Au-delà du silence – André Brink

Auteur d’un oeuvre riche, l’écrivain sud-africain André Brink (1935-2015) fut un opposant ferme à la politique d’apartheid qui régnait dans son pays. Publié en 2002, Au-delà du silence revient sur un aspect de l’histoire du continent africain : la colonisation allemande dans le Sud-Ouest africain, aujourd’hui connu sous le nom de Namibie.

C’est au tournant des XIXème et XXème siècle que l’Empire allemand a souhaité bâtir un Empire colonial, à l’instar des Français et des Britanniques. La plupart des régions conquises était très peu peuplées, mais le territoire était vaste (cinq fois la superficie du Reich sur le continent européen). Au-delà du silence a pour cadre les événements qui se déroulèrent dans le Sud-Ouest africain et l’on perçoit ce climat de violence et de révoltes que vint réprimer durement le général Lothar von Trotha, en commettant ce qui fut qualifié plus tard et reconnu comme tel par le gouvernement allemand en 2021 : un génocide. L’un des autres aspects de cette colonisation fut l’envoi de femmes en provenance d’Allemagne.

… de plusieurs centaines de femmes et de filles qu’on embarqua à Hambourg vers la lointaine colonie africaine entre, grosso modo, 1900 et 1914, pour assouvir les besoins de colons désespérément en manque de mariage, de procréation ou d’une bonne bourre.

L’une de ces femmes s’appelle Hanna, Hanna X, une orpheline de Brême que l’on croise au début du livre dans une grande batisse pour femmes, appelée Frauenstein. On apprend qu’elle a été défigurée, ne peut plus parler et qu’elle vient de commettre un crime, en tuant un officier allemand faisant « une halte » avec sa troupe à cet endroit. Pourquoi est-elle défigurée ? Quelles sont les raisons qui l’ont poussée à commettre ce crime ? Celles immédiates mais aussi celles plus enfouies, liées au vécu de la jeune femme. Dans la première partie, dédiée au parcours de Hanna avant d’arriver à Frauenstein, il question de l’enfance difficile dans un orphelinat du nord de l’Allemagne, du poids des mauvais traitements (« On bat les enfants (…) parce que c’est un établissement chrétien où le mal est défendu »), des abus des hommes, de sa venue en Afrique. La second partie, quant à elle, nous relate la fuite d’Hanna avec une autre femme, Katja, de leur tentative de constituer une troupe pour se venger des oppresseurs.

Non, elle n’aurait jamais cru que la haine pût se révéler telle. Si belle. Si spéciale. D’une telle pureté. Chargée d’une telle abondance de vie.

Au-delà du silence est un livre dur, où la violence est partout – dans les murs de l’orphelinat, dans certaines familles qui employaient Hanna comme domestique et où certains hommes voulaient abuser d’elles, dans le bateau et le train qui l’emmenaient en Afrique – et engendre la vengeance et la haine. Il offre également une image peu flatteuse de l’Eglise, des prêtres, et de la gent masculine en général. La victime, Hanna, qui ne peut plus parler, laisse aussi s’exprimer la violence dans cette deuxième partie. Même si elle est blanche, on se rend bien compte qu’elle est le porte-parole de tous ces peuples autochtones ayant payé de leurs vies cette colonisation. Un livre essentiel et une première rencontre avec cet écrivain qui en appelle d’autres.

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Au-delà du silence, d’André Brink, traduit de l’anglais par Bernard Turle. Le livre de poche, 2015, 480 pages.

Ma participation au Mois africain 2024 organisé par Jostein.

22 réflexions sur “Au-delà du silence – André Brink

  1. Avatar de luocine luocine 7 octobre 2024 / 08:06

    j’ai lu tous les romans de cet auteur quand ils paraissaient à leur époque, et je les ai beaucoup, beaucoup appréciés. Je n’ai pas oublié la dénonciation de l’apartheid et de la colonisation qu’ils racontaient même si j’ai oublié les détails de la narration.

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 octobre 2024 / 04:26

      Merci pour ton commentaire. Je comprends sans problème que tu aies beaucoup apprécié ces romans, qui nous éclairent sur ces sociétés, les problèmes de la colonisation, de l’apartheid. C’est un roman qui m’a beaucoup marqué pour ces aspects là, mais aussi pour toute la narration autour de l’enfance de Hanna en Allemagne, qui en dit long aussi sur la société de l’époque.

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  2. Avatar de keisha41 keisha41 7 octobre 2024 / 10:53

    (Oui, le génocide des Herreros), mais j’ignorais cette histoire de femmes allemandes…

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 octobre 2024 / 04:28

      Je ne connaissais pas du tout cette histoire du génocide (ma connaissance de l’histoire africaine est trop lacunaire), mais c’est assez édifiant, tout comme celle des femmes allemandes qui, trop jeunes ou ne convenant à personne, finissaient dans cette grande batisse.

