Et si on bouquinait un peu ?

Historien et philosophe français du XIXème siècle, membre de l’Académie française, Hippolyte Taine (1828-1893) est l’auteur de livres qui ont marqué leur époque, comme Les origines de la France contemporaine. Plus tôt, entre 1863 et 1866, alors qu’il était examinateur d’admission à St Cyr, il eut l’occasion de parcourir la France et de consigner sur un carnet ses observations des villes et régions traversées, donnant naissance à Par nos villes et par nos campagnes.

Comme il est écrit dans la courte introduction du livre, ce dernier fut publié à titre posthume et il est issu de notes qu’avait prises l’auteur durant ses voyages. Elles sont livrées dans leur version originale au lecteur. Même si aucune correction n’est apportée, il est très juste de souscrire à ce qui est dit dans l’avant propos.

Ce sont ces sensations imparfaites et incomplètes que le lecteur trouvera ici ; mais, telles quelles et encore enveloppées dans la gangue primitive, elles peuvent donner une idée de la qualité du métal et de la richesse du filon.

Rennes, Besançon, Paris, Lyon, Marseille… Voici quelques-unes des villes traversées par Hippolyte Taine. Il s’attarde à chaque fois sur la description de la nature environnante, de l’architecture, de la structure sociale mais également des habitants de ces endroits. Et c’est là où la capacité d’observation de Taine fait particulièrement mouche. Ainsi, en visitant Douai et plus généralement le Nord de la France, qu’il préfère au Sud (surtout au Sud-Ouest), il écrit à propos des gens du Nord qu’ils sont « réguliers, facile à conduire, de sang-froid pour manier les machines. La machine a besoin de l’ouvrier du Nord et non de l’improvisateur fantaisiste du Midi ». Il n’est d’ailleurs pas tendre avec le caractère de Toulousains : « Mon impression hier, sur le cours, est que ces gens-là ont besoin d’être gouvernés par autrui. – Ils sont parfaitement incapables d’avoir le moindre empire sur eux-mêmes. Le sang, l’action, la colère leur montent tout de suite à la tête. » 

Au-delà des expressions, des caractères bien décrits, Taine nous montre une France en transformation, parfois bien différente de celle d’aujourd’hui. Marseille, un « Liverpool du Midi » impressionne l’auteur par sa vigueur, son expansion, l’afflux de la population. Lyon est encore une ville ouvrière, où les ouvriers de la soie, les canuts, vivent dans des conditions difficiles. L’Ouest de la France, et notamment Rennes, le marque par sa saleté, sa religiosité et son retard dans le développement :

Les mœurs ici sont restées bien primitives. Des familles bretonnes vont à la ville une fois par semaine, entrent dans un cabaret, boivent tout le jour ; tous sont ivres morts. Un d’eux, avec qui on a fait prix et conditions pour qu’il reste à peu près sobre, les charge sur la charrette et les ramène au logis. 

Le poids de la religion est encore très marquant et Taine dénonce le fait que l’Eglise s’approprie l’éducation des jeunes.

Plus j’y regarde, plus je me convaincs qu’il n’y a que deux partis en France : cléricaux et libéraux. – Cela n’est pas visible à Paris à cause du tumulte et de la variété des opinions ; mais il est clair que tout ce qui est arriéré, provincial, inerte, adonné aux intérêts, a le clergé pour gouvernement. 

En conclusion, Par nos villes et par nos campagnes est un ouvrage très intéressant qui nous amène à nous interroger sur le caractère français, sur l’évolution de notre pays, sur l’empreinte du milieu et de l’époque sur les gens. Comme le livre est repris à partir de notes, j’ai trouvé que la fin (où l’on recroise certains lieux évoqués précédemment) a tendance à se répéter, mais force est de constater que ce récit de voyage est une invitation à découvrir davantage Hippolyte Taine, par exemple dans Voyage aux Pyrénées, qui eut un grand succès à l’époque.

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Par nos villes et par nos campagnes, d’Hippolyte Taine. Libretto, 2020, 240 pages.