Il est aujourd’hui l’heure de continuer notre série « Nourrir le monde » avec le livre de Michel Griffon, Nourrir la planète, publié aux Editions Odile Jacob il y a déjà 10 ans. Il reste néanmoins un ouvrage très complet à lire absolument pour comprendre les défis alimentaires en cours et envisager des solutions pour y répondre.
(Je vous préviens : la chronique qui suit est assez « technique » !)
Michel Griffon est ingénieur agronome de formation ; économiste, chercheur, il est régulièrement invité à des tables rondes sur l’avenir de l’agriculture et on lui doit d’autres publications comme « Qu’est ce que l’agriculture écologiquement intensive ? » paru en 2013 aux Editions Quae. Cette formule (Agriculture Ecologiquement Intensive) a d’ailleurs fait florès et on la retrouve aujourd’hui souvent employée dans le milieu agricole, comme par exemple chez la coopérative TERRENA dans sa démarche du même nom (AEI).
Le présent ouvrage est le premier que je lisais de Michel Griffon, et j’ai beaucoup apprécié le côté didactique du livre ainsi que le sérieux des démonstrations qui l’étayent. En quatre parties de longueur inégale, il pose la question de savoir si la planète sera capable de nourrir son humanité (partie 1), s’attarde ensuite sur la Révolution verte, ses succès et ses limites (partie 2), discute les différentes solutions qui s’offrent pour augmenter la production agricole (partie 3) avant d’aborder, dans la dernière partie, la révolution doublement verte, qui est pour lui la seule solution réellement envisageable (partie 4).
Je souhaiterais revenir ici tout d’abord sur la Révolution verte, développée par Normand Borlang, agronome sélectionneur (qui reçut d’ailleurs le prix Nobel de la paix en 1970), et sur laquelle Michel Griffon s’étend :
La pensée fondatrice de la Révolution verte peut se résumer en deux points : accroître le potentiel productif des plantes et des animaux, et exprimer ce potentiel par un « forçage » de la production végétale et animale en utilisant des variétés et races améliorées et en leur apportant de hautes doses de nutriments : engrais pour les plantes cultivées, aliments pour les animaux.
Cette intensification des moyens de production a connu de réels succès, comme en Inde par exemple, et plus généralement dans les zones bien arrosées. Elle a néanmoins montré ses limites dans les zones sèches, dans celles où les agriculteurs n’avaient pas accès aux moyens de production et s’est arrêtée en raisons de coûts trop importants, à une époque où la théorie économique classique remettait en cause les dépenses publiques. A ce jour, 1/5 des 3 milliards vivant de l’agriculture ne peut encore s’alimenter de manière suffisante et les défis pour l’avenir sont faramineux : d’ici 2050, l’Afrique doit multiplier sa production agricole par 5,14 et l’Asie par 2,34 !
La troisième partie est très intéressante puisqu’elle traite des différentes solutions envisageables, comme par exemple la hausse des surfaces agricoles, le déploiement de l’irrigation, le recours aux échanges mondiaux… Aucune solution miracle ne se dégage. Pour Michel Griffon, il faut procéder à une révolution doublement verte :
Comme la Révolution verte, c’est à la fois une nouvelle technologie et une nouvelle politique agricole. Une nouvelle technologie : les techniques de production sont fortement inspirées par le fonctionnement de la nature elle-même. (…) Une nouvelle politique agricole : la politique agricole doit être pragmatiquement orientée par la nécessité de faire sortir de la pauvreté et de faire entrer dans l’économie de marché une grande partie de l’agriculture des pays en développement.
C’est à un changement de paradigme qu’il invite pour passer à cette révolution doublement verte. La différence avec la Révolution verte est bien illustrée ; il s’agit de « regarder les fonctionnalités biologiques et écologiques des systèmes cultivés pouvant être utilisées à haute dose pour produire des quantités de produits ». Conscient du travail qu’il reste à faire (acquisition de données, transmission des connaissances), il liste des exemples déjà à l’oeuvre. Une précision importante réside en la différence avec l’agriculture biologique :
Le concept de « révolution doublement verte » part de raisonnements proches de ceux qui fondent l’agriculture biologique, mais avec des différences. Il n’est pas fondé sur le refus des intrants chimiques ou plus récemment des organismes génétiquement modifiés, même s’il conduit à en limiter l’usage.
En résumé « L’écologie comme guide technologique, l’équité comme inspiration sociale ».
Pour conclure, je tenais à saluer la lucidité et l’honnêteté de l’auteur. Il est lui-même prudent sur le scénario qu’il propose et conseille de diversifier l’alimentation (baisse des viandes et des fritures) et de faire baisser la consommation énergétique pour faire décroître la pression sur les écosystèmes (des « scénarios de précaution« ). De plus, reconnaissant que son ouvrage s’inscrit dans une thèse malthusienne, il n’exclut pas des scénarios plus futuristes pour un avenir lointain.
Je vous conseille donc :
X d’acheter le livre chez votre libraire
X de l’emprunter dans votre bibliothèque
lire plutôt autre chose
Nourrir la planète, de Michel Griffon. Editions Odile Jacob, 2006. 464 pages.
U peu technique pour moi , je retiens mieux le conférences ou les debats sur ce genre de sujets que des livres .
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Je souhaite rebondir sur ton dernier paragraphe : c’est la révolution triplement verte qu’il faudrait peut-être à la planète ! C’est-à-dire arrêter de faire pousser des végétaux qu’on va donner à manger aux animaux qui nous nourriront. C’est-à-dire donc nourrir moins d’animaux, manger en effet moins de viande pour nous nourrir directement de ce que nous faisons pousser : une étape de moins. Et beaucoup de crises cardiaques évitées, d’obésité…etc.
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Bonjour Sandrine, il est indéniable que manger moins de viande est une des solutions. Attention néanmoins à l’angle de lecture : la viande de boeuf qui sur le papier exige plus d’eau et produit plus de CO2/kg, permet à l’échelle mondiale de mettre en valeur des surfaces en prairies à fort intérêt écologique (et qui sont des stockages de carbone). Manger moins de viande, et s’intéresser à la façon dont elle est produite de surcroît. Merci pour ton commentaire.
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