Cay Rademacher – La traversée vers Mascate

Montez à bord du Champollion, on va bientôt larguer les amarres ! Avec Cay Rademacher à la barre et en compagnie de la (pas très aimable) famille Rosterg, le but du voyage sera La traversée vers Mascate.

Si je meurs, ce sera en mer.

On est en 1929 et la famille Rosterg arrive à Marseille. Des regards de travers, quelques crachats par terre – les locaux ne cachent pas leur animosité, car les Rosterg sont des Allemands, une nationalité que l’on ne voit pas de si bon oeil à l’époque. A la tête de la famille, Hugo Rosterg, marchand d’aromates qui envisage d’importer des épices de Mascate vers l’Allemagne. Il est accompagné de son épouse Martha et de leurs enfants Dora et Ernst, et épaulé par son fondé de pouvoir Lüttgen, qui doit veiller à toutes les démarches administratives et législatives.

Theodor Jung, le beau-fils, n’était pas vraiment le bienvenu à bord (car jugé inutile pour le commerce, ou inutile tout court), mais ne voulant pas laisser Dora toute seule dans les griffes du vieux Rosterg et du répugnant Lüttgen, il s’est arrangé avec son employeur et a rejoint les voyageurs en tant que journaliste-reporter pour le Berliner Illustrierte. Dès les premières lignes, on perçoit l’antipathie réciproque entre Jung et Lüttgen, car ce dernier met les choses au clair avant que l’ancre soit levée : il demande à Jung de quitter le paquebot et de divorcer de Dora. Evidemment, Jung refuse et c’est parti pour un voyage de deux semaines.

La mère de Jung descendait d’une famille noble du Holstein, si bien qu’avec une telle origine, toutes les portes étaient ouvertes à leur rejeton… si l’Empire avait vécu.

Les Rosterg voyagent naturellement en première classe et on assiste à des journées agréables, ponctuées par des promenades sur le pont, des échanges plus ou moins courtois avec d’autres passagers et des dîners (petite parenthèse gourmande : on nous servira une croustade de grives aux senteurs de Provence lors de la première soirée). L’auteur prend le temps pour planter le décor et pour présenter tous les personnages et ça, jusqu’à la fameuse page 99, où certains commenceront peut-être à se poser des questions concernant la dynamique de l’intrigue…

Quand il s’assit, Jung respira une odeur de cigare froid. Dorgelès parlait allemand avec un fort accent français et il se demanda où il avait appris la langue. L’officier n’avait pas l’air d’être alsacien et semblait tout droit sorti des ruelles de Marseille. Ernst le regardait d’un air maussade. Pour la plupart des SA, les Français n’étaient pas en odeur de sainteté. Jung douta que l’officier sût que le fils de son « vieil ami » Rosterg adorait fanfaronner en uniforme brun.

Les premières 100 pages ne sont pas ennuyeuses pour autant, bien au contraire. L’auteur brosse un portrait de l’Allemagne, de la société des années 20, des convictions de certains (dont Ernst, partisan des chemises brunes). Le côté historique est clairement son point fort, ce que confirmeront probablement les lecteurs de sa Trilogie hambourgeoise qui nous emmène dans l’Allemagne d’après-guerre. Pour peaufiner son tableau, il ajoute des personnages réels (dont l’extravagante danseuse Anita Berber, fantasme de la plupart des hommes à bord) ou de nombreux détails historiques (tout en précisant dans la postface où il a pris des libertés).

Autour de la page fatidique 99, un personnage clé de l’histoire disparaît et c’en est fini de la quiétude. Jung, muni de son Leica, trouvera une alliée surprenante dans l’équipage du paquebot – celle-ci l’aidera à combattre ses démons liés à la première guerre mondiale et tenter d’élucider le mystère. Si Jung n’y arrive pas avant l’arrivée à Mascate, c’est lui qui sera tout simplement désigné coupable…

Avec La traversée vers Mascate, l’auteur nous offre un très bon huis-clos (avec quelques escales pour souffler) selon les recettes confirmées d’Agatha Christie et un agréable dépaysement avec des touches orientales et des passagers cosmopolites. Un roman qui ravira les amateurs de polars historiques et qui laisse, selon moi, une petite porte entrouverte pour un éventuel tome deux.

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La traversée vers Mascate, de Cay Rademacher, traduit de l’allemand par Georges Sturm. Editions du Masque, 2023, 352 pages.

19 réflexions sur “Cay Rademacher – La traversée vers Mascate

  1. keisha41 21 janvier 2024 / 07:56

    J’aurais bien embarqué, mais ma bibli ne propose que des intrigues en Europe. A tenter quand même!

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    • Eva 29 janvier 2024 / 15:37

      Prendre l’air frais sur ce paquebot m’a fait beaucoup de bien. Tu pourrais peut-être tenter sa trilogie hambourgeoise ou alors son polar provençal. C’est curieux qu’autant d’auteurs étrangers placent leur intrigue en France ! (Rademacher, Bannalec, Walker…)

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    • Eva 29 janvier 2024 / 15:37

      N’hésite pas, c’est un sympathique dépaysement.

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  2. aifelle 22 janvier 2024 / 07:22

    Je n’ai pas encore lu l’auteur. Il fait partie de ceux que j’aimerais bien découvrir.

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    • Eva 29 janvier 2024 / 15:38

      Il faut juste choisir par où commencer : le Hambourg d’après guerre, la Provence ou la traversée 🙂

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  3. luocine 22 janvier 2024 / 11:02

    un billet qui donne envie, mais mon temps de lecture n’est extensible à l’infini.

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    • Eva 29 janvier 2024 / 15:38

      Je comprends. Il faut faire ses choix dans cette offre qui s’accroit tous les jours et aussi ne pas avoir peur d’interrompre sans scrupules un livre qui ne passe pas.

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    • Eva 29 janvier 2024 / 15:39

      Il a écrit le premier tome de la trilogie hambourgeoise en 2011 et ce roman est son dernier livre (en 2022 en allemand). C’est une très bonne idée d’enchaîner plusieurs livres qui se déroulent à la même période, ça restitue bien l’époque sous différents angles.
      (La trilogie berlinoise est de Philipp Kerr 🙂

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  4. Sacha 22 janvier 2024 / 17:26

    Très tentant, pour l’intrigue à la Agatha Christie et l’époque toujours passionnante !

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    • Eva 29 janvier 2024 / 15:40

      Je pense que c’est un livre qui pourrait te plaire ! J’ai apprécié le côté historique, les passagers de différentes nationalités et même la petite touche exotique avec les quelques escales.

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    • Eva 29 janvier 2024 / 15:40

      Pour moi, c’était un vrai dépaysement et j’ai toujours beaucoup aimé Agatha Christie. Le côté historique de la fin des années 20 était un vrai atout pour moi.

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    • Eva 29 janvier 2024 / 15:41

      Ça souffle et les passagers vivront même une petite tempête, mais c’est une lecture tout à fait agréable pour le lecteur 🙂

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