
Dans Un jour dans l’année, Christa Wolf évoque plusieurs fois le livre d’Anna Seghers (1900 – 1983), La septième croix, qu’elle considère comme un chef d’oeuvre. C’est d’ailleurs elle qui signe la postface du livre récemment retraduit en français par les Editions Métailié, qui met en scène, dans l’Allemagne nazie des années 30, l’évasion de détenus politiques du camp de Westhofen.
Hermann a parfaitement raison : un évadé qui a réussi à s’échapper, c’est toujours quelque chose, ça chamboule tout. C’est toujours un doute jeté sur leur pouvoir absolu. Une brèche.
« Ce livre est dédié aux antifascistes allemands morts ou vivants. Il a été publié au Mexique grâce à l’amitié et au travail collectif d’écrivains, d’artistes et d’imprimeurs allemands et mexicains », peut-on lire en introduction. Anna Seghers avait dû quitter l’Allemagne nazie dès 1933, et avait rédigé ce livre en France avant d’émigrer en Amérique du Sud. Elle s’inspira d’ailleurs de témoignages de personnes ayant fui l’Allemagne. Exilé d’Allemagne, où ses livres furent interdits et brûlés, elle réussit à faire publier ce titre qui ne sera disponible en Allemagne qu’après la Seconde Guerre Mondiale. Communiste, elle fut l’une des écrivains emblématiques de l’Allemagne de l’Est.
Des planches clouées en travers des troncs de sept platanes « faisant de loin ressembler ces platanes à sept croix », voici ce qu’ordonna le commandant du camp de Westhofen, Fahrenberg, quand il apprit que sept détenus se furent enfuis. Ils voulaient les récupérer rapidement et les supplicier, à valeur d’exemple. Parmi eux, Georg, un communiste, est celui qui cristallisera le plus d’attention. En effet, un à un, les prisonniers furent repris ou retrouvés, morts ou vivants, à l’exception de Georg. Si sa fuite constitue la partie la plus importante du roman, elle ne se concentre pas que sur lui. Narré à la troisième personne, le livre passe d’un personnage à l’autre, qu’il s’agisse des co-détenus ou de ceux qui gravitent autour d’eux.
La septième croix est un roman très vivant, très dense ; les réflexions des protagonistes sont livrées par l’intermédiaire d’un questionnement qui montre très bien l’attente, l’angoisse devant une convocation par la Gestapo, leur dilemme aussi pour certains, partagés entre deux voies : continuer leur vie paisible ou prendre des risques pour défendre ce qui leur semble juste.
Il avait toujours répondu, quand on lui avait demandé quelque chose : laissez-moi en dehors de tout ça : pour moi, l’essentiel, c’est que ma Liesel ait préparé ma soupe, même si ma cuillère ne tient pas debout dedans.
La tension dans la société, la suspicion sont également très bien restituées. A qui s’adresser, à qui faire confiance ? Le doute s’est insinué partout, même entre amis, ce qui permet de voir que, dans une dictature, il n’est nul besoin de surveiller chacun, mais que s’installent l’auto-censure et le doute. Le récit est aussi très visuel – qu’il s’agisse de la description du brouillard lors de l’évasion ou celle d’une rencontre secrète – et on ne s’étonne donc pas qu’il fut adapté dès 1944 dans un film américain. Enfin, il montre que, dans ces conditions, il y a toujours des gens courageux ou ceux qui le deviennent au péril de leur vie, et cette confiance dans l’Homme est l’un des messages les plus forts du livre.
Une lecture que je vous conseille sans réserve !
X Achetez ce livre chez votre libraire
empruntez-le dans votre bibliothèque
lisez autre chose
La septième croix, d’Anna Seghers. Traduit de l’allemand par François Toraille. Métaillé, 444 pages, 2020.

Ce livre fait l’objet d’une lecture commune avec Miriam dans le cadre des Feuilles allemandes.
Autre livre d’Anna Seghers chroniqué par Eva sur ce blog : L’excursion des jeunes filles qui ne sont plus.
Merci pour cette découverte d’un roman qui s’annonce difficile (l’image de ces 7 croix attendant leurs suppliciés est atroce) mais passionnant. C’est une lecture importante que tu fais là à l’occasion des Feuilles.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci pour ton commentaire. Oui, je suis vraiment heureux d’avoir pu découvrir enfin ce livre qui est devenu un classique. Ce que j’ai oublié de dire (et Miriam le souligne dans sa chronique), c’est que ce livre se lit très bien, parfois à l’image d’un thriller – il y a du rythme et l’anxiété nous porte.
