Les Alexandrines – Marjan Tomšič

De la construction du canal de Suez au milieu du XXème siècle, la bourgeoisie cosmopolite de la ville d’Alexandrie en Egypte fit appel à de nombreuses jeunes femmes slovènes, réputées pour la qualité de leur service et leur intelligence, qui quittaient ainsi leur pays natal pour servir plusieurs années. Dans Les Alexandrines, l’auteur slovène Marjan Tomšič (1939-2023), imagine le destin de trois d’entre elles dans les années 30.

Elles sont trois : Ana est déjà allée en Egypte et décide d’y retourner travailler dans un hôtel pour continuer à gagner de l’argent, mais aussi échapper à un mari alcoolique et une belle-mère tyrannique ; Merica, quant à elle, a accouché il y a peu de temps et doit abandonner son mari et son fils pour devenir la nourrice d’un jeune garçon, Thomas ; enfin, Vanda, une jolie jeune fille de 16 ans complète le trio. Voyageant en bateau, appréhendant pour certaines l’arrivée dans un monde inconnu, elles ont un point commun : elles sont d’origine modeste, essentiellement rurale, et sont obligées de quitter le foyer pour rendre le quotidien de ceux qui restent plus acceptable, ou encore d’éponger des dettes ou de permettre l’acquisition d’un lopin de terre.

Si le roman tourne autour des trois jeunes femmes, la focale s’élargit et l’on fait rapidement connaissance d’une communauté slovène plus large, principalement féminine, et à travers elles on prend conscience des réussites mais aussi des difficultés auxquelles les immigrées durent faire face : le déracinement vis-à-vis du pays, l’abandon de leurs propres nourrissons pour les jeunes femmes, mais aussi un référentiel modifié par rapport aux valeurs (polygamie par exemple), ou encore l’avidité de la famille en Slovénie qui en réclame toujours plus. Certains destins sont même tragiques.

Avec les livres sterling, on pouvait en effet solder ses dettes, réparer le toit de la maison, ajouter un bâtiment, acheter un champ, un petit champ, mais à la vérité, on ne pouvait pas devenir riche. Il y avait des exceptions, disons ces chanceuses qui réussissaient à être nourrices ou bonnes d’enfants à la cour, chez les princes ou même chez les épouses du roi. Ou celles qui épousaient un veuf plus riche voire très riche ; un juriste, un médecin, un banquier, un commerçant… ou qui s’enrichissait d’une autre façon. Mais il y avait peu de cas de ce genre. Tous les autres trimaient sans fin, elles gagnaient dix fois plus qu’à Videm, Gorica, Trieste… mais elles restaient pauvres quand même.

Marjan Tomšič réussit à redonner vie à tout un pan de l’Histoire de son pays peu connu en dehors des frontières slovènes, mais aussi à nous faire entrer dans les pensées, les doutes, les espoirs des personnages abordés. Une belle lecture qui m’a permis de continuer à découvrir la littérature slovène, plusieurs années après ma lecture de Drago Jančar ou encore de Cyril Kosmač.

X Achetez ce livre chez votre libraire

X ou empruntez-le dans votre bibliothèque

lisez autre chose

Les Alexandrines, de Marjan Tomšič, traduit du slovène par Andrée Lück Gaye. Agullo, 2025, 416 pages

Un roman chroniqué (et apprécié) par Je lis, je blogue et Alex mot à mots.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.