Quand une mercière à la retraite décide de raconter sa vie à un écrivain en panne d’inspiration, qu’est-ce que cela peut donner ? Un superbe roman finlandais couronné par le prix Courrier International 2011 que je vous conseille vivement : La part de l’homme de Kari Hotakainen.
J’ai découvert ce livre complètement par hasard et, après avoir lu les deux ou trois premières pages dans la librairie, j’ai tout de suite été conquise : Salma Sinikka Malmikunnas y explique le marché qu’elle a conclu avec un écrivain en lui vendant l’histoire de sa famille. Mais honnête comme elle l’est, elle souligne dès le départ ne pas aimer les livres inventés ! Elle défend néanmoins les ouvrages pratiques et les encyclopédies :
(…) Quelle était jadis l’étendue du pouvoir et de la puissance de la Suède et d’où viennent la richesse, la bonne humeur et la solidarité de ses habitants ? On l’oublie parfois, à force de les côtoyer, mais on peut le vérifier dans Les Degrés du savoir.
Dès le début, on tombe sous le charme de Madame Malmikunnas – une femme qui ne prend pas de gants quand elle veut exprimer son avis et des avis, elle en a un peu sur tout ! Avec son mari, Paavo, qui tombe souvent dans les périodes de mutisme, elle a élevé 3 enfants, Helena, Pekka et Maija, auxquels elle envoie régulièrement des cartes postales.
Ma petite Maija !
Quand tu tombes sur meilleur que toi, comme toujours un jour ou l’autre dans la vie, ne panique pas. Il est peut-être meilleur dans un domaine précis, mais bon à rien pour le reste. Rappelle-toi le charpentier qui a construit notre véranda. Un excellent artisan, mais qui passait ses week-ends à pousser la chansonnette la chemise ouverte. Nous récolterons la semaine prochaine nos pommes de terre nouvelles. Penses-y.
Maman
Si, au premier abord, le livre semble surtout humoristique, truffé de situations décalées, on éprouve rapidement un sentiment d’amertume et de gravité qui va prend de l’ampleur au fur et à mesure de la lecture. En racontant les péripéties des enfants, l’auteur dresse en effet un image très critique de la société contemporaine (finlandaise, mais pas seulement). Les absurdités du monde de travail, les préjugés, la vie en marge de société, le racisme… La société de consommation en prend pour son grade ! La vente des abonnements par téléphone, les stands de dégustation dans des supermarchés, un entretien avec un consultant spécialisé dans l’étude de l’ambiance au travail, ou alors le jour où Maija présente son nouveau compagnon à sa famille, font partie des passages que je vais garder en mémoire :
Maija se rendit compte que sa minute était écoulée. Le chef d’équipe avait souligné qu’après une conversation humiliante, il était bon de s’accorder une pause de soixante secondes, le temps de se préparer à l’offensive suivante.
***
La semaine dernière, j’ai eu vingt-cinq réunions. Cinq par jour. Soit six litres de café, dix-huit sandwiches et mille minutes de discours. En comptant que chaque réunion dure environ quarante minutes. Mille minutes de discours, dont dix utiles, et même moins si Kähkönen est présent.
***
Sans rien dire, Maija m’a tendu le papier quadrillé que lui avait donné Paavo. Il y était écrit : « Tu as choisi un Noir. A un de ces jours au téléphone. » Maija était d’autant plus furieuse qu’il avait osé parler de téléphone alors qu’il savait très bien qu’elle n’en avait pas.
Mais je ne vous raconterai rien de plus des péripéties de ces trois adultes, pour ne pas vous subtiliser le plaisir de les découvrir vous-mêmes. Avec Kari Hotakainen, on a l’impression d’être sur des montagnes russes qui nous emmènent on ne sait où. Finalement, on sort réjoui du livre et enchanté par le style de l’auteur, mais assez abattu par l’image du monde qu’il nous a donnée.
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Réf. : La part de l’homme de Kari Hotakainen, traduit par Anne Colin du Terail. 10/18, 2013, 288 p.
vraiment ton billet est une réussite, cela donne très envie de le lire, merci
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C’est vrai que j’ai beaucoup aimé ce livre, j’y pense encore maintenant et je relis de temps en temps quelques passages (j’ai eu du mal à choisir des extraits pour la chronique !) Néanmoins, il faut aussi être sur la même longueur d’onde avec l’auteur, quelques situations seront peut-être trop décalées pour certains, mais j’ai vraiment apprécié son humour.
Merci pour ton retour et bonnes lectures 🙂
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