
Le 22 septembre 1922, Franz Kafka rédige en une nuit « Le Verdict ». C’est la première fois qu’il est satisfait d’une histoire qu’il écrit. Dans A travers les nuits, l’auteur Raphaël Meltz s’attache à nous décrire Kafka autour de ce moment fondateur.
Car, oui, cette nuit-là, celle du 22 au 23 septembre 1912, il est devenu l’écrivain qu’il voulait être.
C’est un traitement original que fait Raphaël Meltz de la personnalité et de l’oeuvre de Franz Kafka. Son ambition n’est pas d’écrire une énième étude sur l’auteur de La Métamorphose, mais de faire revivre Kafka, l’être, à partir d’éléments tangibles. Pour lui, le moment de vérité est donc l’écriture de sa nouvelle Le Verdict :
C’est la première fois qu’il écrit d’une traite, au cours d’une même nuit, un texte aussi abouti. La première fois ? La dernière, aussi.
Après cette nuit, Kafka ne sera plus le même. Il a enfin atteint « l’enfer éternel des vrais écrivains » qu’il appelait de ses voeux deux mois plus tôt. Et il va y rester un long moment : dans les semaines qui vont suivre, il va écrire le premier de ses trois romans, Le disparu, et sa nouvelle la plus connu, La Métamorphose.
La construction du livre est d’ailleurs surprenante car Raphaël Meltz a placé la nouvelle dans son intégralité (et dans une nouvelle traduction) à peu près au milieu du livre, nous invitant à la (re)découvrir. Ensuite, il élargit la focale : les jours / semaines / années d’avant et celles d’après. Il s’appuie pour cela sur le Journal de Kafka et les lettres qu’il écrivait (celles reçues furent malheureusement détruites par le destinataire).
A travers ce livre très documenté, on découvre ainsi un Kafka qui doute énormément de lui, qui considère l’écriture comme un travail, pas un plaisir. On revisite le rôle central de Max Brod, qui n’hésite pas à le citer dans un journal en 1907 comme un auteur majeur alors que Kafka n’a encore rien écrit. On visualise le jeune homme dans sa chambre à Prague, en train d’écrire de nombreuses lettres à des femmes notamment (Felice Bauer et ses 532 lettres et un mariage avorté entre autres) ; on fait le parallèle avec le personnage principal du Verdict. On assiste au cheminement qui fut celui de Franz Kafka :
En remettant les choses dans l’ordre, cela donne : un jeune homme qui s’est senti « chassé » de sa famille à cause de et pour l’écriture (vers 1900), un homme qui sent que tout en lui est « prêt pour un travail littéraire » qui le « rendrait vraiment vivant » (octobre 1911), un homme qui voudrait réussir un « travail de plus grande envergure » (mars 1912), un homme bloqué dans l’écriture d’un roman inachevé et qui n’arrive pas à connaître « l’enfer éternel des vrais écrivains » (22 juillet 1912), un homme qui a accepté de faire un recueil de ses textes de jeunesse en se plaignant de la « vision de soi ridicule » ainsi produite (11 août 1912), un homme qui a rencontré une femme dont il pense peut-être qu’il va réussir à l' »attacher par l’écriture » (13 août), un homme qui a vu sur lui des serrures s’ouvrir et d’autres se fermer (30 août), un homme qui évoque de « nouvelles forces » (15 septembre), voilà que cet homme parvient au seuil de la journée au bout de laquelle il va enfin se retrouver à pouvoir : tout tenter.
Alors que nous nous apprêtons à célébrer les 100 ans de la mort de Franz Kafka, je conseille vivement ce livre qui, au-delà du cheminement qui a conduit à la rédaction du Verdict, nous montre l’homme tel qu’il était, dans sa fragilité et sa recherche de perfection, un homme que Raphaël Meltz qualifie ainsi : « Réussir à écrire, plutôt qu’à publier : c’est résumée en quelques mots, l’histoire de sa vie. »
En conclusion, je vous incite à :
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A travers les nuits, de Raphaël Meltz. F. Kafka 1912. Buchet Chastel, 2023, 317 pages.
Ce livre, du fait de la reproduction et du rôle central de la nouvelle « Le Verdict » me permet de participer au mois thématique « Bonnes nouvelles ».
Un texte protéiforme, donc, à la fois fiction et essai, autour d’un auteur fascinant… très tentant, évidement !
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Exactement, c’est une construction qui m’a beaucoup interpellé et qui m’a rapproché de la personne Franz Kafka. Tu ne seras pas la seule à être tentée !
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un homme tellement torturé : Kafka! je ne connaissais pas cette nouvelle ni cet auteur , il est français ?
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Oui, c’est un auteur français, passionné de Kafka. Pour moi qui aime beaucoup Prague, c’était aussi l’occasion de revoir l’influence qu’avait eu cette ville sur ces écrits.
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Je ne connais pas bien Kafka, je l’avoue, et ce livre pourrait être une « bonne initiation ». En tous cas, ton billet donne envie de s’y plonger !
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Merci Sacha ! C’était la même chose pour moi, et cela m’a permis de le découvrir vraiment, tout en évitant de lire une biographie plus académique.
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Merci pour cette proposition originale. Il faut que je réfléchisse un peu à son classement. Le livre fait 320 pages mais il apporte effectivement un point de vue intéressant sur notre sujet. La nouvelle de Kafka est reproduite en intégralité mais l’auteur de cet essai est contemporain…
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Je te cause des soucis :-). En fait, tu pourrais mentionner « Le Verdict » de F. Kafka… reproduit dans le livre « A travers les nuits », etc. Enfin c’est juste une proposition 🙂
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non, pas de soucis particuliers… et ça ne serait pas drôle s’il n’y avait pas de surprises ! J’ai fouiné dans les anciens défis de lecture et j’ai classé le livre dans une rubrique spéciale.
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Ah oui, Kafka est toujours intéressant. Il devrait y avoir pas mal de choses cette année à son sujet (peut-être une rediffusion du podcast de France Culture sur les femmes qu’il a aimées, c’était passionnant).
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Oui, cette année est vraiment l’occasion de reconnecter avec le personnage et ses écrits. J’imagine que le podcast devait être intéressant, les passages relatifs aux femmes à qui il écrivait étaient aussi très enrichissants dans le livre.
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