiderait à mieux me souvenir des rôles distincts de Rudolf Höss et de Rudolf Heß… L’aspect personnel de la démarche me fait penser à Philippe Sands, au sujet duquel on a déjà bien échangé l’année dernière. Merci pour cette découverte.

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    • Patrice 29 janvier 2022 / 08:05

      Oui, c’est vraiment un livre que je peux te recommander. Je me suis posé la même question que toi sur la distinction entre Rudolf Höss et de Rudolf Heß : le premier est celui du livre, le second fut un ministre d’Hitler qui était allé tenter de négocier une paix séparée avec la Grande Bretagne avant l’invasion de l’URSS (et qui in fine fut emprisonné à son retour). Philippe Sands est toujours sur mes tablettes. En tout cas, je suis très heureux d’avoir répondu à ton invitation sur l’organisation de cette semaine thématique.

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  2. luocine 28 janvier 2022 / 02:58

    Encore un livre indispensable sur un sujet que l’on n’a jamais fini d’explorer.

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    • Patrice 29 janvier 2022 / 08:06

      Voilà une phrase qui résumé admirablement bien ce que je pense également.

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  3. keisha41 28 janvier 2022 / 08:18

    Je pensais aussi à Sands. Argument supplémentaire pour m’y pencher.

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    • Patrice 29 janvier 2022 / 08:06

      Je ne vais pas pouvoir reporter Sands plus longtemps !

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  4. Marilyne 28 janvier 2022 / 11:39

    J’aurai pu écrire les premières lignes du commentaire de Passage à l’Est. Ce que tu dis de la façon dont est écrit ce documentaire me motive, cette vision dans le contexte historique de l’entre-deux guerre, et puis la complexité des portraits. La question qui reste aussi.

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    • Patrice 29 janvier 2022 / 08:08

      Oui, j’ai beaucoup aimé ce format de livre et la façon dont est traitée cette période. Je suis sûr qu’il te plairait.

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    • Patrice 29 janvier 2022 / 08:09

      J’ai pensé justement à toi et au livre que tu as chroniqué pour cette semaine dédiée au souvenir de l’Holocauste. Par manque de temps, je n’ai pas lu Robert Merle mais nous sommes dans une autre façon de traiter le même personnage, ce qui est très intéressant.

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  5. Eve-Yeshé 28 janvier 2022 / 16:11

    pourquoi pas? Je connais assez bien « l’histoire » de Rudolf Höss grâce à Robert Merle et à des documentaires autrefois…Il n’a fait qu’obéir aux ordres a été sa « seule défense »
    donc il devrait me plaire 🙂

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  6. Ingannmic 29 janvier 2022 / 08:30

    Oui, je crois malheureusement qu’on n’en finira jamais de s’interroger sur ce qui fait basculer les hommes dans l’ignominie…et je me demande s’il est préférable d’avoir une réponse ..

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  7. allylit 30 janvier 2022 / 18:22

    Ce livre a l’air passionnant, même s’il ne permettra jamais de comprendre pourquoi des hommes commettent des actes pareils…

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