J’aimeAimé par 1 personne
N’en jetez plus, je suis tout à fait convaincue 😂.
J’aimeJ’aime
Terriblement tentant même si ça doit être une rude lecture.
J’aimeAimé par 1 personne
Laisse toi tenter. Je ne dirais pas que c’est si rude (quand je lis « rude », je pense tout de suite au livre de Sigitas Parulskis, Ténèbres et compagnie, mais pas à celui-là). C’est un ouvrage éclairant sur l’atmosphère qui régnait en Allemagne dans les années 30.
J’aimeJ’aime
Je note ton avis très positif parce que Transit m’avait semblé assez long et plat (et je connais bien l’histoire). Et comme tu dis, l’avis de Wolf n’est pas à négliger. Je le lirai peut-être !
J’aimeAimé par 1 personne
N’hésite pas, on comprend à le lire pourquoi il a été qualifié de chef d’oeuvre. Je ne connais pas Transit. Eva avait lu de son côté L’excursion des jeunes filles qui ne sont plus, qui avait été un coup de coeur.
J’aimeJ’aime
ce qui me gêne dans le parcours de cette écrivaine (si ce que tu dis est vrai) c’est qu’elle est devenue ensuite une communiste en Allemagne de l’est moi qui vient de finir « Stasiland » ça me fait froid dans le dos : quitter le nazisme pour le communisme ne me semble pas une solution !
J’aimeAimé par 1 personne
Je comprends ce que tu veux dire. Je ne me suis pas attardé sur sa biographie, mais par fidélité au communisme, il est vrai qu’elle n’a jamais dénoncé les déviances du régime qu’elle a rejoint après la Seconde Guerre Mondiale.
J’aimeJ’aime
Je ne connaissais pas du tout cette autrice mais si elle est conseillée par Christa Woolf elle-même ce titre rentre directement dans ma wish-list !
J’aimeAimé par 1 personne
Merci pour ce commentaire et bienvenue sur ce blog ! Je peux te rassurer : tu peux sans problème glisser ce livre dans ta liste, il le mérite et la lectrice en sera récompensée !
J’aimeAimé par 1 personne
Voici le lien vers mon blog
J’aimeAimé par 1 personne
Merci pour ce lien et pour ta participation – tu as très bien résumé le livre et son ambiance.
J’aimeJ’aime
Comme je le disais chez Miriam, je l’ai commencé et j’ai abandonné, pour plusieurs raisons, ce n’était pas le moment. Mais je me promets de le reprendre.
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, c’est un texte qui demande pas mal d’attention, et il vaut mieux le laisser pour une autre fois dans ce cas. Bonne lecture par avance !
J’aimeJ’aime
Il est dispo à la bibli mais je n’aurai pas le temps de le lire pour cette édition des Feuilles allemandes. Je vais le garder pour la prochaine
J’aimeAimé par 1 personne
Excellente idée ! Cela veut-il dire que nous devons envisager une édition 2025 pour les Feuilles allemandes ? :-). Je suis très content à l’idée de savoir que ce livre sera de nouveau chroniqué !
J’aimeJ’aime
Oui, oui, je suis sûre que je ne suis pas la seule à espérer une édition des Feuilles allemandes l’an prochain. Cette année, malheureusement, je n’étais pas dans une bonne période de lecture et je n’ai pas pu participer autant que je le voulais
J’aimeJ’aime
Un roman que j’avais adoré.
J’aimeAimé par 1 personne
Très bonne nouvelle. J’ai cherché sur ton blog mais je n’ai pas trouvé de chronique 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, mon blog a eu un problème de virus, j’ai dû le refaire à neuf, mais mes anciens billets sont perdus, sauf sur Babelio.
J’aimeJ’aime
Tu es très convaincant… Mes biblis ne l’ont pas, je vais regarder en poche si je le trouve.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci ! J’ai vu qu’il est désormais disponible en poche également, je t’en souhaite une bonne lecture par avance.
J’aimeJ’aime
j’ai lu Anna Seghers avec en particulier l’Excursion des jeunes filles qui ne sont plus
par contre ses autres romans je les connais très mal
je vais te faire confiance et noter celui là le sujet m’intéresse toujours
J’aimeAimé par 1 personne
Je pense que tu ne seras pas déçue, c’est un roman dense et fort. Cela m’a donné envie de continuer à découvrir son oeuvre (même réflexion d’ailleurs pour Christa Wolf). De bonnes heures de lecture en perspective !
J’aimeJ’aime