Si la Suède est aujourd’hui un exemple de pays développé avec une législation sociale favorable, il n’en fut pas toujours le cas. Il suffit de relire La saga des émigrants de Wilhelm Moberg pour se souvenir des conditions très difficiles dans lesquelles vivaient les paysans durant le XIXème siècle. C’est aussi la vie des travailleurs de la terre que nous dépeint Ivar Lo-Johansson dans son recueil de nouvelles La tombe du bœuf.
Ecrivain prolétarien, Ivar Lo-Johansson a consacré une grande partie de son oeuvre aux ouvriers agricoles, appelés en suédois « statare » et qui, jusqu’en 1945, vivaient dans des conditions proches du servage. Les 29 nouvelles qui composent « La tombe du bœuf » ont ce point commun entre elles de raconter leur quotidien, même si elles restent indépendantes les unes des autres. Elles se déroulent principalement sur la première moitié du XXème siècle.
Ce sont donc les conditions de vie qui frappent le plus le lecteur. Dans la première nouvelle, qui a donné son nom au recueil, ce sont les bœufs qui meurent d’épuisement et de faim ; dans une autre, les hommes candides ingèrent des extraits de fer limé pour devenir plus forts. Plus loin, lorsqu’un homme extérieur au village arrive dans l’un des maisons d’un ouvrier, voilà ce qu’il découvre :
Aux questions de l’étranger elle répondit que sa mère, qui venait de partir pour la traite de la mi-journée, quittait la maison à cinq heures tous les matins. Que le père partait travailler au château à six heures et ne revenait que pour prendre le repas, en fin de journée. Que le dimanche il était à la maison toute la journée, sauf une fois sur trois car il était alors de garde à l’écurie. Qu’ils avaient été neuf enfants mais n’étaient plus que sept.
Les propriétaires souhaitaient d’ailleurs embaucher des couples qui pourraient tous les deux se consacrer à la besogne. Comment, dans ces conditions, ne pas se rebeller ? C’est ce qui arrive progressivement. Des « agitateurs » apparaissent dans le récit, des syndicats se créent, des grèves sont votées. Les propriétaires réagissent en expulsant les métayers et les ouvriers qui travaillaient pourtant depuis longtemps dans les domaines. Les revendications ne sont pourtant pas extravagantes ; dans l’une des nouvelles, on apprend que le syndicat souhaite que la journée de travail, débutée à 4h, cesse à 20h au lieu de 21h…
Se basant également sur des faits et des personnages ayant existé (comme ce cordonnier qui deviendra ministre des Finances de Suède quelques années plus tard), les nouvelles sont à la fois tragiques, comiques (plus rarement), parfois personnelles (l’une des dernières, très réussie, est consacrée au grand-père de l’auteur), elles livrent donc un témoignage de premier plan sur la classe ouvrière agricole, tout en offrant de jolis portraits, comme celui de ce vacher amoureux des livres. Elles dépeignent aussi le changement d’époque qui s’opère : la modernisation de l’agriculture arrive. Les bœufs sont remplacés par des tracteurs, les animaux sont vaccinés, les bâtiments chaulés… A une époque où notre ministre de l’agriculture français prône un retour à l’agriculture de nos grands-parents, n’oublions pas l’apport de la modernité !
Les travailleurs de l’agriculture considéraient de plus en plus leurs employeurs comme des égaux. Lors des conflits du travail, ils se retrouvaient face à face autour de la table de négociations. Les salaires augmentaient. Le « salaire en nature » ne devait plus être considéré comme quelque chose d’offensant, les caques de hareng avarié commençaient à quitter les greniers et les enfants d’ouvriers agricoles n’étaient plus condamnés d’avance à errer de domaine en domaine, sans autre horizon, comme leurs ancêtres l’avaient fait.
Je vous conseille donc de découvrir cet ouvrage difficile à trouver en :
X l’achetant chez votre bouquiniste
X l’empruntant dans votre bibliothèque
lisant autre chose
La tombe du boeuf et autres récits, de Ivar Lo-Johansson, traduit du suédois par Philippe Bouquet. Actes Sud, 1982, 292 pages.
Cette lecture s’inscrit dans le cadre du défi Mai en nouvelles organisé par La nuit je mens et Hopsouslacouette.
quel beau billet qui donne très envie de retrouver cette lecture.
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Merci à toi pour ce commentaire. C’est ma plus belle récompense de voir que ce livre est susceptible de gagner d’autres lecteurs !
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Oooh, ce blog est un lieu de perdition… et ce titre a l’air passionnant ! Merci pour cette idée originale de lecture.
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Je connais un excellent lieu de perdition aussi chez Book’Ing :-). C’est en effet une lecture peu commune que j’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir !
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oui un beau billet qui rappelle à tous les conditions de vie, le manque de soins, l’espérance de vie beaucoup plus courte, etc. Merci pour ta participation !
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Merci beaucoup à toi pour l’initiative. C’est grâce à elle que je me suis enfin plongé dans la lecture de ce livre 🙂
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belle critique, je ne connaissais pas donc je note 🙂
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Note, note :-). Je suis en train de lire le second tome, « Histoire d’un cheval » que je trouve encore meilleur !
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Des nouvelles sur fond d’histoire sociale ça parait passionnant. Ca doit ressembler un peu à Zola ou Maupassant j’imagine ?
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Très différent de Zola, beaucoup plus concis, « brut » comme je le mentionnais à Luocine.
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Quelle belle découverte! Je ne connaissais pas l’auteur, et je ne savais pas que la Suède était si en retard jusque si récemment. On dirait une vieille édition? L’indication que le livre est « adapté » du suédois est curieuse.
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C’est une édition des années 80 mais a priori, pas disponible « en neuf »
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