Et si on bouquinait un peu ?

Premier roman du journaliste et écrivain bosno-serbe Muharem Bazdulj, Le concert est un court récit s’articulant autour d’une date particulière de l’histoire de Sajarevo et de la Bosnie Herzégovine : le 23 septembre 1997, soit à peine deux ans après la fin de la guerre et les Accords de Dayton, le groupe U2 donne un concert à Sarajevo devant près de 50.000 personnes.

En 26 courts chapitres, Muharem Bazdulj nous immisce dans la vie de personnages qui auront tous un point commun : assister à ce concert. Marko, lui, est un inconditionnel du groupe, et voit le monde par le prisme du groupe irlandais. « Il y avait un autre Marko dans sa classe et on les confondait souvent, mais maintenant, son nom était souvent accompagné de la mention « celui qui écoute U2 ». Sejo, lui, ira pour un autre motif : il veut fouler le sol du terrain de foot où se déroule le concert, car il est supporter d’une autre équipe et ne rêve que de détruire la pelouse avec ses bottes… Amra et Ksenija, quant à elles, sèchent leur voyage de fin d’études de terminale pour venir à Sarajevo, Amra rêvant secrètement d’être invitée sur scène pour danser avec Bono sur l’air de « With or without you ». Citons encore Azra, marquée par la guerre, et qui écoutait U2 dans la chambre de son frère décédé :

Dès les premières lueurs d’espoir et les annonces trop belles pour être vraies, Azra avait compris que le show aurait lieu. Elle pensait presque qu’avec le concert, sa vie reviendrait à la normale. Elle avait dit une fois à sa mère, alors que la fin de la guerre approchait : « Pour moi, la guerre sera terminée lorsque U2 donnera un concert ici ». Son frère avait perdu la vie pendant la guerre.

Pour tous ces adolescents et ces jeunes adultes réunis autour de U2, les principaux souvenirs étaient liés à la guerre. En assistant au concert, même s’ils ne sont pas tous des vrais fans, ils souhaitent recoller avec l’expérience de leurs aînés qui ont connu ces moments quand leur pays était en paix. A lire ce livre, on perçoit à quel point les mots d’Azra, cités plus haut, sont partagés par un grand nombre de gens. Ce concert signale un retour à la normalité dans le pays, voire la vraie paix pour d’autres. J’ai d’ailleurs retrouvé un reportage de France 2 de l’époque qui l’atteste.

Je n’ai pu m’empêcher d’écouter quelques morceaux de U2 en lisant Le concert. Malgré une extinction partielle de voix de leur chanteur Bono, ce concert laissa une très forte impression sur place mais aussi à U2 qui le considère comme un des événements les plus forts de leur carrière.

Il est intéressant de voir que des événements culturels ou sportifs prennent ainsi une dimension particulière dans l’histoire d’un pays. En 1990, ce sont les Rolling Stones qui se produisirent à Prague devant 100.000 personnes : le premier concert depuis la Révolution de Velours, un symbole de liberté dans un pays ayant récemment retrouvé la sienne. Dans un autre registre, la finale de la Coupe du monde de 1954, marquée par la victoire surprise de la RFA devant la Hongrie, eut un énorme retentissement pour l’Allemagne, soulignant son renouveau et son retour dans le concert des nations.

Je suis très heureux d’avoir découvert ce livre qui, publié en 2003, vient seulement de sortir début 2024 en version française grâce aux Editions Tropismes. On est bercé par la musique du groupe et par ce sentiment d’assister à un moment de communion dans ce pays. J’ai été quelque peu déstabilisé par le nombre de protagonistes qui se succèdent dans les courts chapitres (j’aurais voulu qu’ils soient davantage creusés), mais je comprends le parti pris de l’auteur qui place le concert au centre du roman et privilégie la forme courte.

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Le concert, de Muharem Bazdulj, traduit du serbe par Zivko Vlahovic. Tropismes éditions, 2024, 128 pages.