L’Art d’écosser les haricots – Wiesław Myśliwski

La littérature polonaise contemporaine est d’une grande vitalité, et je suis heureux de continuer à la découvrir (et la faire découvrir) aujourd’hui avec le livre de Wiesław Myśliwski, L’Art d’écosser les haricots. Double récipiendiaire du prix littéraire le plus important de Pologne (dont l’un pour ce roman), à l’instar de sa compatriote Olga Tokarczuk, Wiesław Myśliwski, né en 1932, traite de la vie dans la campagne polonaise.

C’est une journée comme les autres qui se déroule pour le narrateur, un gardien de village de vacances dans une localité polonaise. Nous sommes hors saison et rien ne semble sortir notre homme de sa routine, faite notamment des tours de surveillance du village avec ses deux chiens. Soudain, un étranger arrive, qui demande à lui acheter des haricots secs (c’est apparemment une des spécialités de la région). N’en ayant pas suffisamment, il propose au visiteur de s’asseoir à la table avec lui et d’écosser les haricots ensemble.

S’interrogeant sur les raisons qui ont poussé cet étranger à venir justement s’arrêter chez lui, il commence à évoquer les gens qui habitent le lieu puis certains épisodes de sa vie. A aucun moment, on entendra une autre voix que celle du narrateur qui, au fil des 500 pages, passe d’un sujet à l’autre : il y est question de son enfance (avec une grand-mère qui interprétait les rêves et un grand-père qui égrainait ses souvenirs de guerre), de son apprentissage du métier d’électricien, mais également d’anecdotes comme cette rencontre avec un homme dans la rue qui le prend pour un autre. Wiesław Myśliwski est un conteur hors pair qui arrive à nous faire tourner les pages du livre avec plaisir, même quand il évoque pendant de longues pages son arrêt dans une boutique pour acheter un chapeau !

Au-delà de ces épisodes, Wiesław Myśliwski parle plus généralement de la vie, de la nature humaine. Le destin du narrateur a en toile de fond l’histoire de son pays. On devine que, derrière le lieu du paisible village de vacances, se sont passés des massacres durant la guerre et que son enfance s’est brutalement arrêté un jour où il était parti chercher des pommes de terre dans un hangar derrière chez lui.

Dire que les lieux se languissent de nous, non ! ce n’est qu’une impression. Il ne faut pas y croire. A l’étranger, lorsque j’allais me promener dans une forêt, une forêt inconnue, avec des arbres inconnus, des buissons, des sentiers, des oiseaux inconnus, j’avais pourtant l’impression de me balader dans ma forêt à moi, sur les chemins de mon enfance, de croiser les arres qui m’étaient familiers, d’entendre les oiseaux que je connaissais. Et j’ai cessé d’aller dans la forêt. Tout endroit que l’homme a laissé derrière lui n’est plus le sien. Le seul qui lui appartienne vraiment se trouve en lui. Qu’on soit ici, ailleurs, n’importe où. Maintenant ou n’importe quand. Tout ce qui se trouve à l’extérieur de nous n’est qu’illusion, circonstance, fatalité ou erreur. L’homme est pour lui-même son lieu ultime.

Le livre est aussi une ôde à la musique, omniprésente dans tout le récit : dans le lieu où il fit son apprentissage après la guerre, un orchestre fut mis en place avec les moyens du bord. Le narrateur s’est pris de passion pour le saxophone, et bénéficia de conseils de celui qui occupait le poste de magasinier. Cette passion de la musique fut le véritable moteur de sa vie, et l’emmena exercer dans un orchestre à l’étranger et lui permit de se (re)construire. Cette musicalité s’imprime d’ailleurs à tout le livre.

L’Art d’écosser les haricots est un livre profond sur la vie et les confidences d’un homme qui a beaucoup vu et vécu que je vous conseille :

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de lire autre chose

L’Art d’écosser les haricots, de Wiesław Myśliwski, traduit du polonais par Margot Carlier. Babel, 2016, 512 pages.

Participation à « Quatre saisons de pavés » (Au milieu des livres – Moka).

20 réflexions sur “L’Art d’écosser les haricots – Wiesław Myśliwski

  1. Avatar de je lis je blogue je lis je blogue 9 juin 2025 / 12:10

    En effet, totale découverte pour moi, cette fois encore !

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 juin 2025 / 17:38

      Je me réjouis de faire découvrir de tels livres et auteurs !

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 juin 2025 / 17:40

      J’ai hâte de lire ton avis car je sais que tu le liras bientôt 😉

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 juin 2025 / 17:41

      Tu reçois de bons conseils, à ce que je lis !

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  2. Avatar de Fanja Fanja 9 juin 2025 / 22:57

    Ça a l’air tranquille mais très plaisant, donc pourquoi pas ? Le titre me plaît bien en tout cas et l’élément « musique » dans l’intrigue m’intéresse aussi.

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    • Avatar de Patrice Patrice 10 juin 2025 / 17:42

      En effet, ça se lit très bien, il ne faut pas attendre de rebondissements, les choses sont dites simplement – mais la signification n’en est pas moins forte

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    • Avatar de Patrice Patrice 29 juin 2025 / 06:45

      Et je comprends pourquoi. Même ressenti de mon côté.

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  3. Avatar de Athalie Athalie 13 juin 2025 / 06:57

    Le ton pourrait me plaire … Mais bon, 500 pages quand même … Avec des arrêts sur l’achat d’un chapeau … Je vais laisser faire le hasard, vu que ton avis et les commentaires me titille un peu l’envie quand même !

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    • Avatar de Patrice Patrice 29 juin 2025 / 06:46

      Ca se lit très bien, je t’assure, on ne sent pas les 500 pages

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  4. Avatar de Mokamilla Mokamilla 27 juin 2025 / 06:32

    Un titre que je découvre avec ta chronique et tout est là pour vivement attiser ma curiosité ! Merci pour ta participation et RDV pour un futur pavé d’été peut-être !

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    • Avatar de Patrice Patrice 29 juin 2025 / 06:47

      Oui, n’hésite pas ; la littérature polonaise est riche et mérite d’être découverte amplement. Je compte bien participer aux pavés d’été, plusieurs titres m’attendent. A bientôt !

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  5. Avatar de Mokamilla Mokamilla 29 juin 2025 / 06:47

    En grande amoureuse de la Pologne, je suis d’autant plus convaincue !

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