Olga Slavnikova – La locomotive des sœurs Tcherepanov

SlavnikovaDirection aujourd’hui la Russie, à travers une écrivaine contemporaine, Olga Slavnikova, qui a reçu il y a quelques années le prix Booker russe pour son ouvrage 2017, « un grand récit polyphonique, roman d’amour et fresque historique, qui fonctionne aussi comme une anti-utopie fantastique de la société russe ». Une société russe qui reste au coeur de son recueil de nouvelles, La locomotive des soeurs Tcherepanov.

La locomotive des soeurs Tcherepanov regroupe un ensemble de dix nouvelles qui ont toutes un point commun : le train. Que ce soit dans un compartiment couchette, lors du déraillement d’une locomotive, ou encore à l’occasion du premier trajet d’un train en grande vitesse russe, c’est l’un des « personnages » essentiels de ces récits.

L’un des aspects qui m’a séduit réside dans l’écriture de l’auteure, et notamment ses descriptions de personnages qui sont toujours très réussies :

Le physique de Guennadi n’avait rien d’héroïque, il était même légèrement caricatural. Fils de paysan, cinquième enfant d’une famille où le père et la mère avaient chacun une ribambelle de frères et de sœurs dotés à leur tour de nombreux enfants, Guennadi semblait fabriqué à base de matériaux recyclés. Il avait hérité de son grand-père une gros nez poreux, ses petits yeux bleux couleur bouton de cuivre verdi appartenaient à l’oncle Nikolaï et ses cheveux secs tirant sur le roux à la tante Natalia, quant aux petits grains de beauté pareils à une poignée de lentilles qui couvraient le corps replet du colonel, ils lui venaient directement de sa mère, décédée trop tôt. Tout ce qui composait Zabeline avait déjà été porté par autrui, ces éléments étaient cousus grossièrement mais solidement, et même si le colonel n’avait rien d’un Apollon, sa santé était excellente.

De plus, à travers chaque nouvelle, elle réussit à nous dépeindre la société russe de ces dernières années : les années de libéralisation ayant suivi la chute du communisme, l’écart entre les riches et les pauvres, l’alcoolisme, le vol, l’avidité mais aussi une société où tout est possible.

Certaines sont de plus très imaginatives : dans « Le secret de la Chatte », Kracheninnikov doit rencontrer un client et prend un train de nuit. Il y a malheureusement dans le compartiment couchette un enfant turbulent et sa mère qui l’empêchent de dormir. Tout à coup, cette dernière décide de lui lire un livre de contes pour enfants : « La Chatte et le Bouledogue ». Or, c’est un livre rédigée par l’ancienne compagne de Kracheninnikov, métaphore de la relation que le couple avait. Il apprend ainsi avec qui sa campagne l’avait trompée ! Certaines sont plus fantastiques, comme « La statue du commandeur » : ici, l’amie d’un chef de bande est obligée d’aller au cimetière tous les jours pour saluer la tombe du défunt, faute de quoi elle perd l’appartement et la voiture héritée. Et un jour, elle décide de partir… Enfin, la nouvelle la plus réussie à mon sens est « La substance » : faisant allusion à Tchernobyl, elle séduit grâce à l’idée de départ, ses personnages, la tension et finalement une chute très inattendue.

C’est d’ailleurs une petite critique que je ferais au livre : j’attendais un peu plus des « chutes », si bien qu’on n’a pas suffisamment une réaction d’étonnement à la fin de chacune des nouvelles qui permettrait de le classer comme un coup de cœur.

Je vous conseille donc de vous faire votre propre avis en  :

l’achetant chez votre bouquiniste

X l’empruntant dans votre bibliothèque

lisant autre chose

La locomotive des soeurs Tcherepanov, d’Olga Slavnikova, traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs. Gallimard, NRF, 2019, 272 pages.

10 réflexions sur “Olga Slavnikova – La locomotive des sœurs Tcherepanov

  1. luocine 14 mai 2020 / 14:54

    j’adore ta citation et j’essaierai de recaser cette phrase : « Guennadi semblait fabriqué à base de matériaux recyclés »
    moi aussi j’aime bien que les nouvelles aient une chute , mais ce que tu en dis est très tentant.

    Aimé par 1 personne

    • Patrice 16 mai 2020 / 08:08

      Oui, j’avais adoré cette nouvelle et cette phrase entre autres. Je suis heureux qu’elle t’ait bien plu !

      J’aime

    • Patrice 16 mai 2020 / 08:05

      Je suis un peu comme toi, j’en attends parfois toujours un peu trop !

      Aimé par 1 personne

  2. Ingannmic 14 mai 2020 / 18:44

    Oui, l’extrait est très bon, et il m’a même évoqué ma lecture en cours, qui est celle du Père Goriot, de Balzac, je sais, cela n’a rien à voir, mais ce qui m’a tout de suite marqué, en l’entamant, c’est cette capacité à livrer des descriptions affutées et très imagées de ses personnages… :

    « L’embonpoint blafard de cette petite femme est le produit de cette vie, comme le typhus est la conséquence des exhalaisons d’un hôpital »
    ou
    « Son regard blanc donnait froid, sa figure rabougrie menaçait. Elle avait la voix clairette d’une cigale dans son buisson aux approches de l’hiver »

    (Un peu inepte comme commentaire mais bon, je passais par là..)

    Aimé par 1 personne

    • Patrice 16 mai 2020 / 08:05

      Tu vas me donner envie de relire « Le père Goriot » en tout cas 🙂

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    • Patrice 16 mai 2020 / 07:49

      Je le comprends, et cela fait tout de même partie des découvertes intéressantes de 2020 malgré mes réserves !

      Aimé par 1 personne

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