Stefanie vor Schulte – Serpents dans le jardin

Tandis que certains parmi vous se rappellent sûrement du Garçon au coq noir, chroniqué ici en 2022, Stefanie vor Schulte refait son apparition sur le blog aujourd’hui avec son dernier roman Serpents dans le jardin, un livre remarquable sur le deuil.

Chaque été, ils seront désormais pris au piège du souvenir.

Les Mohn ont perdu un membre cher de la famille : Johanne est décédée, laissant derrière elle une famille brisée – son mari et leurs trois enfants -, ainsi que ses journaux qui doivent rester secrets. Dès les premières lignes, on ressent le poids qui pèse sur leurs épaules ; comme si on leur avait jeté une lourde couverture sur la tête ou comme s’ils étaient emprisonnés, à l’image de ce journal que Micha, le petit dernier, enfonce dans un bocal de peinture épaisse. La tristesse colle à la peau, refuse de partir, ils avancent au ralenti, chacun à sa façon : Adam a quitté son travail, Steve a interrompu ses études, Linne enchaîne les bagarres à l’école et Micha se voit congédié de la maison de retraite où il faisait des lectures à voix haute.

Ils ont perdu l’avenir. Ils n’ont plus de lieu d’accueil pour leurs rêves et leur mélancolie. Ils n’ont pour tout potage, depuis le début de l’été, que ce problème vital, et seront ramenés, quoi qu’ils fassent, à la perte qu’ils ont subie. Personne ne leur a demandé s’ils voulaient de ce stigmate qui leur est tombé dessus, et maintenant qu’il les tient dans sa griffe, on attend d’eux qu’ils soient armés pour y faire face et acceptent tous ces conseils qu’ils n’ont pas sollicités.

Leur deuil commence à déranger, il paraît qu’il dure trop longtemps. Les autres ne savent plus comment aborder les Mohn dans la rue et multiplient les remarques maladroites ou déplacées, les enfants se font remarquer à l’école et leur état contraste avec les joies de l’été. Il serait temps de revenir à la normale, dit-on, c’est pourquoi on leur envoie un employé du Bureau de deuil, Monsieur Ginster. Celui-ci les observe et envoie des rapports à ses supérieurs.

Les Mohn, dans leur genre, sont pénibles. Ils éveillent chez Ginster un sentiment que lui-même ne comprend pas. Fait de curiosité. De dégoût. Et d’autre chose encore, qu’il n’arrive pas à identifier. C’est pourquoi il passe une bonne moitié de la nuit sous leur fenêtre (…). Il note un mot par-ci par-là, et se confond si parfaitement avec le mur auquel il est adossé que personne ne s’émeut de sa présence.

Le lecteur suit ainsi les membres de la famille tout au long de l’été, leurs rencontres improbables et les histoires qui adouciront le côté définitif de la mort et serviront en quelque sorte d’échappatoire à l’insoutenable réalité. Chaque histoire redonnera un peu de vie à Johanne, ainsi qu’à ceux qui doivent continuer sans elle.

Chacune de ses paroles semble créer la vie.

Serpents dans le jardin est un émouvant roman sur la perte d’un proche et sur l’effet salvateur des histoires qu’on se raconte. Avec originalité, une belle langue et de nombreuses métaphores qui invitent à la relecture, l’autrice réussit admirablement à capter le travail du deuil propre à chacun.

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Serpents dans le jardin, de Stefanie for Schulte. Traduit de l’allemand par Nicolas Véron. Héloïse d’Ormesson, 2024, 208 pages.

16 réflexions sur “Stefanie vor Schulte – Serpents dans le jardin

  1. je lis je blogue 27 avril 2024 / 09:28

    Ce que tu dis de ce roman me plaît, notamment la façon dont l’autrice aborde le thème du deuil.

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    • Eva 30 avril 2024 / 11:44

      L’autrice s’empare du sujet de façon très originale et elle fait preuve de beaucoup d’empathie. Une très bonne découverte pour moi.

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  2. Tania 27 avril 2024 / 10:49

    Sujet douloureux, cette autrice que je ne connais pas semble en parler avec délicatesse. J’en prends note, merci.

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    • Eva 30 avril 2024 / 11:45

      C’est une histoire écrite avec beaucoup d’empathie envers les membres de cette famille brisée.

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  3. Sacha 27 avril 2024 / 14:54

    Malgré (à cause de?) son sujet douloureux, il me tente davantage que Garçon au coq noir. Les livres réussis sur le deuil ne sont pas légion…

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    • Eva 30 avril 2024 / 11:46

      Il est différent du Garçon au coq noir. Ici, c’est un livre contemporain et le travail de deuil est capté avec beaucoup d’empathie et délicatesse. Moi-même j’ai perdu un proche très cher l’année dernière et certains passages étaient très émouvants pour moi. Elle aborde le deuil de façon très originale et ça fait vraiment du bien. Elle mentionne dans les remerciements un été difficile pour sa mère et sa soeur dans le passé, il y a peut-être un petit quelque-chose de son histoire.

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  4. luocine 27 avril 2024 / 17:47

    je n’ai pas aimé  » le garçon au coq noir » alors je me méfie de cette écrivaine sans doute trop sombre pour moi.

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    • Eva 30 avril 2024 / 11:47

      Je me rappelle de ton billet sur le Garçon au coq noir et je te comprends. Son dernier livre est très différent, contemporain et même s’il parle d’un sujet triste, il n’est pas sombre pour autant, plutôt au contraire. Certains passages sont émouvants, mais à mon avis l’auteure capte de façon très originale le cheminement de chacun après la perte d’un proche et aussi l’incapacité de l’entourage à y faire face. L’histoire m’a aussi aidée dans mon cheminement personnel.

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  5. Athalie 28 avril 2024 / 07:46

    Une autrice que je ne connais pas … Et j’aime bien les extraits, je note dans un coin de ma tête.

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    • Eva 30 avril 2024 / 11:47

      N’hésite pas, si le livre croise ton chemin. Au moins tu pourras te faire ton propre avis 🙂

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  6. aifelle 28 avril 2024 / 15:44

    Un roman qui paraît avoir également une touche d’étrangeté ? C’est une autrice que je ne connais pas du tout.

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    • Eva 30 avril 2024 / 11:47

      Oui, on pourrait dire ça 🙂 En tout cas, je lirai sûrement son suivant !

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    • Eva 30 avril 2024 / 11:48

      Sans aucun doute 🙂 Et il y en a pour tous les goûts !

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    • Eva 30 avril 2024 / 11:48

      Si jamais tu le vois à la bibliothèque, n’hésite pas à l’emprunter pour te faire ta propre idée.

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