Ce mois de janvier était LE mois où j’ai enfin découvert la plume d’Anna Funder. Il n’est peut-être pas nécessaire de la présenter puisque la plupart d’entre vous ont sans doute déjà lu un ou deux de ses livres. Rappelons simplement que c’est une autrice australienne qui a étudié (entre autres) la littérature anglaise et pour laquelle les séjours à Berlin, la connaissance de la langue allemande et l’intérêt pour les droits humains étaient sans doute des blocs de construction nécessaires à la rédaction de son ouvrage passionnant, Stasiland.
Comment peut-on avoir appartenu à un tel univers, puis l’avoir vu disparaître en même temps que la place qu’on y occupait ?
Afin d’écrire son livre, qu’on pourrait également qualifier de reportage ou témoignage, Anna Funder a donné la parole à des personnes de camps opposés pour ensuite reconstituer un tableau représentant la (ex-)RDA : les victimes du régime totalitaire d’un côté et les membres de la Stasi de l’autre. Venant d’un autre continent et grâce à de nombreuses recherches, Anna Funder a su poser un regard nouveau sur la vie et le fonctionnement de cette machine incroyable que fut la RDA, le « rêve socialiste » basé sur l’espionnage et mensonge.
Julia et sa famille, comme beaucoup d’autres en RDA, oscillaient entre une perception objective de la situation dans le pays et le rejet de cette perception pour éviter de devenir fous.
Les destins de Miriam, Frau Paul ou Julia sont poignants et servent de douche froide à ceux dont les connaissances de l’Allemagne de l’Est se résument à des photos d’une trabi, au film Good Bye, Lenin ! ou aux bisous passionnés devant le Mur de Berlin entre Brejnev et Honecker. Ces histoires de vies brisées alternent avec des rencontres entre Anna Funder et les anciens officiers de la Stasi ou leurs collaborateurs. Ceux-ci ne font pas part de remords, loin de là, mais témoignent du travail « bien fait », de devoir envers le système et frappent par leur capacité à s’adapter aux temps nouveaux grâce à de nombreux entraînements ou formations (notamment l’art de manipuler), tout en contraste avec leur victimes, incapables de se reconstruire.
Certaines informations font tristement écho à des articles de presse contemporains – l’emprisonnement des opposants avant des événements importants (pour que ces derniers ne nuisent pas à la bonne image du régime), la désinformation dans les médias (exercées par le régime totalitaire à l’Ouest par l’intermédiaire des agents), la valeur nulle de la vie humaine, la retranscription des manuels scolaires, des pseudo avocats ou juges…
La division falsifiait des documents et effectuait des montages à partir d’enregistrements, pour créer de toutes pièces des conversations susceptibles de détruire des carrières. Elle faisait circuler de fausses rumeurs sur des personnalités de l’Ouest, allant même jusqu’à prétendre (rumeur accablante s’il en est) que leur cible travaillait pour la Stasi !
Outre des faits connus, j’ai appris l’existence des femmes-puzzles de Nuremberg qui essaient de recoller des milliers de bouts de papiers que les membres de la Stasi ont déchirés à la fin de 1989 avant que leur bateau ne coule définitivement. Le nombre de sacs s’élève à 16.000 (!), chiffre qui illustre parfaitement l’étendu de l’espionnage des citoyens. Il faudrait encore 400 ans pour recoller tous les documents, mais les nouvelles technologies offrent de l’espoir aux victimes qui souhaitent enfin comprendre certains éléments de leurs vies.
Dans la séquence suivante, un homme aux cheveux bien coiffés et à la moustache rousse, ancien psychologue de la Stasi, justifie la volonté des gens à moucharder leurs compatriotes en la qualifiant d’ « envie de s’assurer que tout le monde se comporte comme il faut ». Sans ciller. « C’est quelque chose de profondément ancré dans la mentalité allemande, dit-il, une certaine envie d’ordre, de minutie, ce genre de trucs. »
Anna Funder touche à toutes les facettes du système d’autrefois : les fuites vers l’Ouest, le chantage, les tortures, les « suicides » (le régime ne se préoccupaient même pas de fabriquer un camouflage à peu près crédible), ainsi que les différentes perceptions des citoyens (des dissidents, ceux qui s’adaptent, ceux qui vivent dans l’ostalgie des bons vieux temps alias « on n’a pas besoin de bananes« ) mais elle laisse le lecteur respirer à quelques moments en décrivant par exemple l’architecture de Berlin ou en donnant l’envie de visionner la danse nommée Lipsi.
Au final, Anna Funder a su brosser un tableau passionnant et riche d’informations d’une période pas si lointaine qui met en garde contre les régimes totalitaires et qui devrait faire partie des lectures imposées à l’école. A lire et à offrir !
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Stasiland, d’Anna Funder, traduit de l’anglais (Australie) par Mireille Vignol. Editions Héloïse d’Ormesson, 2023, 368 pages.