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  3. Avatar de alexmotamots alexmotamots 7 octobre 2024 / 12:30

    C’est un auteur que j’avais lu dans ma jeunesse, mais il y a quelques années, j’ai voulu le relire et j’avais trouvé son écriture un peu datée.

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 octobre 2024 / 04:30

      Je ne peux pas vraiment juger pour son oeuvre en général, mais en tout cas, je n’ai pas l’impression pour ce livre, qui est sorti au début des années 2000.

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  4. Avatar de Choup Choup 7 octobre 2024 / 18:01

    Tiens tu me rappelles que je l’ai depuis des années dans ma bibliothèque… il remonte illico dans mes envies de cette fin d’année!

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      • Avatar de Choup Choup 8 octobre 2024 / 13:26

        ah, malheureusement, pas le temps, les lectures « boulots » prennent tout mon temps! c’est bien dommage.

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 octobre 2024 / 04:33

      Oui, c’est dommage que tu ne puisses par le lire pour le Mois africain, mais si jamais tu en avais envie, sache que les 400 pages se lisent très vite – bien sûr, certains passages sont vraiment durs et frappants, mais l’écriture est fluide.

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  5. Avatar de Sacha Sacha 7 octobre 2024 / 21:11

    Je me suis arrêtée il y a très longtemps à Une saison blanche et sèche (que j’avais aimé si je me souviens bien). Il y a peu de romans sur la colonisation de la Namibie et sur le génocide commis à cette occasion, je le lirai donc avec intérêt.

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 octobre 2024 / 04:35

      Je suis sûr qu’il te plairait. Ce fut pour moi une véritable découverte, tout d’abord d’un auteur, mais aussi du pan de l’histoire africaine. « Une saison blanche et sèche » est déjà noté pour l’année prochaine, entre autres !

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  6. Avatar de je lis je blogue je lis je blogue 8 octobre 2024 / 06:02

    « Une saison blanche et sèche » m’avait marquée durablement

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 octobre 2024 / 04:36

      J’ai lu beaucoup de bons avis sur ce livre. Au bureau, mon chef (qui vient d’Afrique du Sud) m’a conseillé de lire « L’insecte missionnaire ». Peut-être l’as tu déjà lu aussi ?

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  7. Avatar de jostein59 jostein59 8 octobre 2024 / 11:12

    merci pour ce partage. Je n’ai jamais lu cet auteur mais tu me donnes envie de découvrir cet épisode historique avec Hanna

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 octobre 2024 / 04:37

      Merci à toi surtout d’organiser ce Mois africain. Cela fut le « coup de pouce » pour vraiment lire ce livre, et j’en suis vraiment heureux.

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  8. Avatar de Ingannmic Ingannmic 8 octobre 2024 / 15:01

    Comme Alex, j’ai tenté de le lire il y a quelque temps, mais j’ai eu un peu de mal avec l’écriture un peu « vieillie ». Je garde en revanche un souvenir marquant de l’adaptation ciné d’Une saison blanche et sèche (qui a peut-être vieilli aussi d’ailleurs :)…

    Et j’avais appris l’histoire de ces Herreros en lisant, à l’occasion de l’activité sur les minorités ethniques, un récit sur les Bushmen du Kalahari (on est sur des territoires voisins voire communs).

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 octobre 2024 / 04:43

      J’ai du mal à voir en quoi l’écriture a vieilli, personnellement, mais j’y serai attentif lors de ma prochaine lecture ! C’est un livre qui m’a donné envie d’en apprendre plus sur ces épisodes de la colonisation. Je garde un très bon souvenir de ton année thématique sur les minorités (comme sur celle sur le monde du travail d’ailleurs).

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  9. Avatar de Fanja Fanja 8 octobre 2024 / 21:41

    J’avais lu Un instant dans le vent il y a quelques années et j’en garde un bon souvenir. Il faudrait que je revienne à cet auteur. Merci pour le rappel !:)

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 octobre 2024 / 04:44

      Avec plaisir ! Je suis heureux de lire autant de commentaires d’ailleurs sur ce livre et cet auteur en général. C’est bon signe

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  10. Avatar de aifelle aifelle 9 octobre 2024 / 08:28

    Dans ma jeunesse je ne ratais pas une parution de cet auteur. Je ne pense pas avoir lu celui-ci, je m’en souviendrais. Ça pourrait être l’occasion de renouer avec lui.

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 octobre 2024 / 04:46

      Très bonne idée ! Je vois qu’en général, il a déjà été souvent lu, je suis heureux de rejoindre le cercle 🙂

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