Ecrivaine russe née en 1957, Elena Tchijova a connu la notoriété après la parution de son livre Le temps des femmes, qui racontait la vie de femmes dans la Russie soviétique des années 60 dans un appartement communautaire. Dans son dernier opus, Le Grand Jeu, qui s’ouvre le jour de l’annexion de la Crimée par la Russie, le 18 mars 2014, l’autrice s’attache à nous décrire la vie de trois générations entourées de secrets et de non-dits à St Petersbourg.
Anna Petrova, ancienne professeure désormais femme de ménage, vit avec sa mère et son fils Pavlik. Dire qu’ils vivent ensemble est exagéré ; chacun vit plutôt à côté de l’autre. Anna se sacrifie pour la famille, économise, toute dévouée à son fils Pavlik qui est passionné par les jeux vidéos et l’informatique. Le troisième protagoniste est celui de la grand-mère, qui montre bien peu d’amour pour sa fille Anna, et la tyrannise.
C’était petite maman qui avait baissé d’un coup sec les stores sur sa vie, l’avait forcée à contempler l’existence à travers un trou de serrure. Pour Anna, comme pour ses semblables, même l’interstice d’une porte entrouverte était un espace.
La grand-mère commence à perdre la vue mais aussi la mémoire, se livrant à des récits exaltés du temps de la guerre, laissant percevoir ce que fut le siège de Leningrad. Pavlik l’enregistre et met en ligne ces vidéos, ce qui lui attire de nombreuses vues sur les réseaux sociaux. Influencé par ce succès, il travaille à la conception de jeux vidéos s’inspirant de cette réalité – chez lui, l’imagination et la réalité se mélangent.
Trois personnages principaux, trois caractères différents, et à travers eux un témoignage sur l’histoire de la Russie du XXème siècle. La grand-mère, dure, marquée par l’histoire communiste ; la génération intermédiaire symbolisée par Anna, désabusée, déclassée ; et la plus récente (Pavlik est né en 1992) qui s’enfuit dans la virtualité et a du mal à trouver sa place dans son pays. Il y a finalement assez peu de personnages secondaires. C’est l’absence des hommes qui frappent également le lecteur : on devine, par bribes, que le père d’Anna est lié à des exactions de la période communiste et qu’il est mort. Le père de Pavlik n’apparait que très peu, Anna élevant son fils seul. Pavlik ne trouvera son salut, quant à lui, que dans le départ. La culpabilité se transmet d’une génération à l’autre, et les silences de cette famille sont des métaphores de ceux qui habitent la société russe quant à son passé.
Le Grand Jeu est un livre riche qui séduit dès les premières pages par son écriture allègre, par la façon dont l’autrice introduit le personnage d’Anna Petrovna, celui auquel on s’attache réellement. Par contre, il m’est apparu beaucoup plus opaque dans les chapitres ou passages concernant Pavlik. Au-delà des mélanges entre réalité et imagination, on saute également au fur et à mesure du roman d’un personnage à l’autre sans transition. Cela exige donc une lecture des plus concentrées pour ne pas en perdre le fil (mais l’on sent que c’est voulu par l’autrice) et pourra rebuter certains lecteurs.
Saluons le courage de l’autrice qui s’est opposée à l’annexion de la Crimée et tout ce qui s’ensuivit.
Le Donbass où se déroulaient des événements inconcevables pour quelqu’un de normalement constitué. En effet, qui aurait pu imaginer que deux peuples frères, mieux, deux peuples qui n’en faisaient qu’un (sa mère était originaire d’Ukraine), en arriveraient à une horreur pareille, se tireraient dessus et s’entre-tueraient ?
Je vous conseille :
X d’acheter ce livre chez votre libraire
X de l’emprunter dans votre bibliothèque
de lire autre chose
Le Grand Jeu, d’Elena Tchijova, traduit du russe par Marianne Gourg-Antuszewicz. Les éditions Noir sur Blanc, 2024, 320 pages.
Et si on bouquinait un peu ? 
Vu mes déboires récents avec un roman un peu difficile, je vais éviter celui-ci, mais j’avais oublié le premier roman de cette autrice qui me tente beaucoup. Merci !
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Oui, je dois admettre que ce n’est pas un livre que l’on lit « au passage », il faut parfois s’accrocher, en tout cas bien s’immiscer dans l’histoire. Je me suis noté aussi cet autre roman.
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Encore un livre qui me tente publié par les Éditions Noir sur Blanc, qui font décidément un travail considérable.
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En effet, et pour quiconque s’intéresse à la littérature d’Europe Centrale et Orientale, leur catalogue est une source inépuisable d’inspiration. Ils viennent de sortir le dernier roman de Cartarescu, Théodoros, dont j’ai entendu récemment le plus grand bien.
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Aïe, peut-être pas pour tout de suite alors si ce roman demande de la concentration mais si ça permet de traverser l’histoire de la Russie du 20e siècle, ça m’intéresse, surtout si l’écriture est allègre.
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Elle est allègre dans les 120 premières pages ; c’est un peu plus tard, quand il est question de Pavlik et de la grand-mère, que cela se corse. Cela ne doit néanmoins en rien te freiner 🙂
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Une autrice à retenir, malgré ton bémol sur le roman d’aujourd’hui. Je n’ai pas beaucoup lu d’auteurs russes contemporains,
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C’est un bémol tout relatif. Je suis un peu dans ton cas et je ne sais donner de la tête parmi toutes les idées de lecture. En ce moment, je me prépare pour Les feuilles allemandes, et me dis que, là aussi, il y a vraiment de belles choses à découvrir.
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Je connaissais « Le grand jeu » de Peter Hopkirk mais pas celui-ci.
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Le grand jeu que tu mentionnes m’était quant à lui inconnu, mais après avoir lu de quoi il s’agit, je viens de le mettre sur ma liste de recommendations 🙂
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J’étais très curieuse d’avoir ton avis. On est globalement d’accord 😁
J’ai aimé cette lecture mais la complexité a clairement freiné, à des moments, mon plaisir de lecture. Mais c’était une expérience intéressante et j’essaierai un autre titre de cette autrice
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Globalement :-). Je comprends tout à fait ce que tu veux dire, et je dois avouer qu’à plusieurs reprises, j’étais bloqué. Néanmoins, j’en garde à la fin le souvenir d’un livre qui m’a vraiment marqué – on lit parfois certains livres rapidement, facilement mais on les oublie vite. Celui n’est pas clairement pas de ce tonneau.
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Oui, et c’est tellement rare un livre qui se mérite et qui ne s’offre pas facilement au lecteur
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ça m’a l’air très intéressant. Tu sais si l’autrice vit encore en Russie?
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Tu poses une très bonne question, et j’avais essayé de trouver une réponses également après la lecture du livre ; je ne l’ai pas trouvée. Pas évident étant les propos qu’elle tient sur l’invasion…
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Je ne connaissais pas cette romancière, ni ce prix Booker russe qui n’est plus attribué depuis quelques années, mais qui compte de belles signatures.
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En effet, je viens de regarder de plus près les lauréats et il y a là quelques bonnes suggestions de lecture !
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