
Dans notre dernière édition du Mois de l’Europe de l’Est, je remarquai que quelques pays manquaient à l’appel, dont la Slovénie. C’est une des raisons qui m’a poussé à explorer l’œuvre de l’écrivain Drago Jančar, que je souhaitais déjà découvrir il y a quelques mois grâce à Katarina, le paon et le jésuite, chroniqué par Passage à l’Est! . Cette nuit, je l’ai vue a été élu Meilleur livre étranger en France en 2014 et nous emmène durant la Seconde Guerre Mondiale sur les traces d’un couple bourgeois disparu lors d’une nuit de janvier 1944…
S’il est question du couple disparu, c’est surtout sur Veronika, une jeune femme moderne, séduisante, entière, excentrique (qui promenait un aligator en laisse, avant que celui-ci ne finisse empaillé après s’être attaqué au mollet de son mari !), que Drago Jančar porte son attention. Nous la découvrons de façon indirecte, grâce à cinq points de vue différents posés sur elle, sur sa disparition.
Le premier narrateur est Stevan Radovanovic, major de l’armée, alors prisonnier durant la fin de la guerre. Veronika lui a rendu visite la nuit, il en est persuadé. « Cette nuit, je l’ai vue » est le titre du livre mais aussi la première phrase de Stevan faisant allusion à cette visite nocturne. Officier serbe, il avait été l’amant de Veronika, avant que celle-ci ne le quitte sept ans plus tôt à Maribor. Le souvenir de la jeune femme reste omniprésent dans son esprit :
Je reçus sa dernière lettre au printemps trente-huit. Il s’est à peine écoulé sept ans depuis qu’elle est partie. Pour moi, c’est comme si c’était hier. Je me souviens de l’appartement vide de Maribor, jamais je ne l’oublierai. Le mobilier était là, elle n’avait rien emporté, excepté ses vêtements et quelques bibelots, mais c’était vide car elle n’y était plus, elle n’était pas là, son rire, sa démarche silencieuse, rien, dans la salle de bains, l’eau gouttait de la douche, elle s’était douchée le matin et elle était partie. Même ces gouttes, je ne les oublierai jamais, encore maintenant je les entends, ploc, ploc, elles frappaient le bac en porcelaine, comme les secondes, comme les minutes, comme le temps qui s’écoulait dans le silence.
C’est ensuite au tour de la mère de Veronika, une vieille femme qui converse avec son mari depuis longtemps disparu. Avec elle, on continue à en apprendre un peu plus sur la jeune femme, sur sa disparition en 1944…
Ainsi était Veronika, ainsi est-elle, où qu’elle soit. Quand elle prend une décision, personne ne l’arrête.
Peu à peu, grâce aux autres récits (un médecin allemand qui côtoyait le couple, et deux employés du domaine), l’image se précise, et les conditions dans lesquelles la disparition eut lieu nous apparaissent progressivement. La construction très habile du livre, la personnalité de Veronika rendent la lecture vraiment intéressante, mais ce n’est pas tout… En effet, dans leur récit, les protagonistes nous révèlent leurs états d’âme, leur vision de la disparition de Veronika, mais dépeignent également l’histoire d’un pays déchiré. Stevan est un officier modèle qui se rend compte de l’absurdité de la guerre ; Horst le médecin allemand, nous parle de la Gestapo, des tortures, se remémorant les combats auquel il participa en Ukraine en 1941, ou encore les exécutions de la fin de la guerre, par simple vengeance. De nombreuses années après, sa conscience se rappelle à lui :
J’aurais dû faire quelque chose, au moins montrer clairement mon désaccord. Mais je n’avais rien fait. Je me réveille souvent à cause de cet incident. Ce ne sont pas les choses qu’on a faites qui nous accompagnent mais celles qu’on n’a pas faites. Qu’on aurait pu faire ou au moins essayer, mais qu’on n’a pas faites.
Chacun fut obligé de choisir son camp, et Drago Jančar montre bien à quel point cela pouvait être destructeur.
Je vous recommande vivement ce livre, assez court, et très intense !
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Cette nuit, je l’ai vue, de Drago Jančar, traduit du slovène par Andrée Lück-Gaye. Libretto, 224 pages, 2019

Ce livre a été lu dans le cadre du Mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran.
En tous les cas, la dernière citation est très forte. Je partage entièrement ce point de vue. Merci pour cette présentation car ce livre m’apparaît d’autant plus nécessaire en ces temps difficiles…
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Je suis tout à fait d’accord avec toi. Merci pour ton commentaire et n’hésite pas à lire ce livre.
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J’ai lu de lui « et l’amour aussi a besoin de repos » et j’avais beaucoup aimé.
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Je n’avais jamais entendu parler de ce titre, il faut que je regarde ça de plus près !
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J’ai relu mon billet et je me rends compte que j’avais eu des réserves sur ce livre . Je me souviens cependant qu’il rend bien compte de la complexité des choix pendant la guerre : pourvu que nous n’ayons jamais ce genre de choix à faire.
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Oui, cette guerre qui paraissait toujours loin de chez nous et qui nous rattrape aujourd’hui…
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Un beau roman, oui, habilement construit autour du vide de l’absence, des regrets, de la culpabilité… j’avais beaucoup aimé.
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Tu n’es pas la seule et je rejoins volontiers le cercle !
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Je viens de lire Katarina (billet à paraître au cours du mois) et je trouve intéressant cette ouverture sur le rêve et sur cette visite nocturne, qui semble être un point commun entre les 2 livres. J’ai l’impression que le sujet et la structure de ce roman me plairaient davantage. En tous cas, l’auteur est bien intéressant !
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Katarina est toujours sur ma liste ; j’avais commencé à le lire et il était plus complexe que « Cette nuit, je l’ai vue ». Je suis curieux de lire ton billet !
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Drago Jancar m’avait beaucoup marqué, il a une plume qui nous embarque et très dure. Un vrai tsunami.
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Beaucoup d’avis positifs au final – la bonne nouvelle est que plusieurs de ses titres sont traduits en français !
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Oui aux mêmes éditions Noir sur Blanc si je ne m’abuse !
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J’allais dire Libretto, mais je viens de me rendre compte que Libretto et Noir sur Blanc font partie du même groupe !
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Ah je ne savais pas ! Tu m’apprends quelque chose !
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J’ai adoré ce roman, renouer les fils peu à peu alors que la tension monte. Je reviens tout bientôt avec deux belles lectures tchèques.
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Je comprends ton enthousiasme, c’est une excellente plume !
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Ton billet me fait penser que je n’ai jamais lu de littérature slovène, je me note donc ce titre.
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Le titre et plus généralement l’auteur ; tu ne feras pas d’erreur !
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Ah, et moi qui espérais encore te lire sur « Katarina… »! Puis-je encore espérer? C’est vrai que c’est un livre touffu.
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Tu auras cette occasion un jour, ne perds pas espoir 🙂
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Je n aurai pas le plaisir de bloquer d ici la fin du mois. Pas d’intérêt (sauf smartphone) je suis en train de lire Les Dévastées, on peut peut-être ajouter L’écho du lac de Kapka Kassabova lu en février et Le fantôme d’Odessa et Cavalerie Rouge d’isaac Babel .
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Pas de problème, je comprends tout à fait. Il y a des moments comme cela, surtout dans la période que nous vivons…
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Le correcteur orthographique à modifié le message lire BLOGUER et pas d INTERNET
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