Depuis plusieurs semaines et après une belle panne de lecture que chacun(e) a connue à un moment ou à un autre (souhaitons maintenant un bon rétablissement à Patrice qui se trouve en plein tourment), j’enchaîne de bonnes lectures et rien ne m’arrête, surtout pas Christoph Hein avec son roman Prise de territoire ! Il confirme en effet que j’ai la main heureuse ces derniers temps en ce qui concerne le choix de titres. La vie d’un réfugié en Allemagne de l’Est de l’après-guerre jusqu’aux années quatre-vingt-dix – quel bon livre !
Il était l’enfant de réinstallés, dont on attendait de la reconnaissance et non pas une conduite inconvenante.
Le personnage principal, Bernhard Haber, arrive en Allemagne de l’Est – avec sa famille, il a dû quitter la Pologne après la deuxième guerre mondiale. L’administration allemande leur a choisi la ville de Guldenberg en Saxe et promis un bon accueil et du travail au père menuisier. Mais les réfugiés ne sont guère les bienvenus dans cette petite ville largement touchée par les bombardements et personne n’est plus vraiment intéressé par les services d’un menuisier – manchot…
A ceux-là, on avait donné un lopin de terre et un logement, voire une maison, c’était tout ce qu’ils possédaient, trop peu pour vivre et trop pour mourir.
Bernhard de son côté intègre l’école. Mais ne vous attendez pas à un garçon angoissé ou un souffre-douleur. Il sait se défendre, s’entête pour des causes qu’il considère importantes, ne se soucie pas toujours des conséquences de son comportement, ne cherche pas à plaire à tout le monde. Dans la classe, il fait partie des élèves lents et passe tout juste dans la classe supérieure.
Il restait assis en silence à sa place, prêt à tout moment à défendre sa peau, et seuls ses yeux trahissaient ses efforts désespérés pour comprendre quelque chose, leur éclat sourd révélait l’inutilité de sa démarche.
Comme Bernhard est tout sauf loquace, l’auteur a donné la parole à cinq personnes pour raconter leur expérience, leur rencontre avec lui – grâce à eux, le lecteur complète petit à petit la mosaïque de sa vie dès son enfance dans les années 50, jusqu’à l’homme d’affaire qu’il devint dans les années quatre-vingt-dix, après la chute du Mur. Ce procédé est d’autant plus intéressant que l’auteur a choisi des voix très différentes avec une façon de s’exprimer bien à elles – une jeune fille insouciante, le propriétaire d’une scierie…
C’est mieux ainsi, Richard. Qui sait comment les choses vont tourner. Ne dis rien.
Ils ne se limitent pas à partager avec nous des détails sur le personnage de Bernhard, mais ils parlent d’eux-mêmes, ils s’attardent aussi sur l’ambiance dans la ville, sur les événements en Allemagne de l’Est. De ce fait, le livre devient un riche tableau, un témoignage très intéressant sur l’époque.
Celles et ceux qui ne connaissent pas très bien la RDA apprendront beaucoup de détails sur la politique de l’Etat ou sur la vie quotidienne des gens. La terrible et insensée collectivisation – l’immense pression faite sur les paysans afin qu’ils cèdent (sujet aussi traité dans le roman Giboulées de soleil), les passages clandestins à l’Ouest, les écoles où certains enseignants n’hésitent pas à humilier sans remords, l’apprentissage, la recherche d’un logement…
Les bons amis sont précieux, dit-il, on n’en a jamais assez. Si tu as un véritable ami au service du logement, tu auras en trois jours ton autorisation de résidence et vraisemblablement une chambre ou même un appartement.
Au-delà de toutes ces questions, il y en a une qui se détache par sa triste actualité – celle des réfugiés, des gens balayées par la grande Histoire, de la méfiance qui s’exerce envers eux, vers tout ce qui est nouveau, méconnu.
Bernhard surgit. (…)
– Qu’est-ce que tu viens faire ici ?
Mes camarades de classe jetèrent un regard agacé à Bernhard qui ne répondit pas. Il me regarda comme si j’allais pouvoir répondre à cette question. Il eut un regard tellement pitoyable, comme si j’allais lui dire pourquoi il était là, pourquoi il était venu nous rejoindre, pourquoi personne ne voulait se montrer avec lui, pourquoi il était venu au monde.
Dans son ensemble, Christoph Hein (aussi dramaturge, traducteur et l’un des intellectuels allemands les plus actifs en 1989) nous offre un roman intemporel sur la nature humaine, une chronique que le lecteur renferme avec regret.
Je vous conseille donc vivement :
X de l’acheter chez votre libraire
X ou de l’emprunter dans votre bibliothèque
lire plutôt autre chose
Prise de territoire de Christoph Hein, traduit par Nicole Bary. Editions Métailié, 2006, 315 pages.
J’ai très envie de te suivre sur cette lecture . Ton billet détaille bien le livre sans le « divulgacher » .m
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N’hésite pas, surtout si tu le trouves dans une bibliothèque par chez toi. C’est un livre qui se lit tout seul. Il n’est pas « pleurnicheur », mais on retient une grande tristesse derrière l’histoire (surtout en ce qui concerne la méfiance et les préjugés envers l’inconnu). Je lirai certainement d’autres titres de l’auteur. J’espère pouvoir découvrir ton avis sur le livre bientôt..
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Très beau billet…
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Merci ! 🙂
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