Reinhard Kaiser-Mühlecker – Lilas rouge

Publié en allemand en 2012, alors que Reinhard Kaiser-Mühlecker, son auteur, fêtait juste ses trente ans, Lilas rouge est un roman ambitieux par son volume et son sujet, l’histoire d’une famille autrichienne, les Goldberger, depuis son immigration en Haute-Autriche pendant la Seconde Guerre Mondiale jusqu’au début du XXème siècle.

Dans la famille Goldberger, il y a tout d’abord Ferdinand. C’est lui qui immigre depuis l’Innviertel où il était exploitant forestier vers la Haute-Autriche, dans le village de Rosental. Il a dû abandonner son domaine et c’est avec un cheval, une cariole, et quelques affaires, qu’il prend possession d’une ferme qui semble abandonnée. Son épouse est décédée, sa fille Marthe est sa seul accompagnatrice, son fils Ferdinand combattant dans l’armée autrichienne. On le comprend rapidement, « Goldberger » comme on l’appellera pour le distinguer du fils, a dû s’enfuir. Chef du parti dans son village, il a fait preuve de zèle, a dénoncé de nombreux habitants et s’est vu « offrir » cette nouvelle terre moins fertile comme exil.

Si le lecteur pense pouvoir dénouer les fils de cette histoire, il en sera pour ses frais, car le mystère de cette fuite restera presque complet, de même que les raisons qui ont poussé sa fille Martha à opter pour le mutisme et à repousser son père. Le silence est un acteur à part entière du livre ; des silences qui conduisent à distendre des liens entre le père et le fils ; des silences qui empêchent le poids des crimes du passé d’être expiés. Difficile de ne pas y voir non plus une allusion à l’histoire autrichienne…

Nous suivons ainsi différentes générations de la famille Goldberger à Rosental. Ferdinand, le fils, rencontre Anna. Le couple a trois enfants : Paul, Thomas et Maria. Autour de la famille semble peser la faute du patriarche. En tout cas, ce dernier, s’il demande sur son lit de mort à Paul de lui pardonner (mais de quoi ?), semblait être obnubilé par une malédiction, comme le découvrira son fils :

Enfin la lumière se fit : il s’agissait d’un arbre généalogique. (…) Il continue d’explorer le carnet. Sur la page suivante, le même arbre généalogique, mais pourvu de commentaires différents. Cette fois, le 1 entre crochets était accolé au nom de Goldberger. Il se reprit à feuilleter les premières pages du cahier. Il s’aperçut alors qu’on avait griffonné tout à la marge de la première page, disposant les chiffres, les signes et les lettres de haut en bas comme des caractères chinois : « 3 + 4 ! 7 générations ! » Ferdinand écarta le cahier et reprit la bible en main. A présent qu’il était concentré sur ces chiffres, le passage où on lisait les mots suivants lui sauta immédiatement aux yeux : « Moi, l’Eternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux. Je punis la faute des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération. »

On suit le destin du père, de Ferdinand, de Thomas, de Paul, puis d’un autre Ferdinand. Bien sûr, les femmes sont aussi là, mais à l’image de Martha devenue muette, ou de Maria qui quitte la ferme, elles jouent un rôle moins fort dans ce livre. La faute semble portée par les hommes.

Lilas rouge est bien sûr une histoire de famille, qui trouve sa place dans la grande Histoire. Elle est aussi bien plus que cela grâce à la plume de Reinhard Kaiser-Mühlecker : la description de la nature environnante, la capacité à décrire des gestes du quotidien. A l’image de la structure du livre (découpage en 5 parties de 10 chapitres chacune), il y a une certaine répétition de l’histoire, une génération succédant à l’autre pour s’occuper de la terre, au diapason avec le rythme des saisons. L’auteur nous montre également les transformations à l’oeuvre dans cette société rurale autrichienne. Le poids du temps (qui passe mais aussi qu’il fait) est très fort ; pour autant, il y a finalement peu de repères temporelles dans ce livre. Ce n’est que vers la fin qu’on voit la décennie clairement explicitée. Un dernier mot pour dire également le talent avec lequel la terre est mise en évidence. La famille a fait sienne cette terre du Rosental et, même si la plupart de l’action se passe là-bas, la seule incursion lointaine se fait en Amérique du Sud mais nous ramène à la terre et à la nécessité, parfois, de l’exil pour trouver une terre d’accueil.

