Nous sommes dans la Roumanie communiste des années 80, et le narrateur du livre, alors âgé de 11 ans, se retrouve privé de père, ce dernier étant condamné à purger une peine dans un camp de travail. Deuxième livre de l’auteur hongrois György Dragomán, auteur issu de la minorité hongroise de la Transylvanie roumaine, Le roi blanc décrit la vie vécue par ce fils, avec comme toile de fond la société roumaine et ses travers.
La grande originalité du roman réside dans le fait que le narrateur, Dzsátá, est un enfant. Particulièrement loquace, il s’exprime dans un grand flot de paroles qui se traduit par des phrases très longues où les idées et les observations s’enchaînent. Et cela est particulièrement réussi. Il observe ainsi avec naïveté, insouciance, ou peur, les événements qui jalonnent le quotidien de sa famille et de cette société totalitaire.
Dzsátá ne savait pas que son père avait été envoyé dans un camp ; c’est lorsque les agents de la sécurité débarquent chez sa mère qu’ils lui révèlent tout.
Cela faisait déjà plus de six mois qu’on vivait sans papa, il était censé partir en voyage pour une semaine, au bord de la mer, dans un centre de recherche, pour une affaire urgente, quand il m’a dit au revoir il m’a dit combien il regrettait de ne pas pouvoir m’emmener avec lui parce que la mer, à cette époque de l’année, à la fin de l’automne, c’était un spectacle inoubliable (…).
Chaque chapitre équivaut à une histoire de la vie du narrateur et n’est pas forcément lié à d’autres. Il y a des événements qui sont ceux d’enfants d’une dizaine d’années, racontés avec une vraie drôlerie, par exemple quand il veut sauter dans un trou avec son camarade Szabi (afin de se casser la jambe) pour éviter de retourner à l’école, les deux enfants ayant joué l’argent destiné aux fournitures des festivités du 1er mai. Ou encore quand il ressent ses premiers émois amoureux.
Néanmoins, la gravité n’est jamais loin, et la critique du régime est acerbe. Le manque de moralité de la société (même les jeux de pionnier sont truqués parce qu’il faut qu’une certaine école gagne), la violence (les enfants se font la guerre entre eux), sans parler du dénuement, qui pousse un jeune enfant à faire du porte-à-porte pour que sa famille puisse vivre, ou encore des portraits de généraux qui disparaissent, bannis par le régime. Lorsque les enfants assistent à une projection au cinéma, une coupure de courant intervient (c’est habituel en raisons des problèmes d’approvisionnement) ; les groupes électrogènes ne peuvent prendre le relais car les réserves de gasoil ont été volées (il en reste néanmoins assez pour la salle de projection privée qu’on devine réservée aux apparatchiks). Voilà l’état dans lequel se trouve l’économie roumaine dans les années 80. Et comble du burlesque, les enfants se voient obliger de chanter des chants patriotiques pendant cette coupure de courant.
De même, lorsqu’un arrivage de fruits exotiques est annoncé dans un magasin, c’est une file d’attente à n’en pas finir qui se met en place et la situation dégénère :
Comme cela faisait bien trois ans que je n’avais pas mangé le moindre fruit exotique, je me suis mis à courir à toute vitesse en direction de la rue Hangya. On entendait des clameurs de loin, et, dès que je suis arrivé au coin de la rue, j’ai vu la queue, elle s’étendait jusqu’au milieu de la rue, et faisait bien quarante mètres de long, au bout de la file, les gens étaient massés par quatre ou cinq mais vers l’entrée du magasin la queue se rétrécissait car on ne pouvait passer que deux par deux par la porte, juste devant, un ouvrier de l’usine de métallurgie était en train de secouer par le col un homme en imperméable qui avait une tête toute rouge, il lui demandait en hurlant où est-ce qu’il se croyait, il ne pensait toute de même pas qu’on allait le laisser passer devant tout le monde, on les connaissait bien les types sans scrupules dans son genre, mais il n’était pas question qu’il se glisse devant les honnêtes gens qui faisaient sagement la queue (…).
Cela donne au final un livre très réussi, qui sait habilement montrer la société, ses manipulations, sa dureté.
N’hésitez pas à aller lire la chronique enthousiaste de Passage à l’Est.
Je vous conseille donc :
X d’acheter ce livre chez votre libraire ou bouquiniste
X de l’emprunter dans votre bibliothèque
de lire autre chose
Le roi blanc de György Dragomán, traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly. Editions Gallimard, collection Du monde entier, 2017, 290 pages.
Ce livre a été lu dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran,
Intéressant
Je le note car j’aime souvent les livres écrit à hauteur d’enfants…
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Oui, c’est un angle de vue très intéressant
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Comme Valentyne je note…
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Ah, ce Roi blanc est un grand souvenir de lecture; Dragomán a tellement bien réussi à créer ce monde d’enfant. Les scènes que tu mentionnes avec Szabi et au cinéma sont parmi celles que j’ai retenues pour les émotions contradictoires qu’elles dégagent. Merci pour le lien.
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Le livre était déjà dans la PAL du Mois de l’Europe de l’Est quand j’ai découvert ton avis enflammé. Je pense que les personnes qui liront ton avis iront se précipiter pour l’acheter !
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J’ai « Le bûcher » d même auteur dans ma pile… je pourrais bien l’en sortir pour ce mois. Je n’ai pas encore décidé ce que je lirai.
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Aha, suspens alors ? C’est une bonne idée. Ca peut même être Le bûcher + un autre livre 🙂
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Un bien beau billet qui donne envie de découvrir cet auteur, c’est juste une question de temps et sans doute de classement dans les sollicitations.
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Merci à toi, je suis heureux que ce soit le sentiment qui en ressort. Belle découverte également de mon côté.
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Merci pour ce billet qui me permet d’en savoir plus sur l’auteur alors que je vais débuter la lecture du son roman Le bûcher 🙂
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Merci. Je me réjouis donc de bientôt lire ton avis sur Le Bûcher !
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Je vais lire Le bûcher de cet auteur mais Le roi blanc me tente bien aussi !
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En fait, je crois que Le roi blanc est le premier tome de la trilogie (mais il s’agit d’une trilogie peu connectée, à ce que j’ai cru comprendre).
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Bonjour,
je viens de découvrir votre blog, et l’existence du « mois de l’Europe centrale ». J’espère qu’il est encore temps d’y participer avec un « journal de lecture » du « Bûcher » ? Vous pouvez le trouver à l’adresse de mon blog : budablog.over-blog.com
En espérant qu’il vous intéressera …
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Merci beaucoup pour votre jolie contribution. J’ai lu avec beaucoup de plaisir votre chronique. Serait-il possible de rajouter en fin de page le logo du mois de l’Europe de l’Est, ou de mentionner que celle-ci a été rédigée dans le cadre du mois de l’Europe de l’Est? Merci beaucoup et n’hésitez pas si vous souhaitez nous rejoindre encore en mars :-). Bien à vous. Patrice
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Comme tu l’as dit, c’est un roman vraiment très réussi! Une belle découverte!
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