Laurence Cossé – La grande arche

Cossé

1989 : les célébrations du bicentenaire battent leur plein en France. Le 18 juillet, après la réunion du G7 à Paris, l’Arche de la Défense est inaugurée. Plus de 25 ans après sa construction, Laurence Cossé nous fait revivre dans son dernier opus La Grande Arche, paru chez Gallimard, l’épopée de la construction de ce bâtiment autour du destin contrarié et malheureux de son architecte, le danois Johann Otto von Spreckelsen. Un livre magistral !

Le 23 mai 1983, le projet nommé Tête-Défense connaît enfin son lauréat : le danois Spreckelsen. Celui-ci est un inconnu pour le grand public ; à cet égard, voici l’échange qui a eu lieu lors de la conférence de presse entre Spreckelsen et les journalistes après que les résultats furent proclamés :

« Il se tait, une main se lève : Et vous, demande un journaliste, qu’est-ce que vous avez construit ? Spreckelsen répond d’une phrase. Ce que j’ai fait ? La maison que j’habite et quatre églises.

Un tonnerre d’applaudissement salue cet énoncé. Spreck est déconcerté.

(…) Les Français ont pris la courte phrase de l’architecte pour une litote. Ils ont compris qu’il avait d’abord construit sa maison et puis une quantité d’immeubles, d’écoles, de ponts, de tours, de cités administratives, avant de terminer par quatre églises, récemment. »

De malentendus, il en sera question pendant toute la construction. Conflit de culture entre des Français qui se croient rationalistes et l’architecte danois qui les considère avant tout comme des gens peu sûrs. Incertitude sur la destination de l’Arche devant initialement abriter le CICOM, un centre dédié à la communication, qui ne verra finalement jamais le jour. Enfin lutte d’influence pour la construction dans le contexte de la première cohabitation. Au final, si l’Arche sort de terre, ce sera au prix d’abandons forcés de la part de Spreckelsen, qui finit d’ailleurs par se retirer d’un projet qui n’est plus le sien.

Laurence Cossé a agi en véritable enquêtrice : elle a fouillé les archives, rencontré les protagonistes encore vivants, voyagé au Danemark en tentant (vainement) de recontrer l’épouse de Spreckelsen. Elle voltige entre l’avant, l’après, les rencontres, les détails ; un certain suspense y est distillé (elle écrit plusieurs fois « on y reviendra »…). On y découvre les arcanes du pouvoir mais aussi le manque de vision qui habite certains projets (ici le CICOM). Certes, on est parfois un peu perdu dans les détails architecturaux mais c’est sur le destin de Spreckelsen, un architecte qui aime « contrôler chaque boulon », et d’une famille qui en restera traumatisée, qu’elle nous livre les plus belles pages :

« Le Christ a vécu la croix, puis la gloire. Spreckelsen, à l’inverse, a connu la gloire avant de parcourir son espèce de chemin de croix. Son désir d’absolu a été porté à un tel degré de violence qu’il en est devenu négatif. Plutôt rien que l’inscription de l’esprit dans l’imperfection de la réalité. Plutôt abandonner que cautionner l’altération de l’oeuvre. Plutôt mourir. »

Spreckelsen ne verra jamais son Cube terminé. Il devait venir à Paris en février 1987, mais malade, il doit annuler sa visite et décède peu après, le 18 mars 1987.

La Grande Arche fait aujourd’hui partie des monuments emblématiques de notre capitale. Un projet et un architecte auxquels Laurence Cossé rend hommage à la fin du roman :

Si l’Arche est ce qu’elle est, cette porte de Paris, si puissante et si singulière, c’est que Spreckelsen était inexpérimenté, déraisonnable, non conforme et d’une folle présomption. Les concours ouverts créaient des appels d’air, des appels de neuf, de risque. Ils donnaient sa chance à Icare.

Plongez-vous tout de suite dans la lecture de La Grande Arche, un livre ambitieux, intelligent et très bien écrit :

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Réf : La Grande Arche, de Laurence Cossé. Gallimard. 2016. 355 p

 

 

4 réflexions sur “Laurence Cossé – La grande arche

  1. luocine 25 avril 2016 / 20:15

    deuxième critique positive .. je vais le lire c’est sûr de sûr

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    • Patrice 29 avril 2016 / 19:20

      Dans ce cas, j’attends avec impatience la chronique à venir sur ton blog

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  2. Ingannmic 17 septembre 2022 / 18:49

    Eh bien je vois que comme moi, tu en as retenu l’émouvante figure de Spreck… le terme « voltige », pour évoquer le procédé narratif, est par ailleurs très juste, elle passe en effet d’une période à l’autre, d’un épisode à l’autre, sans jamais nous perdre. De la belle ouvrage !

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