Bernard Le Buanec – Le tout bio est-il possible ?

La publication récente, dans la revue Nature Communications (et relayée sur le site du journal Le Monde), d’une étude sur la possibilité de nourrir la planète par l’agriculture biologique m’a incité à creuser cette thématique dans la série du blog Nourrir le monde. Pour ce faire, je me suis appuyé, au-delà de l’article précédemment cité, sur l’ouvrage collectif coordonné par Bernard Le Buanec, Le tout bio est-il possible ? 90 clés pour comprendre l’agriculture biologique, paru aux Editions Quae. Alors, le tout bio, faisable ou pas ?

Il me faut tout d’abord saluer l’existence de la collection Clés pour comprendre des Editions Quae qui, sous forme de questions/réponses, aborde des thèmes aussi divers que les sols, les insectes, les bières… Dans un format richement illustré, découpé en thèmes, cette collection permet à chacun de comprendre une thématique sans avoir au préalable une grande connaissance du sujet.

Dans le cas présent, Le tout bio est-il possible ? n’est d’ailleurs que la 90ème et dernière question de l’ouvrage. L’essentiel du propos est de comprendre ce qu’est l’agriculture biologique (« AB »), sa genèse, en quoi elle consiste au niveau des productions animales et végétales, comment se pilotent la fertilisation / la protection des cultures, avant bien sûr de regarder les aspects environnementaux, économiques, sanitaires…

Avant de citer quelques points importants à retenir de l’ouvrage, je dirais qu’à titre personnel, ma première rencontre avec l’agriculture biologique s’est faite durant mon cursus universitaire, lors d’une étude de cas réalisée pour un agriculteur se convertissant en élevage laitier biologique. A l’époque, j’avais été séduit par le raisonnement de l’exploitant, sa vision globale, et la pertinence de la démarche dans les conditions qui étaient les siennes. Aujourd’hui, l’agriculture biologique est « à la mode », c’est pour certains la seule réponse face à l' »agriculture industrielle », « la malbouffe ». Un manque évident d’esprit critique est en marche et cela me fait penser au propos de l’agronome Jean Boulaine que j’avais chroniqué sur le blog : « L’ignorance de la plupart de nos contemporains en matière d’agronomie devient dangereuse et permet l’adhésion à toutes les utopies. On prêche le retour à des productions « naturelles » comme si la nourriture de 60 millions de Français pouvait être assurée avec les technique dont le résultat était, vers 1850, d’assurer à peine la subsistance de 35 millions de nos ancêtres, 11 mois sur 12 seulement, et avec un niveau de vie misérable. » Certes, je ne veux pas dire ici que l’agriculture biologique est une utopie mais le livre remet bien en perspective ses principales limites :

  • Des rendements plus faibles : – 50 à 60% en blé par exemple, en raison d’une interdiction des engrais azotés d’origine industrielle et des produits de protection des plantes. Pour les arbres fruitiers, c’est le pourcentage élevé de pertes au champ qui interpelle :

Les réductions en production AB sont de l’ordre de 39% pour l’abricot et de 58% pour la cerise. En pommes, la différence de rendement est de l’ordre de 50%. Les écarts s’expliquent par une moindre vigueur des arbres en AB (40% de rameaux en moins), et par davantage de dégâts liés aux bioagresseurs mais surtout aux maladies de conservation. Pour le pommier, elles sont de l’ordre de 40% (principaux problèmes : tavelure, puceron cendré, gloeosporiose…) et plus élevée encore sur poirier.

  • Des difficultés pour contrôler les épidémies et le recours à des moyens qui peuvent être contestés en terme de toxicité comme le cuivre :

Actuellement, il semble qu’un apport maximum de 4000 g/ha/an serait seul tolérable alors que l’Itab (Jonis, 2009) estime qu’une telle quantité ne permettrait pas de produire du raisin AB tous les ans dans toutes les régions viticoles françaises, pas plus que des pommes de terre, des tomates, des oignons, des pêches ou des pommes.

  • Une pratique encore peu développée à l’échelle mondiale, restant marginale : « 2/3 de l’ensemble des terres cultivées en agriculture biologique sont des prairies et pâturages extensifs qui ont été de tout temps conduits sans fertilisation et produits phytosanitaires. »

Parmi les principaux avantages, je citerais la supériorité de l’agriculture biologique sur 12 des 18 critères environnementaux par rapport à l’agriculture conventionnelle (« AC ») : c’est un point majeur. Cela englobe par exemple des pratiques agricoles comme l’utilisation accrue des engrais verts et d’engrais organiques augmentant le stockage du carbone dans le sol ou encore des rotations plus longues qui sont également employées pour réduire la pression des ravageurs et mauvaises herbes ; on retrouve dès lors un panel de plantes cultivées plus important (dont la culture en mélange pour avoir une complémentarité entre légumineuses et graminées). Il existe également un avantage en ce qui concerne l’émission de GES (gaz à effet de serre) : – 5 à – 10% par rapport à l’AC, mais je m’attendais à plus, en raison de la non-utilisation d’engrais azotés d’origine industrielle. Voici à ce sujet un commentaire important des auteurs :

Pour produire en agriculture tout en respectant au mieux l’environnement dans toutes ses composantes (préservation de la qualité de l’eau et de l’air, des ressources naturelles, de la biodiversité et des paysages), il faudrait revenir à des systèmes combinant les trois grands types de production que sont les cultures annuelles, les cultures pérennes (prairies permanentes, arbres, arbustes) et l’élevage (ruminants et monogastriques). (…) Cette approche pourrait être contradictoire avec la diminution de consommation de viande prônée par certains. (…) En ce sens, une meilleure répartition de l’élevage sur le territoire français permettrait vraisemblablement de diviser par deux la facture énergétique de l’agriculture française.

