David Grossman – La vie joue avec moi

Place aujourd’hui à un grand auteur israélien, David Grossman, dont le livre Une femme fuyant l’annonce m’avait subjuguée il y a de nombreuses années. D’ailleurs, si vous le voyez sur les étals de votre librairie, n’hésitez pas. Avant Noël, j’ai eu envie de découvrir le dernier livre de l’auteur, La vie joue avec moi, édité chez Seuil. Grâce à lui, mon année marquée par une longue panne de lecture sans précédents, comme diraient des journalistes, se termine en beauté avec un grand coup de cœur.

Au centre du livre se trouvent trois générations de femmes : Vera, née en 1918, qui fête son 90ème anniversaire, sa fille Nina (63 ans) et sa petite-fille Guili (39 ans). La fête est grande, chaleureuse, chacun souhaite rendre hommage à Vera, prononcer un petit discours, rappeler une anecdote. Plus tard, Nina qui a une relation compliquée avec sa mère, exprime le souhait de faire tourner un film sur cette dernière.

Nina n’est pas là.

Absente, Nina.

Mais son absence a toujours été sa seule contribution à la famille.

Le film, la caméra, le tournage accompagnent le lecteur tout au long du livre. Au début, c’était la raison pour laquelle j’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire qui me paraissait alors décousue. Les prises d’image se succèdent, ainsi que les narrateurs à des époques différentes. Grâce à ces images, le puzzle se met petit à petit en place : on apprend d’abord l’arrivée de Vera en Israël en 1963, sa rencontre (décrite de façon sublime) avec Touvia (qui deviendra son second mari) et son fils Raphy, leur vie au kibbutz. Mais sa vie d’autrefois rode toujours et se manifeste surtout lors des visites irrégulières de sa fille. Jusqu’à cette fameuse soirée où, sur l’idée de Nina, les trois femmes accompagnées de Raphy se mettent en route pour la Croatie et y remontent tout le passé de Vera.

Nous nous emmitouflons avec nos blousons et nos gants, et aussi nos bonnets de laine divers et variés que chacun de nous a emportés pour ce voyage (et nous nous apercevons que tous ont été tricotés par Véra), ce qui nous donne l’apparence de participants à l’excursion annuelle des idiots du village.

Ici commence un voyage passionnant dans la grande Histoire du XXème siècle avec des escales en Serbie, Croatie et surtout sur l’île-goulag de Goli Otok où Vera a été condamnée à des travaux forcés par le régime de Tito. Je n’ai appris qu’à la fin que le personnage de Véra a été inspiré par Eva Panić Nahir, l’amie de David Grossman. L’écrivain serbe, Danilo Kiš lui a également consacré un documentaire. Une vie qui pourrait sans hésitation faire un grand film.

Et mon père (…) c’était un militaire dans l’âme ! Oh, là, là ! (…) Dans son âme, il était sergent-major même si, pas un seul jour, il n’a été à l’armée. Et quand il rentrait chez nous, tout de suite, on se levait en son honneur, même si, pardonnez-moi, on était aux toilettes. Un Hongrois pur jus, une terreur !

L’histoire éclaire sur les conséquences de la rupture entre Tito et Staline, sur les procès, les camps de rééducation en Yougoslavie. Des milliers de prisonniers politiques, dont Eva Panić Nahir alias Véra, sont passés par la prison de Goli Otok, une île particulière par son manque de végétation. Travail jusqu’à épuisement, torture, humiliation, l’île est alors surnommée « l’enfer sur terre ».

Elle s’efforce d’oublier le soleil. Une boule jaune incandescente est suspendue à la verticale de son crâne qui grésille et transpire. Il ne va plus rester une goutte de fluide dans son corps. Son sang s’épaissit et sa circulation se ralentit. Les puces raffoleraient d’un sang pareil. Lorsqu’elle travaillait dans les marais, dès son arrivée ici, des sangsues se collaient à ses jambes, enflaient peu à peu à force de sang, puis se détachaient, grasses et gavées. Certaines femmes essayaient de les manger, Véra aussi, mais leur goût était épouvantable. Ici au moins, aucune trace de sangsues. Mais ce soleil…

Le livre de David Grossman est profondément humain, ses personnages sont traités avec beaucoup de tendresse et de l’empathie. La caméra capte tous les détails, les changements de posture ou les expressions dans les visages… tout en dressant un portrait de l’ancienne Yougoslavie. Un pari réussi que de décrire ce choix d’Eva (en allusion à la Choix de Sophie de Styron) avec toutes les nuances…


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La vie joue avec moi, de David Grossman. Traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche. Seuil, 2020, 336 pages.

