Jaan Kross – Le fou du tzar

krossEmpire russe, province de Livonie (actuelle Estonie), 1827. Le baron Timotheus von Bock vient d’être relâché de prison pour cause de folie. Dans Le fou du tzar qui obtint le Prix du meilleur livre étranger en 1990, Jaan Kross nous relate, sous la forme d’un journal, la vie de ce dernier et les raisons qui ont conduit le tzar à emprisonner celui qui était son plus proche conseiller.  Un roman historique passionnant à découvrir sans plus attendre !

Ecrivain majeur de l’actuelle Estonie, Jaan Kross (1920 – 2007) a été l’auteur de plusieurs romans historiques. Le fou du tzar est considéré comme son roman le plus important. Il s’inspire ici du destin de Timotheus von Bock, un baron aux idées influencées par les Lumières, qui affranchit ses paysans 6 ans avant ceux de Livonie, et qui prit pour épouse Eeva, une fille de paysan, après l’avoir préalablement envoyée (ainsi que son frère Jakob) chez un précepteur qui leur inculqua une grande culture générale.

Le beau-frère de Timo, Jakob, commence à consigner dans un journal ses souvenirs dès la sortie de prison de Timo. La structure narrative s’étend entre 2 périodes majeures : celle de l’arrestation en 1819, et celle qui suit le retour de Timo en résidence surveillé après 1827.

Alexandre Ier est alors tzar de Russie en ce début du XIXème siècle. Petit-fils de Catherine II, il eut à affronter Napoléon Ier durant une grande partie de son règne. Imprégné, du moins au début, par les idées libérales, voici la façon dont étaient marquées ses relations avec Timotheus von Bock :

Cela s’est passé à Saint-Pétersbourg, au Palais d’Hiver, en 1814 ou 1815, c’est-à-dire à une époque où Timo était l’un des aides de camp de l’empereur. Un soir, celui-ci le fit venir après de lui et lui dit : « – Timotheus Bock, je t’ai longuement observé. J’en suis venu à cette conclusion que tu es l’un de ces hommes comme il m’en faut. Et envers lesquels mes exigences sont particulièrement lourdes. L’un des rares ! Viens avec moi ! » Le prenant par le bras, il le conduisit quelque part, dans une chapelle située près de ses appartements. Là, sur l’autel, ente des cierges qui brûlaient, il y avait une Bible. Et l’empereur lui dit : -Timotheus Bock… » Il lui dit même : « -Timothée, mon ami, mets ta main sur le saint livre et promets-moi que tu me diras toujours et en tout la pure vérité, que tu me diras, d’un cœur sincère, toute ce que tu penseras en réalité. Aussi bien lorsque je te le demanderai que lorsque toi-même tu le jugeras nécessaire. »

Von Bock est un homme intègre, et il restera fidèle à ce que le tzar lui demanda. On apprend qu’il rédigea un manuscrit à l’attention de l’Empereur, critiquant ouvertement les Romanov et les ministres en charge à l’époque. Jakob découvra ce document qui est à l’origine de l’emprisonnement de Timotheus et s’en effraya. Pour lui, son beau-frère était en effet fou d’écrire un tel pamphlet et comprend les motivations de l’Empereur.

Le récit oscille donc entre la lecture de ce manuscrit rédigé par Timotheus, et que Jakob dévoile progressivement, la vie quotidienne, les visites qu’Eeva rendait à des personnes susceptibles de convaincre le tzar de revenir sur sa décision, ou encore les déplacements de Jakob à Pärnu pour préparer l’exil du couple après 1827. Assignés à résidence, ils n’étaient pas libres de leur mouvement et étaient surveillés directement par leur beau-frère qui s’installa sur la propriété.

Le fou du tzar n’est pas un livre comprenant de grands rebondissements. Même si le personnage principal est Timo, il ne nous est révélé que via Jakob. Un Jakob assez effacé, qui ne paraît pas toujours courageux (surtout en comparaison avec Timo), mais auquel on s’attache progressivement dans le récit et qui, à sa façon, connaît également son « chemin de Damas », en reconnaissant la constance et le courage de son beau-frère :

Et je dois le dire : si je fais abstraction de certaines de ses considérations dont les limites s’expliquent par sa situation sociale, je me sens, en le lisant, enfermé de nouveau dans une bizarre contradiction : celles de ses idées qui confirment le plus manifestement sa folie sont les preuves les plus évidentes de sa lucidité et de son impitoyable honnêteté…

… Combien existe-t-il d’hommes qui puissent dire de bonne foi : telle fut mon intention et c’est ainsi que je l’ai exécutée ? Et si sur des millions il s’en trouve un qui réunisse le génie et l’énergie nécessaire à la probité – alors c’est un exilé.

Une réflexion très intéressante sur le courage, la nature humaine, l’exercice du pouvoir servie par une très belle écriture ; je vous conseille donc :

X d’acheter ce livre chez votre libraire ou bouquiniste

X de l’emprunter dans votre bibliothèque 

de lire autre chose

Le fou du tzar, de Jaan Kross, traduit de l’estonien par Jean-Luc Moreau. Points Seuil, 1992, 400 pages.

Ce livre a été lu dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran, et du Défi littéraire 2019 de Madame lit, consacré au roman historique.

13 réflexions sur “Jaan Kross – Le fou du tzar

  1. Madame lit 7 mars 2019 / 16:55

    Je suis convaincue que ce roman pourrait me plaire. J’aime les récits sous forme de journal. C’est un lien particulier qui s’installe avec le lecteur… Titre noté pour le défi! Merci pour ta participation!

    Aimé par 1 personne

    • Patrice 7 mars 2019 / 20:14

      J’en suis convaincu aussi. C’est de plus une très jolie plume. Heureux de participer à ces défis mensuels, j’ai déjà des idées pour les mois à venir !

      Aimé par 1 personne

  2. Goran 7 mars 2019 / 18:15

    J’aime les histoires de fou et de ce que tu en dis… Trois articles en sept jours, moi je dis bravo !

    Aimé par 1 personne

    • Patrice 7 mars 2019 / 20:13

      Et je pense que c’est un roman qui pourrait te plaire ! Merci pour les félicitations, on se retrouve dimanche pour la suite 🙂

      J’aime

  3. Ingannmic 7 mars 2019 / 21:21

    Je rejoins complètement ton avis, j’avais vraiment aimé ce roman, et ce personnage de Jakob,bien plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord..

    J’aime

    • Patrice 12 mars 2019 / 20:19

      Exactement, et ça donne envie de lire un autre livre de Jaan Kross en tout cas !

      J’aime

  4. Passage à l'Est! 7 mars 2019 / 21:22

    Un roman qui m’avait beaucoup plu quand je l’ai lu il y a quelques années! Il faudrait que je le relise.

    J’aime

    • Patrice 12 mars 2019 / 20:23

      Tu pourrais le relire pour le Mois de l’Europe de l’Est 2020 🙂

      J’aime

  5. laboucheaoreille 10 mars 2019 / 18:22

    J’avoue que je bloque un peu sur les romans historiques, mais votre chronique est très alléchante et les extraits très bien choisis …

    J’aime

    • Patrice 12 mars 2019 / 20:26

      Les considérations historiques ne sont pas omniprésentes et ne s’imposent pas au lecteur, je crois pouvoir le conseiller sans réserve.

      J’aime

  6. Eve-Yeshé 15 mars 2019 / 15:22

    Ce roman devrait me plaire, je le note car inconnu au bataillon pour moi 🙂

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.