S’il existe une absence de résidus dans 70 à 80% des produits bio, il est difficile de prouver un quelconque avantage nutritif (« Davantage que le mode de production, la richesse en vitamines des fruits parvenus dans l’assiette du consommateur est influencée par leur fraîcheur, leur mode et leur durée de conservation »).

Alors, le tout bio est-il possible ?

Selon les auteurs du livre, c’est non :

Dans les pays développés, une généralisation de l’AB dans les conditions actuelles aboutirait donc à une chute très importante de la production mondiale, une diminution des stocks et une augmentation des prix. La situation alimentaire mondiale s’en trouverait aggravée ; d’autant que certains pays, du fait de leur géographie, de la surface agricole utile par habitant et de la pluviométrie, seront toujours des importateurs nets dans de grandes proportions, pouvant atteindre 70% de leurs besoins.

… mais cela ne signifie pas qu’il faut délaisser l’agriculture biologique. Au contraire, ils insistent sur la nécessité d’investir dans la recherche pour augmenter la performance de l’AB. Mais ils ont du mal à projeter une généralisation de l’AB au-delà de ce qu’elle est aujourd’hui : un marché de niche, à prix élevés, et donc réservée à un public ayant un pouvoir d’achat adéquat.

Pour ceux de l’étude sur Nature Communications, c’est oui avec une hausse de la déforestation de 8 à 15%, compensée en terme de GES par le côté plus économe de l’agriculture biologique (au final, une baisse donc limitée des GES de 3 à 7%), mais surtout en envisageant une baisse du gaspillage et de la consommation des produits animaux. Cela se comprend bien, mais la voie est étroite : la baisse du gaspillage ne se décrète pas, et l’on a vu plus haut que les pertes au champ et au stockage pouvaient être plus importantes en bio ; du côté de la baisse de la production animale, n’oublions pas que les schémas les plus pertinents en agriculture biologique sont ceux mêlant les productions animales et végétales. Enfin, les auteurs pointent l’azote comme élément clé et facteur limitant dans ce système : un point crucial.

Si l’agriculture biologique a donc bel et bien sa place, les questions sur sa généralisation ne sont pas donc pas toutes résolues.

Au final, venez vous faire votre propre idée en :

X achetant le livre chez votre libraire ou sur le site de QUAE

X l’empruntant dans votre bibliothèque

lisant autre chose

Le tout bio est-il possible ? 90 clés pour comprendre l’agriculture biologique. Ouvrage coordonnée par Bernard Le Buanec. Editions Quae, 2012, 240 pages.

6 réflexions sur “Bernard Le Buanec – Le tout bio est-il possible ?

  1. mjo 9 février 2018 / 10:30

    ton billet très pointu m’interpelle car dans ma famille un jeune viticulteur champenois s’est lancé dans une production bio. Il en bave pour de moindres quantités mais il y croit dur comme fer.

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    • Patrice 12 février 2018 / 05:34

      Le but de ce billet n’est pas de le refroidir :-). Je suis aussi admirateur de l’enthousiasme qu’ont certains agriculteurs bio. Il y a clairement un marché pour cela ; la question de la généralisation reste néanmoins posée. Bon courage à lui et bonne dégustation à toi !

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  2. dominiqueivredelivres 9 février 2018 / 16:57

    la réponse est donc un peu mitigée il faudrait trouver un moyen terme qui ouvre une meilleure production et alimentation sans que personne n’en patisse

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    • Patrice 12 février 2018 / 05:32

      L’enjeu reste en effet de répondre aux besoins alimentaires de la population, mais en baissant l’impact environnementale. On voit déjà que, suite aux contraintes économiques et législatives, l’utilisation d’azote a beaucoup baissé ces dernières décennies, et ce, sans avoir beaucoup d’influence à la baisse sur les quantités produites.

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  3. Agnès 10 février 2018 / 18:56

    Ce que j’avais lu dans la presse c’était que le bio contemporain ça n’était pas le retour aux méthodes de 1850 mais des techniques très pointues (comme la permaculture) qui permettraient des rendements importants.

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    • Patrice 12 février 2018 / 05:31

      Merci pour ton avis. Je trouve aussi que la permaculture, notamment sur le maraichage, propose une réflexion très globale et s’avère prometteuse. Je vais d’ailleurs en parler dans cette série. Par contre, sur les productions classiques (commes les céréales par exemple), on voit bien les limites du tout bio. C’est aussi la raison pour laquelle des changements dans le mode de consommation (plus de légumes secs par ex.) sont souhaitables et sont en accord avec le bio.

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