Cécile Amar – L’homme qui ne voulait pas être roi

jacques-delorsAlors qu’une nouvelle élection présidentielle se profile en 2017, les moins jeunes d’entre nous se souviennent sûrement de celle de 1995 qui, avant l’élection de Jacques Chirac, avait vu émerger l’hypothèse d’une candidature de Jacques Delors. Ancien ministre de l’Economie et des Finances de François Mitterrand, ancien président de la Commission européenne, il jouissait alors d’une grande popularité. Sa décision de ne pas se présenter marqua la fin de sa carrière politique. Âgé aujourd’hui de 90 ans, il revient sur cet épisode (à l’origine du titre de l’ouvrage) et sur beaucoup d’autres dans le livre de la journaliste Cécile Amar paru chez Grasset, L’homme qui ne voulait pas être roi.

Ce livre résulte de 5 entretiens entre la journaliste et Jacques Delors, qui se sont déroulés entre juin et décembre 2015. Si l’ancien président de la Commission Européenne a aujourd’hui des difficultés à se mouvoir sans sa canne, il a gardé un esprit vif, un regard plein d’acuité sur la France, l’Europe, qu’il a tant aimé, et le Monde.

Éludons tout de suite l’épisode mentionné ci-dessus concernant l’élection présidentielle de 1995. Vécu comme une „trahison“ par certains militants socialistes, son refus de candidature est révélateur de la profonde honnêteté de l’homme qui ne voulait pas faire de promesses qu’il ne pourrait tenir. Un choix non regretté, mais au corollaire difficile à accepter pour l’intéressé : la fin de sa carrière d’homme publique : „Et renoncer à la politique, ce n’est pas renoncer aux glorioles, c’est renoncer au fait de faire quelque chose d’utile à un endroit“.

Comme vous vous en doutez, une large part du livre a trait à l’Union Européenne : une Union sur laquelle Jacques Delors porte un regard assez désespéré, même s’il prodigue toujours des conseils pour qu’elle fonctionne mieux (par exemple sur l’Union économique et monétaire). Il regrette notamment un élargissement qui s’est fait trop vite, le manque de transferts de souveraineté, et au final une Europe sans âme et sans raison d’être :

Que relie encore les vingt-huit pays qui font aujourd’hui l’Union Européenne? „La crainte de ne pas en être. Ce qui explique que d’autres veulent venir, en dépit du bilan maussade que je fais, résume Delors. Et bien sûr, un ensemble d’intérêt économique. Mais il n’y a pas chez ces 28 un sang européen qui circule, une ambition commune. Ceux qui ont créé l’Europe avaient cette fibre. Ils avaient aussi de la fraîcheur d’esprit, cette fraîcheur d’esprit qui fait que parfois, on doit vous dire, „oh, vous êtes un peu naïf“… „Je crois que les gens sont devenus peureux et se replient sur eux-mêmes.

Il est d’ailleurs très intéressant de relire ce que disait Jacques Delors après le traité de Maastricht, en 1993 : „Si on ne progresse pas tout de suite sur le plan politique et démocratique, est-ce que les citoyens de nos pays accepteront que l’organisme européen le plus puissant soit une banque centrale indépendante, sans contrepartie politique? Ils ne l’accepteront pas.“

Ce qui m’a plu dans ce livre, c’est d’abord le témoignage d’un homme modeste, honnête, curieux, certes pessimiste de nature, comme il se définit, mais qui a fait preuve tout au long de sa vie d’une farouche volonté. En le lisant, on se dit que la politique est quelque chose de noble, qu’il faut se battre pour la construction européenne et sans cesse expliquer. La pédagogie transparaît dans ses propos. A cet égard, il confie „La rupture, c’est l’antipédagogie“, une phrase qui interpelle en ces temps de primaires en vue des présidentielles, ou qui fait sourire quand on se souvient du discours de Mitterrand à Epinay-sur-Seine en 1971 sur cette même rupture.

J’ai également beaucoup apprécié sa prise de recul, sa volonté de travailler à fond les dossiers, que résume très bien la citation suivante :

Pour regarder la Terre sans penser au ciel, il faut se donner des moments de pause et de réflexion, face à soi-même et face aux événements. Toute rapidité doit être exclue, sauf évidemment face à la chute du mur de Berlin. Là, je n’ai pas hésité. Mais le reste du temps, il faut se poser. Quand j’étais à Bruxelles, je gardais une heure et demie par jour pour lire des livres d’histoire, de sociologie et de sciences politiques. Cela rendait fous mes collaborateurs.

Enfin, ce livre recèle de messages forts pour demain, qui sont autant de sujets à défendre, bien sûr l’Europe (qui reste notre avenir), mais aussi l’environnement ou la revitalisation de l’espace rural :

Lui qui fut l’apôtre de la „rigueur“ se désole que la lutte contre les déficits et la dépense publique soit devenue l’unique boussole de nos gouvernants „L’entretien du monde rural, comme l’environnement ont un coût“, martèle Delors. „Il faut que la nation dise : „Je renonce à faire ceci ou cela pour me consacrer à ces tâches vitales pour l’avenir du pays“.

Je vous conseille au final :

de l’acheter chez votre libraire

X de l’emprunter dans votre bibliothèque

de lire plutôt autre chose

L’homme qui ne voulait pas être roi – Conversations avec Jacques Delors, de Cécile Amar. Grasset, 2016, 234 pages.

4 réflexions sur “Cécile Amar – L’homme qui ne voulait pas être roi

  1. mjo 1 décembre 2016 / 12:07

    Quel grand homme ! Article très intéressant. Merci Patrice.

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    • Patrice 4 décembre 2016 / 23:52

      Merci Marie-Jo. Je pense aussi que c’est un grand homme, quelle que puisse être notre sensibilité politique. Un vrai européen.

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  2. luocine 2 décembre 2016 / 12:57

    Un article intéressant et bien des souvenirs me sont revenus.

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    • Patrice 4 décembre 2016 / 23:50

      Merci beaucoup. C’est fou ce que c’est déjà loin quand même…

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