21 réflexions sur “David Grossman – La vie joue avec moi

  1. Goran 3 janvier 2021 / 11:22

    Et bien et bien, ce livre parle de choses que je connais très bien… Et bien, voilà ce livre fera partie de ma prochaine commande… Le Goli Otok ou l’île nue en français…

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  2. Livr'escapades 3 janvier 2021 / 14:17

    Voilà donc ce grand coup de coeur! Ravie pour toi qu’une pépite ait mis fin à ta monumentale panne de lecture. J’ai vu « Une femme fuyant l’annonce » dans ma librairie la semaine dernière mais la misérable que je suis est prodigieusement passée à côté… Tu sais mes nombreux craquages de ces derniers temps donc je me vais me calmer un peu mais je note et souligne l’auteur. Quoique… je ne suis plus à un Grossman près 😬

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    • Eva 20 janvier 2021 / 09:42

      C’est une belle solution : tu remplaces Vassili par David !
      J’aime beaucoup David Grossman, je vais certainement en choisir un autre cette année.
      N’hésite pas si tu le vois dans une librairies 🙂

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  3. Eve-Yeshé 3 janvier 2021 / 15:24

    je le retiens aussi ce voyage dans l’histoire va sûrement me plaire, c’est un genre que j’apprécie particulièrement…
    J’ai déjà « Femme fuyant l’annonce » dans ma PAL alors peut-être tir groupé 🙂

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  4. Passage à l'Est! 3 janvier 2021 / 15:29

    Moi aussi, ce livre m’intéresse beaucoup grâce à ta chronique. Je n’ai encore rien lu de David Grossman!
    Je suis en tout cas contente que le livre t’ait permis de renouer avec la lecture, et je te souhaite que cette nouvelle année t’apporte d’autres coup de coeur ou au moins beaucoup de plaisirs de lecture.

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    • Eva 20 janvier 2021 / 09:46

      Merci !

      C’est un livre qui pourrait vraiment te plaire, surtout les passages où Vera parle des pays que tu aimes bien 🙂

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  5. laboucheaoreille 5 janvier 2021 / 20:13

    Je ne connais jusqu’à présent qu’Amos Oz comme écrivain israélien (et d’ailleurs je l’aime beaucoup !), mais David Grossman a l’air également très intéressant, d’après cette chronique.

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    • Eva 20 janvier 2021 / 09:50

      Oui, si jamais tu as l’occasion, n’hésite pas. C’est un excellent auteur.
      J’ai un gros pavé d’Amos Oz, j’attends le bon moment depuis des années 🙂

      J’ai aussi lu (et chroniqué) Zeruya Shalev, mais c’est un autre style.

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      • laboucheaoreille 21 janvier 2021 / 16:56

        Moi aussi j’ai lu un gros pavé d’Amos Oz, « Une histoire d’amour et de ténèbres », très beau livre ! Pas lu encore Zeruya Shalev par contre …

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  6. Lilly 13 janvier 2021 / 09:13

    J’ai abandonné « Une femme fuyant l’annonce » il y a fort longtemps, mais j’espère le reprendre un jour. L’histoire de celui-ci semble passionnante.

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    • Eva 20 janvier 2021 / 09:53

      Il faut peut-être un peu s’accrocher au début, c’est un joli pavé ! Mais j’ai beaucoup aimé… Une histoire puissante en lien aussi (malheureusement) avec l’histoire personnelle de l’auteur.

      Son dernier livre est peut-être plus abordable.

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  7. Miriam Panigel 13 janvier 2021 / 20:45

    Terminé ! Et rédigé mon billet. Beaucoup aimé. Tant de niveaux de lecture : relations mere/fille dysfonctionnelles. Yougoslavie multiculturelle. Bagne titiste aussi malingre of d en film…et tant d amour…

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    • Eva 20 janvier 2021 / 10:01

      Je partage ton avis, un excellent livre et très riche…

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