Marie Laberge – Gabrielle

Le goût du bonheur. Je pense que ce livre ne m’aurait pas forcément attirée si je l’avais vu lors d’une promenade dans une librairie. La couverture et le titre me font trop penser à des romances, à des regards profonds dans les yeux, des jambes et des lèvres supérieures qui tremblent… Mais c’était sans compter sur mon ancienne libraire qui m’a chaudement conseillé cette saga. Elle est superbe, m-a-t’elle dit. Et je lui ai fait confiance. Néanmoins, si j’avais vraiment compris son message, j’aurais acheté les trois tomes d’un coup ! Cela m’aurait évité une petite prise de panique en terminant le premier tome… un premier tome qui m’a beaucoup plu ! Mais bon, l’erreur est réparée. C’est désormais à mon tour de vous parler de cette saga québécoise, signée Marie Laberge.

Nous sommes invités à suivre les destins d’une famille aisée au Québec, les Miller. Edward et Gabrielle se sont mariés en 1922 et vivent depuis dans une relation très complice. Leur famille s’agrandit rapidement, ils ont 6 enfants.

Tout de même, six enfants en huit ans, ce n’est pas très raisonnable, se dit Gabrielle.

Leur vie quotidienne se déroule d’une façon plutôt idyllique, leur famille restant en effet épargnée des effets néfastes que la crise a eu sur la plupart des gens. Edward s’épanouit professionnellement en tant qu’avocat auprès d’entrepreneurs en faillite. Gabrielle est complètement dévouée à sa famille, s’occupe de tout, épaulée par ses sœurs et sa bonne. Si je l’ai trouvée au départ un peu trop parfaite, elle gagne en épaisseur au fur et à mesure de l’histoire. Elle clame obéissance à son mari mais n’hésite finalement pas à prendre certaines mesures qui n’auraient pas plu à son mari et s’affranchit de plus en plus de l’influence de l’Eglise.

Si j’ai mentionné Edward, il ne faudrait pas oublier son meilleur ami, le charismatique et riche Nic McNally. Mais avec ces deux-là, nous avons fait le tour des personnages masculins. En effet, dans ce roman, les femmes sont clairement mises en avant. A part Gabrielle (qui a deux filles), il y a aussi ses sœurs : Germaine (célibataire qui affectionne ses parties de bridge) et Georgina (épouse d’un veuf et mère de deux filles, la sœur la plus rigide des trois). Y ajoutons encore Paulette Séguin, suffragette (quelle horreur pour Germaine et Georgina !) ou Kitty, une jeune femme imprévisible et affranchie.

Au début, j’ai mentionné ma petite crainte concernant le côté « trop romanesque ». Je dois avouer que j’ai quand même trouvé quelques passages excessifs à mon goût, comme par exemple celui-ci :

Edward et sa fougue. Elle revoit la lippe gourmande sous la moustache, la brûlure du regard brun foncé… comment refuser quelque chose de si tentant ?

Mais il n’y a pas matière à se laisser décourager ! En avançant dans la lecture, les passages de ce genre deviennent de plus en plus rares. Ou alors arrêtais-je d’y prêter attention ? Une chose est sûre, dans la deuxième partie, l’histoire gagne en gravité, elle aborde des sujets douloureux de la société de l’époque. Il y a tout d’abord et surtout la condition féminine dans la société ou dans le couple, le droit de vote, le droit des femmes de décider pour elles-mêmes, le divorce, la contraception… Tous ses thèmes sont non seulement mentionnés mais constituent une partie importante (et la plus intéressante) du roman. La vision n’est pas manichéenne (les hommes comme les méchants et les femmes comme les anges), les dames étant souvent les premières à s’indigner du comportement inapproprié d’une épouse.

Germaine surtout est hors d’elle, outrée, indignée de voir sa nièce parler de choses qu’elle ne connaît pas. Jamais elle n’abritera sous son toit une « femme comme ça » qui se mêle de raisonner et d’exiger au lieu de régner par les lois naturelles offertes aux femmes : le charme et l’attention aux autres. (…) « Demande à ton confesseur ce qu’il pense de tes folleries ! Demande-lui ce qu’il pense de ta Thérèse Casgrain et de ses suffragettes. T’auras une bonne idée de ce que Dieu pense des femmes perdues qui veulent voler aux hommes leurs droits les plus justes ! »

La crise apporte avec elle le chômage, la défiance contre les étrangers, la montée de l’antisémitisme. La situation s’aggrave en Europe, ce qui se fait ressentir également en Amérique. Même les prêtres se mobilisent pour mettre en garde leurs moutons contre les immigrés et notamment contre le communisme, ayant peur de tout ce qui pourrait amener à changer l’ordre établi.

J’ai trouvé également très intéressante la description de la situation des familles, surtout des enfants défavorisés et notamment le danger de la tuberculose (cette question était aussi traitée dans le roman Par amour). Le regard des gens sur les malades, les traitements de l’époque, les enfants laissés pour compte…

Toutes ces grandes questions sont vécues par des personnages très attachants et hauts en couleur. Evidemment, on se prend d’affection surtout pour Adélaïde et Florent, deux enfants à l’origine des titres des deux tomes suivants de la saga. Je vous conseille vivement sa lecture – elle est toute fluide, les descriptions et les échanges de l’époque sont à la fois charmants (oui, je voudrais aussi avoir « ma Madame Lizette » qui viendrait pour deux jours chez moi et s’acharnerait à refaire ma garde-robe) et grave par les thèmes qui restent parfois encore d’actualité.

X achetez-le chez votre libraire (si vous êtes adeptes des sagas familiales)

empruntez-le dans votre bibliothèque

lisez plutôt autre chose

Réf.: Le goût du bonheur. Gabrielle de Marie Laberge. Pocket, 2007, 896 pages.

9 réflexions sur “Marie Laberge – Gabrielle

  1. Valentyne 26 janvier 2018 / 04:53

    Un de mes livres préférés toute catégories confondues
    Lu il y a presque 4 ans et je me souviens de tout ….

    Aimé par 2 personnes

    • Eva 28 janvier 2018 / 21:00

      ça ne m’étonne guère ! Vraiment un bon moment de lecture.

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  2. unfilalapage 29 janvier 2018 / 16:22

    Je ne connaissais pas du tout. Les sagas familiales sont un genre que j’apprécie beaucoup, vers lequel je ne me tourne pas aussi souvent que je le voudrais. Ta critique arrive à point nommé ! Peut-être pour les longs mois d’été…

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    • Eva 10 février 2018 / 20:48

      C’est une bonne idée – une lecture idéale pour les vacances. Ca se lit tout seul et on est assez poussé à tourner les pages pour en savoir plus. Et je ne parle même pas de la fin du premier tome !

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  3. lilly 22 mars 2018 / 15:47

    Comme toi, je crains le romanesque de ce livre, mais à force de lire des avis positifs, je commence à me dire qu’il serait intéressant de le découvrir.

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    • Eva 26 mars 2018 / 20:02

      Le livre gagne beaucoup en gravité lorsqu’on avance dans l’histoire. Il y a aussi la guerre en Europe qui éclate, donc le deuxième tome devrait être peut-être plus grave.

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