Un très beau roman, profond, sur les non-dits, sur le poids de l’héritage. Le temps passé à lire les 700 pages (à comparer aux seulement 620 pages de la version allemande !) a été un vrai plaisir.

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Lilas rouge, de Reinhard Kaiser-Mühlecker, traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Le Lay. Editions Verdier, collection « Der Doppelgänger », 2021, 704 pages.

Lecture commune avec Lire et merveilles, Livr’Escapades, En lisant & en voyageant.

Lu dans le cadre des Feuilles allemandes

19 réflexions sur “Reinhard Kaiser-Mühlecker – Lilas rouge

    • Patrice 27 novembre 2023 / 17:05

      Félicitations ! Finalement, 700 pages, ce n’est pas un gros défi quand la qualité de l’écriture est au rendez-vous, n’est-ce pas ? Je vais aller lire ton billet avec plaisir et je pense qu’une futur LC « Lilas noir » s’impose déjà 🙂

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      • keisha41 28 novembre 2023 / 13:38

        Yep! Faut que le bibli se bouge

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  1. Nathalie 25 novembre 2023 / 07:59

    Je l’ai noté et j’ai très envie de le lire depuis un moment, ainsi que sa suite. Vos billets du jour me confortent. Décidément…. Que d’envies…

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    • Patrice 27 novembre 2023 / 17:07

      Ce sont des envies saines :-). Cela fait un bon moment qu’il est sur mes étagères et l’impulsion est venue de cette lecture commune à laquelle j’ai été très heureux de me rattacher. Oui, que d’envies nouvelles suscitées lors de cette édition des Feuilles Allemandes. Les fêtes arrivent, c’est le moment d’écrire sa liste !

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  2. dominiqueivredelivres 25 novembre 2023 / 11:15

    Un livre que j’ai lu il y a quelques mois et comme toi je l’ai beaucoup aimé
    j’ai l’intention de lire la suite publiée il y a peu de temps

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    • Patrice 27 novembre 2023 / 17:11

      Merci pour ton commentaire, Dominique. Je viens de lire ton billet et je souscris tout à fait à ce que tu dis : les descriptions, la psychologie des personnages, le style sobre. Un très bon moment de lecture. Je me réjouis de lire la suite également.

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  3. luocine 25 novembre 2023 / 12:25

    Visiblement vous êtes nombreux à aimer ce roman dont le nombre de pages me fait très peur, ainsi que les lés non-dit, je crains d’étouffer dans ce livre.

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    • Patrice 27 novembre 2023 / 17:12

      Je comprends tes inquiétudes mais je tiens à te rassurer. C’est un livre qui emmène le lecteur avec lui et qui constitue une très belle découverte.

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  4. Madame lit 25 novembre 2023 / 15:42

    Je viens de lire la chronique chez Livr’Escapades et je retrouve avec toi le même engouement pour cette histoire. Je viens d’ajouter ce livre dans mon panier d’achat virtuel. Toutes ces suggestions vont combler la lectrice en moi! Merci!

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    • Patrice 27 novembre 2023 / 17:13

      Voilà un commentaire qui me ravit ! C’est la plus belle récompense que l’on puisse obtenir quand on écrit un billet :-). Je me réjouis de lire ton avis !

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  5. je lis je blogue 25 novembre 2023 / 16:55

    Merci d’avoir lu pour nous ces 600 ou 700 pages. On attend vos avis sur le second volet… (^_^)

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    • Patrice 27 novembre 2023 / 17:15

      Ce fut un plaisir de les lire et le second volet suivra bientôt ! N’hésite pas à t’embarquer toi aussi 🙂

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  6. Sacha 26 novembre 2023 / 16:05

    Le talent de l’auteur pour décrire la nature et le travail des agriculteurs me donne très envie de le découvrir. Merci pour cette belle lecture commune !

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    • Patrice 27 novembre 2023 / 17:44

      Merci à toi pour ce commentaire, Sacha. Tu ne le regretteras pas !

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    • Patrice 27 novembre 2023 / 17:44

      Il y a en effet des points communs et un plaisir identique à suivre le destin de ces familles !

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