Magda Szabó – La porte

Aujourd’hui, nous allons essayer de pousser la porte et de rentrer dans la vie d’Emerence, une domestique au caractère fort, employée chez un couple d’intellectuels. Mais trouvera-t-on les clés pour pouvoir dévoiler les secrets de ce personnage énigmatique ? Réponse dans le roman La porte de Magda Szabó.

Si vous allez taper à la porte d’Emerence Szeredás, probablement, personne ne vous ouvrira. Emerence, concierge et domestique, sera peut-être en train de balayer la rue enneigée ou de faire le ménage chez une famille. Coiffée d’un foulard et vêtue d’un tablier toujours impeccablement repassé, cette dame âgée inspire le respect chez tout le monde. On ne la choisit pas, c’est elle qui juge les familles dignes de ses services irréprochables et c’est elle qui dicte les conditions. Ainsi décide-t-elle d’accepter le travail chez un couple d’écrivains qui a besoin de se libérer des tâches domestiques pour se consacrer pleinement à l’écriture.

Entre l’écrivaine (la narratrice) et Emerence naît ainsi un lien qui va rapidement évoluer au-delà d’un contrat de travail. L’écrivaine, intriguée que sa domestique ne laisse jamais personne rentrer chez elle, reconstituera petit à petit le puzzle de sa vie. Qui est en fait cette vieille femme capable de donner un bon coup de balai pas seulement dans la rue parsemée de feuilles, mais aussi dans ses relations en disant son avis à pleins poumons ? (ne mâchant d’ailleurs pas ses mots même devant son employée en la traitant de bête ! Une image assez surréaliste pour moi). Elle ne manque pas d’avis, en effet – que ce soit sur la question ouvrière ou sur la chienne Laïka…

Les éducateurs du peuple connurent véritablement les pires heures de leur vie lorsque Emerence leur révéla sa théorie de la politique, pour elle, Horthy, Hitler, Rákosi, Charles IV c’était du pareil au même, ce qui est sûr, c’est que celui qui est au pouvoir donne les ordres, et si quelqu’un peut ordonner n’importe quoi à n’importe qui à tout moment, c’est toujours au nom de quelque chose d’inconcevable. (…) le monde d’Emerence connaissait deux sortes d’hommes, ceux qui balaient et les autres, tout découlait de là, peu importe sous quels mots d’ordre ou quelles bannières on célébrait la fête nationale.

Femme complexe, indépendante, tantôt attachante par son aversion envers toutes les idéologies (un cauchemar pour les propagandistes), tantôt énervante par ses excès de colère. Et anti-intellectuelle aussi :

Toute feuille de papier lui était suspecte, tout bureau, toute brochure, tout livre, non seulement elle ne connaissait pas Marx, mais elle ne lisait jamais, je crois que si elle a voulu nous mépriser nous aussi comme des tire-au-flanc chroniques, elle a été ébranlée en se rendant compte que quelque chose atténuait son antipathie dès qu’elle passait notre seuil, elle a visiblement acquis la conviction que ce sur quoi nous tapons est malgré tout une machine, qu’il y a quelque chose de respectable dans la manière dont nous gagnons notre pain.

Malgré son côté imprévisible et ses propos durs, je l’ai pris en sympathie et j’ai eu du mal à la chasser de mon esprit, tel le pilier d’une rue portant secrètement les blessures des tragédies de XXème siècle. Ajoutons-y également la belle écriture de Magda Szabó, écrivaine et poétesse hongroise,

(…) elle était la reine de la neige, la sécurité, la première cerise de l’été, la première châtaigne sortant de sa bogue à l’automne, les citrouilles resplendissantes l’hiver, au printemps le premier bourgeon de la haie (…)

et on ne s’étonne plus que je vous conseille

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La porte de Magda Szabó, traduit par Chantal Philippe. Le Livre de poche, 2017, 352 pages.

8 réflexions sur “Magda Szabó – La porte

  1. AMBROISIE 11 Mai 2017 / 20:55

    Je le vois tout le temps quand je me promène dans ma librairie sans jamais l’acheter cependant. Il me hante et en même temps je ne le choisi pas, c’est assez intriguant comme histoire, surtout qu’il m’attire terriblement. Il va vraiment falloir que je le lise.

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    • Eva 14 Mai 2017 / 20:27

      Il ne faut pas trop hésiter, c’est vraiment un beau livre. Une histoire peu commune, une écriture originale et les personnages qui font réfléchir. Y ajoutons une belle couverture et le compte est bon ! 🙂

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  2. mjo 12 Mai 2017 / 09:03

    J’ai adoré ce roman et… j’adore ta photo de présentation du livre !
    Emerence est un sacré personnage et Viola un amour de chien. Bref, un chef-d’oeuvre, comme le dit haut et fort Daniel Pennac.

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    • Eva 14 Mai 2017 / 20:27

      Tu as raison ! Et en plus je me rends compte que j’ai complètement oublié de mentionner Viola – pourtant un « personnage » à part entière ! J’avoue penser assez souvent à Emerence – c’est une femme qui marque vraiment.

      Merci pour la photo – encore une fois, un livre nous a permis de découvrir un petit coin caché dans notre ville 🙂

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  3. unfilalapage 15 Mai 2017 / 10:49

    J’ai lu plusieurs avis, enthousiastes sans être élogieux. Je ne sais qu’en penser… Mais pourquoi pas, j’ai envie de connaître un peu plus la littérature hongroise !
    Bonne semaine à toi !

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    • Eva 13 septembre 2017 / 11:07

      Je ne sais pas si tu as pu mettre la main dessus, mais je crois que ce livre pourrait te plaire avec un personnage principal assez complexe 🙂

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    • Eva 12 septembre 2017 / 10:24

      Merci ! Tu me diras ce que tu en as pensé !

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