Jan Zábrana – Toute une vie

Jan Zábrana (1931-1984) est un poète et traducteur tchèque qui fut l’auteur d’un journal assez monumental de plus de 1000 pages, Toute une vie, dont une petite partie fut traduite en français sous le même titre il y a quelques années. Mélange d’aphorismes, de réflexions personnelles, d’expériences de vie, ce court récit est une dénonciation sans pitié du communisme, à l’origine du gâchis d’une vie.

Tous ceux que le communisme a détruits, mutilés, liquidés physiquement ou mentalement, où que ce soit dans le monde, tous sont mes frères (mot que je n’ai encore employé au sujet de personne).

Jan Zábrana est le fils d’instituteurs arrêtés et jugés durant les procès staliniens qui ont marqué l’instauration du régime communiste dans la Tchécoslovaquie d’après-guerre. Ses parents appartenaient au centre-gauche et combattaient pour le maintien de ce courant au pouvoir. Ils l’ont payé de leur liberté, chacun à leur tour. « Le silence glacial des années 50, desquelles je ne me suis jamais remis », écrit d’ailleurs Zábrana au sujet de cette période.

Les extraits choisis par Patrik Ouředník (l’un des traducteurs, également connu pour son livre Europeana) sont issus de la période de normalisation qui a suivi le Printemps de Prague et l’on perçoit à lire le livre la dépression qui entoure l’auteur. Celui qui, considéré comme bourgeois, dut travailler comme ajusteur-mécanicien avant de devenir traducteur du russe et de l’anglais, souffrit une grande partie de sa vie de ce mal. On peut parler sans exagérer d’une prison intérieure même s’il ne fut pas emprisonné physiquement comme ses parents.

Aujourd’hui, je me suis réveillé avec un sentiment de malheur, de désespoir pour cette nouvelle journée de vie, malvenue, indésirable – malheureux et désespéré de devoir quitter le sommeil, le dernier et unique refuge dans cette vie insupportable. (…) Quand j’en aurai assez de marcher sur les bords, j’irai me balader au fond de l’étang.

Il condamne fermement les agissements des communistes, et ne porte à la tentative de « socialisme à visage humain » que fut celle de Dubček en 1968 qu’indifférence. Son propos est souvent féroce sur le pouvoir mais force est de constater que les agissements de ce dernier lui donnent raison.

Ceux qui nous gouvernent aujourd’hui sont les mêmes assassins qui pendaient des femmes dans les années 50 à la prison de Pankrac. (La veille au soir, les jeunes communistes avaient organisé des discussions publiques sur le thème de « l’Amour » dans plusieurs quartiers de Prague.). Ce sont les mêmes qui laissèrent une femme accoucher seule dans une cellule de béton de Pankrac, qui, nuit après nuit, maintenaient les gens debout dans des cachots d’un mètre carré au sol incliné, où l’on ne pouvait s’appuyer à rien, où on ne pouvait que se tenir debout, les mêmes qui fusillèrent des gens à l’aube et les enterrèrent, qui versèrent la cendre de cadavres incinérés sur la route de Benešov. Oui, oui, ce sont ces vieux assassins bien connus. (…) La première devise de l’homme vivant sous le communisme : ne leur dis jamais la vérité, ne leur dis jamais ce que tu penses réellement… C’est apparemment impossible, pervers, monstrueux, agir de la sorte… Apparemment… Ce n’est pourtant rien d’autre qu’une condition vitale dans un régime pervers et monstrueux.

Acerbe, désespérée, la tonalité prend quelquefois, plus rarement, une forme humoristique ou alors plus émouvante, quand il évoque l’état physique de sa mère, très affaiblie après son passage en prison. Ce sont des moments très forts du livre.

J’ai aimé ce livre car il nous dresse le portrait d’un homme en opposition, un dissident de l’esprit, qui pose un regarde très acerbe sur le régime et ceux qui le soutiennent. C’est un livre qui incite à la vigilance et à la non-compromission avec tout totalitarisme.

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Lisez autre chose

Toute une vie, de Jan Zábrana, traduit du tchèque par Patrik Ourednik et Marianne Canavaggio. Editions Allia, 160 pages, 2005.

6 réflexions sur “Jan Zábrana – Toute une vie

    • Avatar de Patrice Patrice 2 septembre 2025 / 08:05

      Bonjour Hervé, je n’ai pas de compte FB mais je vous remercie d’avoir partagé ce billet ; c’est un livre et un auteur qui méritent l’attention.

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    • Avatar de Patrice Patrice 2 septembre 2025 / 08:08

      Tu as choisi une bonne destination :-). Il y a beaucoup de très bons écrivains tchèques, que l’on parle des « classiques » du 20ème siècle (Kundera, Hrabal par exemple) ou de la nouvelle génération.

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  1. Avatar de Sacha Sacha 28 août 2025 / 09:21

    Cela semble en effet désespéré, mais le propos est précieux pour mieux comprendre les répercussions sur les victimes des purges, y compris ceux qui les ont subies indirectement. On parle assez peu, surtout à la première personne, des traumatismes transmis de génération en génération.

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    • Avatar de Patrice Patrice 2 septembre 2025 / 08:11

      Oui, c’est un commentaire très judicieux. Dans le cas présent, c’est exprimé de façon très explicite.

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