Frédérique Neau-Dufour – La villa des Genêts d’Or

La villa des Genêts d’Or est le titre du livre de Frédérique Neau-Dufour que je vous présente aujourd’hui. Derrière cette appellation bucolique se cache une villa construite au début du 20ème siècle dans les Vosges alsaciennes. Lieu de villégiature, elle devient dans les années 40 le lieu de résidence et de commandement des responsables de l’unique camp de concentration sur le territoire français, le camp de Natzweiler, plus communément appelé camp du Struthof.

Pour celles et ceux qui s’intéressent au Général de Gaulle, le nom de Frédérique Neau-Dufour n’est certainement pas inconnu. Elle fut conservatrice de La Boisserie et consacra plusieurs ouvrages au Général et à sa famille. Elle dirigea pendant plusieurs années le Centre européen du résistant déporté, dont le siège est justement sur le site de l’ancien camp que nous mentionnons aujourd’hui. La villa des Genêts d’or est son premier roman, et traite de l’histoire de cette villa construite en 1913 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

La perspective d’inviter ses neveux à faire de la luge sur les pistes environnantes convainc une Allemande, issue d’une famille industrielle de Strasbourg, Greta, à faire construire cette villa qui offre une très jolie vue sur les montagnes environnantes. Malheureusement pour elle, elle quittera les lieux après la Première Guerre Mondiale, avec pas plus de 30kg de bagages, qui correspondaient au quota pour les Allemands quittant l’Alsace. La maison fut ensuite rachetée par un banquier pour sa femme ; elle s’agrandit d’une piscine qui représentait un défi architectural vu la position de la maison. Lieu d’inspiration et échappatoire, elle permit au couple de rester soudé dans les moments difficiles.

La découverte d’un filon de granit près du Struthof changea le destin du lieu. Les Allemands recherchaient le granit pour permettre les grandes constructions dont rêvait Hitler. Ils réquisitionnent la villa et érigent un camp de concentration pour les « unités de travail ». Le lecteur suit l’histoire du lieu, découvre la mécanique nazie qu’incarne le principal commandant du camp, un dénommé Hacker, un personnage sadique et impitoyable :

Wochner évoqua ensuite un incident troublant. Les restes du chat de Diehle avaient été retrouvés entre les baraques 3 et 4. Un Kapo les avait apportés au chef SS du block, il n’y avait aucun doute sur la nature des ossements. Cela signifiait tout simplement que les prisonniers avaient bouffé le chat. « Quelle journée à emmerdes », pensa le Kommandant. Quand ces pervers arrêteraient-ils de se comporter aussi bestialement ? S’en prendre au chat d’un SS ! C’était intolérable.

Sa réaction ne se fit pas attendre. Dix détenus de la baraque 3 et dix détenus de la baraque 4 furent au hasard sortis des rangs après l’appel du soir. Ils durent se déshabiller et furent aspergés d’eau par les chefs SS des blocks, puis durent rester debout toute la nuit, avec interdiction de s’asseoir jusqu’à ce que le coupable se dénonce. En mai, une fois le soleil couché derrière les montagnes, la température fraîchissait rapidement. A l’aube, dix-sept détenus étaient encore debout, chancelants, sur la place. Trois autres étaient morts. Le coupable ne fut pas dénoncé.

Ce livre est un roman historique, s’inspirant de faits réels (la villa, l’existence du camp) mais aussi de personnalités ayant existé (comme les commandants du camp). Cependant, il va bien au-delà. En effet, que ce soit pour Greta, Honorat, le second propriétaire, ou Hacker et Knochen, à la tête du camp, Frédérique Neau-Dufour arrive à nous faire rentrer dans la psychologie des protagonistes et à rendre très perceptible chaque épisode de la vie de cette villa. Une vraie réussite. Le constraste est d’autant plus fort entre ce qui se passa dans la villa avant 1940 et après.

Quelques pages sur la réalité historique, rédigées par l’historien Daniel Fischer, achèvent de donner une vision sur l’horreur que fut la vie dans ce camp. On estime que sur les 52.000 détenus qui y séjournèrent, 15 à 20.000 y trouvèrent la mort.

Y ont été déportés des prisonniers politiques (identifiés sur leur uniforme de déporté par un triangle rouge), des condamnés de droit commun (triangle vert), des Juifs (étoile jaune), des témoins de Jéhovah (triangle violet), des homosexuels (triangle rose), des « asociaux » (triangle noir), de toutes nationalités, le plus souvent en proveance d’autres camps. Le camp du Struthof a aussi été la destination de 2500 déportés NN (Nacht und Nebel, « nuit et brouillard ») capturés par la Wehrmacht ou la Gestapo, dans un autre camp. Les déportés NN étaient considérés comme les ennemis du nazisme à qui on ne devait pas laisser le répit d’un délai les séparant de la date d’un procès équitable, et le régime entendait les faire disparaître « dans la nuit et le brouillard », sans indication quant à leur sort et avec interdiction d’échanger avec leurs proches.

Je vous conseille de découvrir ce livre :

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La villa des Genêts d’Or, de Frédérique Neau-Dufour. La Nuée Bleue, 2022, 287p.

Ce livre a été lu dans le cadre des Lectures communes autour de l’Holocauste.

