Le 5 octobre 2016, Václav Havel aurait eu 80 ans. Dramaturge, intellectuel dissident ayant connu la prison sous le régime communiste, leader de la Charte 77, devenu président de la Tchécoslovaquie puis de la République Tchèque jusqu’en 2003, il a marqué de son empreinte le retour de son pays vers l’Ouest démocratique. Presque 5 ans après sa mort, son souvenir reste très présent dans son pays d’origine. Je vous propose aujourd’hui de l’évoquer en s’attardant sur l’ouvrage A vrai dire – Livre de l’après-pouvoir – (paru aux Editions de l’Aube) dans lequel Václav Havel se confie au journaliste Karel Hvizd’ala.
Publié en 2006, soit 3 ans après la retraite politique de Havel, « A vrai dire » n’est pas un livre de mémoire et présente une structure particulière : des notes issues du journal personnel, le jeu des questions / réponses avec Karel Hvizd’ala, ou encore des notes officielles se côtoient avec pour fond le maillage historique de ces années : la partition de la Tchécoslovaquie, l’adhésion de la République tchèque à l’OTAN, l’entrée dans l’Union Européenne mais aussi des évènements extérieurs comme l’intervention russe en Tchétchénie.
Intéressons-nous d’ailleurs à l’aspect européen. En européen convaincu, mais réaliste, Václav Havel pointe notamment les insuffisances démocratiques du système actuel :
L’union Européenne actuelle me semble être un instrument technocratique et matérialiste. (…) Elle peut devenir l’exemple d’un ordre pacifique et politiquement juste sur le continent, elle peut aussi donner l’exemple quant au respect de ses traditions, de sa culture, de ses paysages, de ses ressources. Il me semble, à vrai dire, que, sous le poids des soucis banals, comme de savoir quels seront les tarifs douaniers ou encore d’autres tarifs, se perd sa dimension spirituelle : comme si elle ne se souciait guère de questions essentielles, à savoir où va le monde d’aujourd’hui, quels sont les dangers qui menacent notre civilisation, et quel rôle peut jouer cet ensemble étatique face aux enjeux planétaires.
… mais bat en brèche les idées selon lesquelles la construction européenne serait un frein à l’identité nationale. Il nous confie à cet égard son avis sur cette dernière (à l’occasion de la préparation d’un discours). Certains hommes politiques français seraient bien inspirés de le lire :
Le provincialisme, et des arguments absurdes, selon lesquels l’UE veut nous priver de notre identité, sont de bons sujets pour celui du 28 octobre. Je développerai une autre idée : c’est nous, nous seuls qui pouvons nous priver de notre identité – par la dégradation de la langue que nous utilisons, par l’architecture minable que nous laissons réaliser, par le manque de respect pour le paysage culturel, pour nos monuments, par l’urbanisme douteux, par l’abandon de certains métiers et leur variété, par le dépeuplement des campagnes, par la construction de toujours nouveaux monstres de la consommation sans que le rendement et l’efficacité de la production augmentent et par les soins sophistiqués que l’on prodigue à la vente de ses résultats, etc.
Le livre fourmille de passages particulièrement intéressants comme ceux-là, incluant le paysage politique tchèque – on y lit d’ailleurs des commentaires peu amènes sur son pays, qui sonnent tellement justes dans la République Tchèque de 2016. Si vous n’êtes pas un spécialiste de la Tchéquie, ne craignez rien, le propos est intelligible et dépasse bien sûr le cadre national. Le lecteur se construit une image de l’ancien président par les multiples détails qui nous sont livrées dans les notes. Humble, angoissé par l’écriture de ses discours, mais surtout fidèle à ses idées, lui, le non-professionnel de la politique donne une leçon de vision politique qui est encore très actuelle aujourd’hui. Je vous conseille donc :
de l’acheter chez votre libraire
X d’emprunter cet ouvrage dans votre bibliothèque
de lire plutôt autre chose
A vrai dire… Livre de l’après-pouvoir, de Václav Havel. Notes, carnets et entretiens avec Karel Hvizd’ala 1986 – 2006, traduits du tchèque par Jan Rubeš. Editions de l’Aube, 2007. 435 p.
Si vous souhaitez faire plus ample connaissance avec Václav Havel, je vous conseille de réécouter l’émission La marche de l’histoire sur France Inter, ayant pour invité le spécialiste de l’Europe Centrale mais aussi ancien conseiller de Havel, Jacques Rupnik.
Intéressant…
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