Diane Wilson – Les Semeuses

Direction le Minnesota avec le premier roman* de Diane Wilson, descendante des Mdewakanton (une des tribus Sioux), actuellement engagée dans de nombreuses organisations, notamment celles qui se mobilisent pour assurer l’autonomie du système alimentaire pour les peuples indigènes. Cette thématique est l’un des principaux sujets de son roman Les Semeuses, qui nous entraîne en Amérique de 1860 à nos jours.

Rentrer chez soi, c’était comme nager à contre-courant, à la recherche du début, des eaux propres et claires de mon enfance.

Projet ambitieux, me direz-vous, mais absolument réussi. Dans le premier chapitre, on fait connaissance avec le personnage principal, Rosalie Iron Wing, qui, en 2002, retourne dans sa maison natale. Placée à l’âge de 12 ans dans une famille d’accueil, à l’époque des années 70 où ces placements étaient légaux (la loi contre ce genre de pratiques étant adoptée plus tard, trop tard pour de nombreux enfants et jeunes), Rosalie ignorait ce que les autres membres de la famille sont devenus.

J’allais là presque tous les jours, attirée par le courant comme si je lui appartenais. Chaque bouteille vide et chaque branche brisée apportait une histoire du Nord, des nouvelles d’un monde auquel, enfant, on m’avait arrachée. Cette eau était la seule connexion avec ma terre natale.

Grandissant dans un milieu blanc, où ces derniers étaient sur leurs gardes en la voyant, Rosalie tente d’échapper à ce foyer froid (au sens propre et figuré) et, pour devenir financièrement indépendante, elle accepte un travail en intérim dans une ferme qui promet aux jeunes de gagner de l’argent rapidement. Elle y rencontrera un jeune fermier, John, et sa vie prendra tout un autre chemin.

Dans ce formidable livre, Diane Wilson a su créer des personnages attachants, tout en épaisseur, mais elle prend également une position très claire en ce qui concerne deux questions qui nous accompagnent tout au long du récit. Tout d’abord celui du sort des peuples indigènes, qui se sont fait voler leur terre dans les années 1860 (le lecteur en apprend les détails par l’intermédiaire de Marie Blackbird), qui étaient déplacés dans des réserves ou des pensionnats, coupés de leur tradition, de leur terre, leur racines, ce déracinement étant ensuite la cause de nombreux problèmes chez les générations suivantes, notamment l’alcoolisme.

Ma famille avait toujours eu un potager, bien avant que l’agent des affaires indiennes essaie de transformer les hommes en fermiers. Je me souvenais quand nous chassions et que nous recueillions des plantes, avant que notre nourriture soit enfermée à clé dans un entrepôt par l’agent. Avant qu’elle nous arrive en paquets, distribués comme une aumône, comme si nous étions des parents pauvres. Dans la file d’attente, Iná m’avait dit : « Qui sommes-nous, si nous ne pouvons même pas nous nourrir tout seuls ? »

La terre était ensuite offerte aux colons et via le travail des fermiers, l’autrice s’attaque au deuxième point important de ce roman, à savoir notre relation à la terre et son exploitation. On mesure alors l’étendu de l’écart entre l’époque des indigènes qui vivaient dans une symbiose avec la nature, en étant conscients qu’on en faisait partie, et les changements révolutionnaires dans l’agriculture après la deuxième guerre mondiale avec l’arrivée des tracteurs et machines agricoles, puis l’exploitation intensive et l’introduction des OGM de nos jours. Les graines représentent néanmoins un « personnage » vivant à part entière de cette histoire. Cousues dans les ourlets des jupes pour assurer la survie de la famille à la saison suivante, elles étaient gardées comme un objet précieux par les mères chassées de leur terre.

Indéniablement, Les Semeuses est un livre qu’on a hâte de retrouver le soir et qui nous fait ensuite ignorer le fait qu’on doit se lever tôt le lendemain. Une histoire de famille et de transmission, un roman prenant ; tout à fait dans la lignée de la collection des éditions Rue de l’échiquier, tout comme Triple zéro de Madeleine Watts, qui mettent en garde contre la rupture de nos liens avec la nature.

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Les Semeuses, de Diane Wilson, traduit de l’anglais (Etas-Unis) par Nino S. Dufour. Rue de l’échiquier, 2024, 384 pages.

*Diane Wilson est aussi l’autrice d’essais et de textes à caractère autobiographique

12 réflexions sur “Diane Wilson – Les Semeuses

    • Eva 19 juin 2024 / 11:29

      Oui, une pépite ! Je suis sûre que le livre te plairait !

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  1. Sacha 14 juin 2024 / 14:37

    Eh, eh, les livres qui font que l’on est prêt à sacrifier quelques heures de sommeil, c’est précieux ! Et les deux questions centrales du roman me tiennent à cœur alors je ne vais pas me priver (de le mettre sur ma liste dans un premier temps et de le lire ensuite) !

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    • Eva 19 juin 2024 / 11:30

      C’est très réconfortant de savoir qu’un bon roman nous attend le soir à la maison 🙂 Tu verras, c’est un très bon livre.

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  2. Madame lit 14 juin 2024 / 15:34

    Les peuples autochtones ont vécu de grands traumatismes au fil des ans. Au Canada, on retrouve les mêmes. Je vais acheter ce livre car j’essaie de lire de la littérature autochtone pour écouter cette voix singulière qui a tant à raconter. Merci pour cette belle découverte Eva et titre noté.

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    • Eva 19 juin 2024 / 11:32

      Heureusement qu’il y a la littérature pour nous apprendre ou rappeler ces faits historiques. Dans ce cas-là, je trouve le traumatisme tellement fort qu’il doit être très difficile pour ces peuples de se relever. C’est littéralement un cordon coupé avec leurs traditions et la terre.
      Je me réjouis de lire ton avis 🙂

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  3. luocine 15 juin 2024 / 08:09

    face à ce billet qui décrit un livre très attirant , une réflexion me vient : les tragédies du passé et les injustices ne sont que rarement réparées, elles revivent grâce aux livres , mais cela est-il suffisant pour que d’autres ne soient pas commises ?

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    • Eva 19 juin 2024 / 11:33

      Pas suffisant, malheureusement, je trouve que les humains n’ont pas beaucoup changé ! Regardons l’Ukraine et ses enfants volés par la Russie, juste un des exemples.

      Dans le livre, une des mères décide de ne pas raconter le vécu de sa tribu à ses enfants pour leur épargner le poids de ce passé très lourd, de cette injustice. Un poids lourd à porter.

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  4. Anne-yes 15 juin 2024 / 08:26

    Interessant. À propos des enfants des peuples premiers enlevés abusivement à leur famille la série Little Bird sur Arte, qui se passe au Canada. Poignant et édifiant.

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    • Eva 19 juin 2024 / 11:34

      Merci Anne pour ce conseil qui va prolonger ma lecture !

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  5. je lis je blogue 16 juin 2024 / 07:50

    J’ai l’impression que tu as dégoté un très bon roman. J’ai lu plusieurs fictions sur ce thème du traitement des peuples autochtones. Les Etats-Unis et le Canada sont concernés mais également les pays européens (la Scandinavie en particulier).

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    • Eva 19 juin 2024 / 11:34

      C’est sans aucun doute un livre qui te plairait, il soulève pas mal de questions intéressantes et j’ai beaucoup aimé sa thématique écologique.

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