Colère – Arpád Soltész

Journaliste d’investigation renommé, Arpád Soltész s’est également fait un nom dans la littérature slovaque contemporaine. Ses romans Il était une fois dans l’Est et Le Bal des porcs ont été traduits en français et ont reçu un très bon accueil. C’est la première fois que je découvre cet auteur via son dernier roman traduit, Colère, qui nous emmène dans la Slovaquie « sauvage » des années 90.

Les années 90 ont été des années de liberté dans les pays d’Europe Centrale libérés de la tutelle soviétique. Elles furent aussi l’occasion pour certains de s’enrichir de façon douteuse (certains communistes devenant d’ailleurs les premiers partisans des campagnes de privatisation, à leur bénéfice bien sûr) et constituèrent un terreau favorable à la hausse des trafics et crimes organisés. Récemment, j’ai d’ailleurs suivi une excellente série télévisée tchèque intitulée Devadesátky (« Années 90 »), qui s’inspire de crimes dans « le milieu », commis à Prague en 1993 / 1994, et restitue bien cet aspect des choses.

Des « ministres privatiseurs professionnels », des propriétaires de bordels liés au pouvoir, des trafiquants de drogue… Voici en quelques mots les protagonistes – tous liés entre eux – que l’on trouve dans Colère, qui se déroule à l’Est de la Slovaquie, à Košice. Ajoutons-y des policiers et des membres du service de renseignement liés à ces milieux, et voici dépeinte la réalité peu reluisante la ville dans les années 90.

Fort heureusement, on y trouve également des gens qui se battent pour que la vérité éclate, comme le journaliste Pali Schlesinger, ou encore des policiers qui veulent faire appliquer la loi. C’est le cas de Igor Molnár, surnommé Moli :

Dès la seconde où on le lui avait donné comme coéquipier, Miki avait su qu’il y aurait des problèmes avec le jeune. On mettait les gens avec Miki en guise de punition. Igor Molnár n’avait pas encore la même réputation que Miki Miko, mais il faisait déjà parlait de lui. Il n’obéissait à aucune règle, sauf à la loi. Il ne respectait ni les ordres se ses supérieurs ni leurs arrangements. Une ou deux fois, il avait arrêté des gens qui versaient honnêtemnent leur protection aux chefs. Il ne pouvait pas ignorer que c’était inutile, mais cela l’occupait. Il les amenait menottés toujours avec des preuves. De bonnes preuves. Propres, légales, utilisables dans un procès. Ce n’était pas un problème, mais c’était emmerdant.

Moli, un policier qui veut faire son travail de façon exemplaire, mais qui va se heurter à ces bandes qui vont tout simplement le liquider en faisant croire à un accident. Miki, son partenaire, assistant à la crémation, va se jurer une chose : que chacun des responsables soit puni, au moins par une peine de prison conséquente. Il va ainsi commencer sa traque, aidé par un autre policier surnommé « Le Barje ». Les deux hommes useront de toutes les combines pour arriver à leur fin et se venger.

Dès les premières pages, j’ai été happé par le souffle de l’histoire : la tonalité est caustique, le rythme est rapide, les échanges parfois virulents, laconiques et directs. Le roman est un regard acerbe porté sur cette société nouvelle, sans loi, où les arrangements vont bon train en haut lieu et c’est assurément très noir. Rappelons que la Slovaquie était alors dirigée par Vladimir Meciar, et que le pays avait vu sa première demande d’adhésion à l’Union Européenne retoquée pour « manquement à la démocratie »… Si le livre parle d’un temps qui semble révolu, l’élection récente de Robert Fico, avec des premières mesures très inquiétantes (fin du soutien à l’Ukraine, mise en cause des magistrats enquêtant sur la corruption, ou encore les récentes attaques contre la culture) montre bien que le pays n’en a pas fini avec ses démons et que la démocratie et l’Etat de droit ont besoin d’être soutenus, plus que jamais.

Je vous conseille vivement la lecture de Colère qui garde son rythme durant plus de 400 pages, et nous éclaire sur un pan de l’histoire que je connaissais peu. C’est également une véritable invitation à lire les livres précédents d’Arpád Soltész.

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Colère, de Arpád Soltész, traduit du slovaque par Barbora Faure. Agullo, 464 pages, 2024.

15 réflexions sur “Colère – Arpád Soltész

  1. Avatar de Sacha Sacha 2 septembre 2024 / 09:39

    Je voulais justement découvrir Arpád Soltész, me voilà définitivement convaincue !

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    • Avatar de Patrice Patrice 5 septembre 2024 / 11:29

      Il le faut :-). Je ne vais pas m’arrêter là non plus car il a une écriture vraiment acérée et il décrit très bien ce qu’a été la réalité du pays.

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  2. Avatar de luocine luocine 2 septembre 2024 / 13:20

    encore un livre que je vais noter, même s’il ne va pas me remonter le moral.

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    • Avatar de Patrice Patrice 5 septembre 2024 / 11:29

      Tu fais bien de le noter ; ce n’est pas un roman « feel good », assurément, mais tu passeras sûrement un bon moment à le lire !

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  3. Avatar de keisha41 keisha41 2 septembre 2024 / 13:25

    Ma bibli ne connait que Le bal des porcs, ça peut permettre de démarrer.

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    • Avatar de Patrice Patrice 5 septembre 2024 / 11:32

      Excellente idée ! On reste dans le même registre dans tous les cas.

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  4. Avatar de je lis je blogue je lis je blogue 2 septembre 2024 / 13:35

    Ah, c’est très tentant. On a pas beaucoup l’occasion de lire des écrivains slovaques et l’intrigue m’intrigue (ah, ah !). Evidemment, la bibli ne l’a pas. Il faut faire une demande d’acquisition.

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    • Avatar de Patrice Patrice 5 septembre 2024 / 11:40

      Lequel préfères-tu ? Je ne peux pas juger par rapport aux autres, mais j’ai beaucoup apprécié cette première lecture de Soltész

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      • Avatar de alexmotamots alexmotamots 6 septembre 2024 / 12:01

        « Il était une fois dans l’est », son premier

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  5. Avatar de dasola dasola 28 octobre 2024 / 20:35

    Bonsoir Patrice, le roman m’attend dans une des mes PAL. Je suis contente de lire un billet positif car on peut être déçu. Merci. Bonne soirée.

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    • Avatar de Patrice Patrice 2 novembre 2024 / 18:40

      Merci pour ton commentaire. Je trouve qu’il y a beaucoup de rythme dans ce livre ; c’est aussi un témoignage de premier plan sur la Slovaquie de l’après 90. Je t’en souhaite une bonne lecture !

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