
La saison lituanienne en France se déroule en cette fin d’année 2024 et a pour but de faire mieux connaître la culture de ce pays balte en France. Lors de la Rentrée à l’Est organisée par Sacha, nous nous étions focalisés sur la littérature estonienne et lettone ; nous complétons nos lectures baltes par un roman lituanien récemment traduit en France, Ténèbres et compagnie, dans lequel Sigitas Parulskis revient sur un aspect historique passé sous silence : la participation des Lituaniens à l’extermination des Juifs durant la Seconde Guerre Mondiale.
Vincentas (…) pensait qu’après cette guerre, la valeur des actions de l’âme, de la foi et plus généralement de Dieu avait fortement chuté. Le fils de Dieu avait peut-être ressuscité, le fils de l’Homme, non.
Sigitas Parulskis est un poète, essayiste, dramaturge, critique littéraire… et romancier. Dans la postface du livre, il explique les raisons qui l’ont poussé à écrire sur ce thème : le silence relatif qui entoure le massacre des Juifs dans son pays alors que la quasi-totalité de la population fut exterminée (95% des 220.000 Juifs). Il a donné une interview récemment dans le journal Le Monde, parlant de l’accueil de son livre en Lituanie et du fait qu’il a ainsi pu provoquer des débats.
Dans Ténébres et compagnie, nous suivons un protagoniste principal, Vincentas, alors que les troupes allemandes chassent les soviétiques du pays, en 1941. Vincentas aide son beau-père à la menuiserie mais son activité principale reste la photographie. Arrêté par des partisans lituaniens, il ne doit son salut qu’à un SS qui s’intéresse à lui et lui demande de photographier certaines choses. Pour protéger sa compagne juive, Judita, Vincentas est forcé d’accepter. La réalité de son travail : photographier la souffrance, la peur de ceux qui seront victimes de ce qu’on appelle aujourd’hui la « shoah par balles ».
Quand ils se rapprochèrent de la fosse, à l’intérieur de l’habitacle, les Juifs se mirent à s’agiter, à prier à voix haut et à crier des mots incompréhensibles. Dans la fosse étaient déjà entassés les vieux qui avaient été emmenés avec le camion de la coopérative. Le chauffeur ouvrit la porte latérale du camion, quelques prisonniers russes y montèrent et se mirent à jeter les vieux infirmes dans la fosse. Ils se saisissaient à deux d’un vieux après l’autre comme d’un sac-poubelle et le balançaient dans la fosse où les autres malheureux gémissaient.
Bien sûr, il y a des SS en arrière-plan, mais les noms de ceux qui participent aux exécutions sont tous lituaniens.
Et aujourd’hui, j’ai croisé mon gynécologue, un professeur. Il ne m’a pas reconnue, le pauvre, il marchait sur la chaussée alors que le soldat qui le surveillait marchait sur le trottoir.
Elle regarda Vincent les yeux remplis de ressentiment.
_ Ce n’était pas un Allemand, mais un partisan lituanien.
Vincentas n’avait rien à ajouter. Il avait vu cela plus d’une fois.
Ténèbres et compagnie est un livre qui choque et certains passages sont difficiles à supporter quand l’auteur décrit par exemple ces fosses communes où l’on finit d’achever avec une pelle ceux qui ont un dernier souffle de vie. Il pointe également le fond antisémite chrétien qui animait certains partisans lituaniens, leur chef citant sans cesse des références bibliques lors des massacres. Néanmoins, Parulskis alterne ces scènes « inhumaines » avec d’autres beaucoup plus « humaines », autour de l’amour que porte Vincentas à Judita, ce qui rend la lecture finalement beaucoup plus supportable ; mais à vouloir pactiser avec le Diable, Vincentas en perdra son âme et bien plus…
Je vous conseille vivement de découvrir ce livre majeur, dont on ne peut que se féliciter de voir aujourd’hui publiée une version française, 12 ans après sa parution en Lituanie.
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Ténèbres et compagnie, de Sigitas Parulskis, traduit du lituanien par Marielle Vitureau. Agullo, 2024, 320 pages.
quelle horreur ! C’est bien de ne pas oublier. Je garde ce titre , je ne sais oas encore si je le lirai.
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Oui, ce n’est pas très réjouissant, je te l’accorde. Quoi qu’il en soit, je ne peux que te le recommander.
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Il est dans ma pile à lire, je fermerai les yeux à certains passages s’il le faut… hmm, oui, je sais, c’est moins simple que dans un film…
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Oui, ces passages sont vraiment durs, mais tu le verras toi-même, l’auteur trouve une sorte d’équilibre entre ceux-ci et le film. Bonne lecture par avance !
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J’imagine bien que c’est un passé que les Lituaniens n’ont pas envie de voir refaire surface, et pourtant c’est sûrement salutaire.
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C’est ce que je pense aussi. D’ailleurs, Sigitas Parulskis met en exergue la citation de Julian Barnes en introduction du livre : « Le plus grand patriotisme est de dire à son pays qu’il se comporte de manière déshonorable, idiote et cruelle. »
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Vous trouvez souvent des livres avec des titres décalés Eva et toi. Le sujet n’a rien de drôle contrairement à ce que j’ai d’abord pensé.
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Tu as raison, mais c’est un hasard :-). Oui, cela ferait plutôt penser à un polar ou à un livre plus drôle en raison du « et compagnie » mais une lecture rapide de la 4ème de couverture met les choses au point.
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La parole est longue à arriver mais c’est salutaire. Il faut bien choisir le moment pour aborder ce genre de livre , fut-ce un roman. Je le note.
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Merci pour ton commentaire, tu as tout à fait raison. Je ne doute pas que les livres d’histoire ont déjà traité cette période dans le pays, mais la littérature permet de le faire sous un autre angle, et d’atteindre un autre public.
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Je note aussi ce roman. Depuis que j’ai été dans les pays baltes cet été, l’histoire de ces pays m’intéresse beaucoup.
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En fait, j’ai la mémoire courte: il est déjà sur ma PAL !
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:-). Tu dois être contente, car il y a plusieurs titres qui sont sortis récemment, aussi bien en letton qu’en lituanien, et c’est une bonne chose.
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Une lecture difficile, qui ne plaira pas à tout le monde. J’ai trouvé que les explications en fin d’ouvrage était importantes.
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Oui, c’est un livre qui en effet pourra ne pas plaire à tout le monde, je le conçois. Et tout à fait d’accord avec toi sur l’intérêt des explications à la fin du livre, elles mettent en perspective le cheminement de l’auteur.
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