21 réflexions sur “Frédérique Neau-Dufour – La villa des Genêts d’Or

  1. dominiqueivredelivres 28 janvier 2023 / 10:25

    J’ai beaucoup lu sur le sujet mais je crois que ce n’est jamais suffisant et je note immédiatement ce livre roman ou pas quand la qualité humaine est là c’est tout ce qu’il faut
    j’ai publié un premier billet ce matin dans le cadre des lectures de l’Holocauste et il y en aura 2 autres merci à toi d’avoir initié ces lectures

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    • Patrice 31 janvier 2023 / 05:07

      Merci pour ce commentaire, Dominique. Ce livre a été une vraie découverte pour moi, je suis heureux que tu le notes ; je suis d’accord avec toi, on ne lira jamais assez de livre sur ce thème. Pour être tout à faire honnête, c’est à « Passage à l’Est » que revient le mérite de ces lectures sur l’Holocauste. Merci pour tes participations !

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  2. luocine 28 janvier 2023 / 10:59

    encore un livre que je lirai même si le poids du Nazisme pèse sur mon moral. Comme Dominique je crois qu’il faut tout lire pour ne pas oublier, jamais.

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    • Patrice 31 janvier 2023 / 05:10

      Je sais que tu le feras et ça me fait plaisir. Oui, il est vrai que lire sur le nazisme et l’Holocauste en début d’année est pesant, mais cela reste plus que nécessaire.

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    • Patrice 31 janvier 2023 / 05:13

      Je ne connaissais pas le Struma, c’est une histoire vraiment tragique. Je suis vraiment intéressé de lire ta chronique.

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  3. Passage à l'Est! 28 janvier 2023 / 20:03

    C’est intéressant de lire ton billet juste après celui d’Ingannmic sur le 209, rue Saint-Maur, intéressant également de voir que c’est un roman historique, car j’en ai lu un récemment qui tourne également autour de l’Holocauste et qui m’a causé de m’interroger sur la place (ou l’utilisation?) de l’Holocauste dans les oeuvres de fiction aujourd’hui.
    Il me semble que Natzweiler/Struthof est assez mal connu en France; est-ce le cas à ton avis?
    Merci également de parler de cet éditeur que je ne connaissais pas!

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    • Patrice 31 janvier 2023 / 05:24

      Merci pour ton commentaire. Je n’ai pas encore lu le billet d’Ingannmic, mais cela ne saurait tarder. Il y a en effet des débats sur l’utilisation de l’Holocauste dans les romans, le dernier qui me vient à l’esprit est celui sur le livre d’Anne Berest, La carte postale, sur lequel Camille Laurens avait critiqué la représentation de la Shoah à travers ce livre (je passe sur toute la polémique pré-Goncourt). Qu’a-t-on le droit d’écrire ou plutôt d’évoquer en littérature (l’intérieur des chambres à gaz notamment) ?
      Habitant près de l’Alsace, le Struthof nous est de facto plus connu, même si nous n’y sommes encore jamais allés mais je ne sais pas ce qu’il en est pour des Français de régions plus éloignés ; mais je crains que tu n’aies raison.

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  4. Athalie 29 janvier 2023 / 09:02

    Je note moi aussi, même si je lis de moins en moins de textes qui évoquent directement les conditions de survie dans les camps. Mais par le biais de l’histoire de la villa, ça devrait passer.

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    • Patrice 31 janvier 2023 / 05:25

      Je dois te signaler que la vie/survie dans le camp en tant que telle n’est pas tellement abordée dans ce livre ; on en apprend beaucoup plus sur la postface à caractère historique. Je pense pouvoir te recommander ce livre sans l’ombre d’un doute par rapport à cette réserve.

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  5. Doudou Matous 29 janvier 2023 / 09:03

    Le roman semble aborder de manière intéressante le thème de l’holocauste. Je le note, tout comme le « 209, rue Saint-Maur » proposé par Ingannimic.

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    • Patrice 31 janvier 2023 / 05:26

      En effet, et pour moi, le mérite est de ramener le thème de la Shoah sur le territoire français tout simplement et non dans des contrées lointaines.

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  6. Marilyne 29 janvier 2023 / 09:12

    Le sous-titre est explicite ! Il est intéressant que ce type de récit soit complété par quelques pages rédigées par un historien. Narrativement, l’histoire d’un lieu permet d’approcher un sujet en nuances, il me semble, c’est toujours prenant ( je pense au récit Une ascension de l’auteur flamand Stefan Hertmans )

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    • Patrice 31 janvier 2023 / 05:30

      Oui, je suis tout à fait d’accord avec toi et je suis heureux que tu mentionnes l’importance de l’évocation du lieu comme entrée pour le roman. Ah, Stefan Hertmans, j’ai toujours « Guerre et térébenthine » à lire, et j’avais laissé « filer » ce titre, merci car il a l’air vraiment très intéressant.

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  7. keisha41 29 janvier 2023 / 14:08

    Je ne connais ce camp que de nom, ça m’intéressait d’en savoir plus (si ce n’est pas trop romancé)

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    • Patrice 31 janvier 2023 / 05:31

      Ce n’est pas trop romancé, ne t’en fais pas. On en apprend beaucoup sur le contexte de construction du camp dans le livre, et bien sûr dans la postface à caractère historique.

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  8. Choup 3 février 2023 / 10:45

    J’ai visité il y a des années (peut-être 10 ans) le camp du Struthof (ainsi que le mémorial non loin). C’était marquant. Forcément, ce livre m’intéresse d’autant plus. Merci!

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