Je suis peut-être la seule à n’avoir lu aucun livre d’Anna Funder. En tout cas, je note ce titre car je m’intéresse beaucoup à l’ex-RDA. A tort ou à raison, je trouve que l’histoire contemporaine allemande se focalise davantage sur le 3ème Reich (et cela est légitime à cause de l’horreur de la Shoah) que sur l’après guerre, la partition du pays et la dictature communiste.
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Après avoir reçu vos commentaires, je vois que je suis plutôt la seule à l’avoir lu 🙂 J’espère que vous vous organiserez pour une lecture commune, c’est un livre qui mérite d’être lu.
Je suis d’accord avec toi, les livres qui traitent de la RDA ou de l’histoire contemporaine sont beaucoup moins traduits en français et je trouve ça dommage puisque il s’agit d’un pays voisin et de thématiques toujours d’actualité.
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@Je lis je blogue : non, tu n’es pas la seule, je ne connaissais même pas cette auteure de nom !
L’histoire de la RDA m’intéresse aussi beaucoup et quel enthousiasme, je ne peux que noter !
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Ce livre est fait pour toi et je croise les doigts pour que vous organisiez une lecture commune dans l’avenir proche 🙂 Vous êtes déjà 9 !
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Une LC ? pourquoi pas oui 🙂 Ca marcherait pour les Feuilles allemandes, sachant que c’est écrit en anglais ??
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Malheureusement non, ce serait un (ou dix en fait) billet(s) hors-catégorie 😉
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OK. A voir comment on peut organiser ça hors Feuilles Allemandes, dans ce cas 🙂
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Et de trois, je ne la connaissais pas non plus ! C’est vrai qu’on connaît moins ce sujet en France, pourtant en Allemagne il y a un vrai travail de mémoire sur le sujet. Mais c’est une question a priori plus « germano-allemande » donc moins suivie ailleurs. Pourtant, il y aurait bien des parallèles à faire avec aujourd’hui dans de nombreux pays comme le montre visiblement cette actrice. Titre noté bien sûr !
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Vous formeriez un bien joli groupe pour une lecture commune, tu ne penses pas ? 🙂 Ce serait très bien de mettre un peu plus de lumière sur ces destins de familles brisées et ces pratiques totalitaires, puisque c’est malheureusement toujours d’actualité. C’est un livre qui se lit tout seul. Tu as vérifié sa disponibilité dans ta bibliothèque ? 😉
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Très bonne idée ! Je suis partante pour l’organiser. Histoire de nous laisser le temps de le trouver et de le lire, je fixe la LC au 17 juin, en référence au soulèvement de 1953 en l’Allemagne de l’Est. Je contacte Sandrine tout de suite pour qu’elle note ça dans les tablettes du site Lectures communes. Au plaisir d’échanger avec vous sur ce livre !
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Super initiative Sacha, j’en suis!
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Je rejoins les trois précédentes… où se nichent donc tous ces gens qui connaissent déjà Funder ? En tout cas, je note ce titre qui a l’air passionnant en effet.
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J’ai hésité en effet à changer l’introduction de mon article pour « la seule à avoir lu » 🙂 Je pense que j’ai dû voir ce titre si souvent chez les lecteurs allemands que ça m’a induit en erreur ! J’espère que tu apprécieras le livre autant que moi.
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Et de 5! Même si j’avais entendu parler de cette histoire de puzzle? Le bouquin est à la bibli, en réserve!
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En réserve ! Il est grand temps de l’épousseter, Keisha, et je compte sur toi 🙂
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Et et je suis la sixième ! Très intéressée par le thème, je note, d’autant plus qu’il est à la bibliothèque. Il y a eu un film dont le titre m’échappe tout de suite qui montrait bien ces manipulations de la Stasi et les dégâts sur les habitants.
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La vie des autres?
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Oui !
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Un excellent film, tu as raison !
J’espère que tu auras l’occasion de lire Stasiland dans un avenir proche – il marie habillement les temps avant et après la chute du Mur.
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Ma libraire me l’avait conseillé, mais je lui avait préféré un autre titre.
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Tu peux toujours y revenir si jamais 😉
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je vais noter ce livre alors que je m’étais promis de faire une pause : je n’arrive pas à tout lire ce que je note!!!, je ne connais pas cette autrice mais tout ce qui est décrit sur ce livre m’intéresse
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J’ai pensé tout de suite à toi – ce livre te plairait sans aucun doute. Il marie très bien les deux périodes avant et après la chute du Mur et met en garde contre les pratiques totalitaires qu’on a souvent la tendance à sous-estimer avec le temps qui passe. J’espère qu’il est disponible dans la bibliothèque de ta ville.
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je ne connaissais pas non l’auteure, mais je note, bien entendu.
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Vous êtes 9 – un joli groupe pour former une lecture commune 😉
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ça m’intéresse ! et je sais aussi à qui le conseiller, un copain fan de cette période historique… (je me rajouter, je ne connais pas l’autrice^^)
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