Suivre la transformation de Paris et de la vie de ses habitants pendant 60 ans, ça vous dit ? On pourrait faire appel à une famille bourgeoise – les Ormen – pour qu’elle nous serve de guide. C’est parti pour une promenade dans le temps, allons ensemble feuilleter la Saga parisienne de Gilles Schlesser !
La saga comporte trois tomes : Un balcon sur le Luxembourg (1942-1958), D’une rive à l’autre (1959-1981) et Au rendez-vous de l’Heure bleue (1981-2003). L’histoire débute en 1942, durant la seconde guerre mondiale, et tout au long du récit, on ne quittera Paris que pour de petites vacances, çà et là. La capitale est en effet une sorte de personnage principal du livre – on suivra les changements d’ambiance au fur et à mesure des saisons et des périodes historiques (sous l’occupation, pendant la guerre de l’Algérie ou à l’occasion des manifestations dans les années 60…) ou alors ses transformations physiques (démolitions de certains bâtiments, constructions de La Défense et du Centre Pompidou, mise en service de nouveaux moyens de transport…). De ce point de vue, le livre doit être intéressant surtout pour les Parisiens ou pour les gens qui y ont séjourné pendant un bon moment.
En deux ans, bouchers, crémiers, boulangers ou bougnats sont devenus les maîtres du 6ème arrondissement après Dieu et les Allemands, distribuant les bons et les mauvais points, régnant sans partage sur un petit peuple hébété et soumis.
A Paris, plus précisément dans la rue Vaugirard, on suit le destin des membres de la famille Ormen. Voici l’arbre généalogique : en guise de tronc, imaginez Valentin et son fils aîné (et préféré) Pierre ; leurs enfants et leurs familles respectives constituant les nombreuses branches. Pierre Ormen, résistant, écrivain, membre de la Cour des comptes, engagé politiquement à gauche. Grâce à lui, on rentre dans le milieu littéraire, il ressuscite pour nous entre autres Camus, Sartre, Gallimard… ou alors l’émission de Bernard Pivot. De notre temps, il côtoie par exemple Jean d’Ormesson. Comme il intègre le ministère de Malraux, on est témoin de nombreuses décisions politiques de l’époque.
(…) Regarde : on était assis là, à la Libération, à la même table, si ça se trouve, c’était hier.
Et alors ?
Tu pousses la porte pour entrer, t’es un enfant. Tu bois ton café, tu la pousses dans l’autre sens, tu sors, t’es devenu vieillard.
La politique et les questions sociales font clairement partie de ce roman – les élections bien sûr, mais aussi les mouvements féministes, le combat pour la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (avec Ariane, la femme de Pierre en tête), un peu plus tard dans le livre, la question de l’homosexualité est également abordée.
Qu’est-ce que tu lis, maman ?
Les résultats du concours de la Femme parfaite, présidé par André Maurois.
Et alors ?
Eh bien, recalée sans mention. Il faut savoir réussir un pâté de lapin, pouvoir faire un pansement de première urgence, connaître le dernier livre de M. Daninos, repasser les torchons sans les brûler et offrir à ses proches un visage toujours souriant.
L’auteur a pensé à tous les détails pour illustrer la vie d’époque. Néanmoins, à certains moments, ça devient trop, comme s’il avait fait une liste de tous les produits typiques d’alors ou de toutes les marques de voitures qu’il s’est ensuite forcé à intégrer dans l’histoire coûte que coûte. Ainsi, on est toujours au courant de la marque de cigarette que fument les protagonistes, ainsi que des types de voitures qu’ils conduisent. Ajoutons-y de nombreux itinéraires (il suffit que quelqu’un sorte pour acheter un journal et on a le droit à une liste de toutes les rues qu’il parcourt). Tout ça nuit à mon avis à la fluidité du texte.
Pour le côté romanesque, la famille Ormen porte quelques secrets qui risquent à tout moment de secouer sa vie. Ceux-ci sont liés au mouton noir de la famille – Amédée Ormen, frère cadet de Pierre. Collaboration, tableaux volés… vers la fin, le roman prend un côté presque policier qui n’est pas mal (l’auteur a en effet écrit plusieurs polars).
Finalement, ce n’est rien du tout : une camionnette, une pelle, un coin tranquille dans la forêt de Fontainebleau et hop ! effacé le bonhomme ! Comme par enchantement !
Mon avis sur la saga reste néanmoins un peu mitigé. Peut-être justement à cause du grand nombre de détails, on passe plus vite en ce qui concerne les protagonistes. Par exemple, un membre de la famille décide d’ouvrir une agence, quelques pages plus tard son agence fait partie des entreprises les plus prisées – ce scénario se répète beaucoup trop souvent; on ne voit ni l’effort ni le chemin parcouru. A cause de ce côté superficiel, j’ai eu du mal à m’attacher aux personnages, hormis quelques exceptions : Amédée et Odette, antipathiques et au comportement plutôt répréhensible, rendent le récit plus vivant, ou alors Olivier, acteur et musicien nous invitant dans des cabarets parisiens pour nous présenter Truffaut, Mouloudji ou Boris Vian…
Malgré mes critiques, si vous avez envie de parcourir toutes les transformations de Paris, vous promener dans le jardin de Luxembourg et passer des soirées avec des personnages célèbres de l’époque, je vous conseille de :
l’acheter chez votre libraire ou bouquiniste
emprunter cette saga dans votre bibliothèque
lire autre chose
Saga parisienne de Gilles Schlesser. Pocket, 2016.
1er tome : Un balcon sur le Luxembourg (1942-1958), Pocket, 2016, 384 pages.
2ème tome : D’une rive à l’autre (1959-1981), Pocket, 2016, 480 pages.
3ème tome : Au rendez-vous de l’Heure bleue (1981-2003), Pocket, 2016, 365 pages.
en tout cas j’aime les citations que tu as choisies !
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J’ai été peut-être un peu sévère avec le livre – j’en ai sans doute trop attendu après avoir lu quelques avis enthousiastes sur internet. Mais comme je pense que ce sont surtout les personnages qui représentent l’ingrédient le plus important d’une saga, le livre m’a laissée sur ma faim…
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