Gerald de Hemptinne – Pays-Bas, les pieds sur terre

HemptineC’est en écoutant l’ancienne émission de France Culture « L’Esprit public » que j’avais alors fait la découverte de la collection L’âme des peuples, des éditions belges Nevicata, à travers l’excellent ouvrage consacré à la Hongrie. A l’heure de déménager aux Pays-Bas, il me semblait donc inévitable de me plonger dans Pays-Bas – Les pieds sur terre (quel joli titre, n’est-ce pas ?), de Gerald de Hemptinne.

A l’instar des autres titres de la collection L’âme des peuples, le but est de saisir en environ 100 pages ce qui constitue le caractère d’un pays, au-delà des clichés. Pour ce faire, la contribution principale est apportée par l’auteur du livre, ici en l’occurrence Gerald de Hemptinne, journaliste qui fut correspondant pour l’AFP et La Libre Belgique pendant environ 10 ans ; elle est complétée par des témoignages supplémentaires. Geert Mak, le célèbre écrivain néerlandais que je vais bientôt chroniquer sur ce blog, et un couple  franco-néerlandais, Philippe Noble et Désirée Schyns, apportent ici un éclairage complémentaire fort apprécié.

Le premier point sur lequel je voudrais m’arrêter concerne la géographie. Une précision tout d’abord : la Hollande n’est pas les Pays-Bas, elle correspond à deux des douze provinces du pays, à l’Ouest, mais il est vrai qu’en englobant Amsterdam et une bonne partie de l’activité économique du pays, on fait parfois l’amalgame entre les deux. L’eau est omniprésente dans ce pays, et la gestion des polders et de l’écoulement de l’eau reste une priorité. Elle a contribué à façonner la mentalité néerlandaise, comme le souligne Geert Mak :

N’oublions pas que la poldérisation du pays, la nécessité de protéger la terre, d’évacuer l’eau d’un polder dans un autre polder et ainsi de suite, a poussé le pays à beaucoup d’inventivité mais aussi à la capacité de s’entendre, de sceller des compromis. De cette façon s’est créée la « culture des polders ».

26% des terres sont sous la mer et 56% immergeables. La dernière grande catastrophe remonte à 1953 où 165.000 ha fut recouvertes d’eau. C’est notamment la partie Ouest du pays qui est la plus concernée :

Au sein du Ranstad, cette région métropole regroupant les quatres plus grandes villes du pays- Amsterdam, La Haye, Rotterdam et Utrecht- habitent approximativement 7 millions de personnes, soit plus de 900 par km². Dans une large mesure, ce territoire, y compris le port de Rotterdam et l’aéroport national de Schiphol, est inondable et dépend de la solidité des dunes.

Le second point qui a retenu mon attention est la mentalité néerlandaise. En effet, il existe des différences substantielles à ce sujet, qu’il est bon d’avoir à l’esprit. C’est notamment le côté direct qui interpelle dans les relations qu’on peut avoir avec les habitants, que les anglo-saxons résumeraient par « straight to the point » :

Les Néerlandais sont des gens « concernés » par leur pays, sa direction, son évolution. Ils ont une opinion et ne gardent pas leur langue en poche. Qu’on le leur demande ou non, ils ont un avis tranché sur tout, et ils le donnent. Au début, cette franchise peut heurter ceux que la culture latine a habitués à enrober certaines vérités de mots pour les adoucir. Aux Pays-Bas, on s’embarrasse peu de ce genre de précautions. Parler vrai, dire sa vérité à autrui est une sorte de devoir, une forme de respect.

Le rapport au travail est également intéressant. Ils privilégient non seulement l’efficacité dans les rapports humains, mais aussi au travail, avec un esprit que je qualifierais de « marchand » qui pour sûr reste assez éloigné du nôtre, et avec lequel, dois-je l’avouer, j’éprouve encore quelques difficultés :

Les Néerlandais ont le souci de la rentabilité. Aux Pays-Bas, on ne perd pas son temps. Les Néerlandais travaillent intensivement in de tijd van de baas, littéralement « pendant les heures payées par le patron », c’est-à-dire jusqu’à 17 heures. Après, ils ferment boutique et passent à autre chose. Ils gèrent très bien leur temps, ce qui est une qualité.

Le geste gratuit, geste typique de culture méditerranéenne, voire orientale, geste de la culture chevaleresque, est presque inconnu dans la société néerlandaise. En tous les cas, cela ne fonctionne pas en tant que lien social dans cette société tournée vers le commerce et les échanges. Tout a un prix. On négocie, même avec les enfants : « Si tu ranges ta chambre, tu auras une glace. »

Enfin, à travers les différents entretiens, le rapport à l’Europe ressurgit à plusieurs reprises. Pays fondateur de la CECA et de la CEE, les Pays-Bas ont voté non au référendum sur la Constitution Européenne et semblent s’éloigner davantage de l’Union. Les récents succès électoraux de Pim Fortuyn et plus récemment Geert Wilders le corroborent. Une certaine méfiance s’applique ainsi envers les étrangers (non européens) que résume ainsi Gerald de Hemptinne :

Depuis Fortuyn, les Néerlandais, déjà très francs d’ordinaire, n’ont plus peur de leur dire : « Vous êtes les bienvenus ici mais de grâce, ressemblez-nous ! »

Dans une mise en perspective historique, Geert Mak associe cette tiédeur à un mouvement de balancier historique :

J’ai toujours estimé qu’il y a un fossé culturel aux Pays-Bas. Il se situe aux environs de Vreeland, entre Utrecht et Amsterdam. D’un côté, il y a les Pays-Bas du Ranstad, urbains, atlantistes, assez ouverts, plutôt libéraux. De l’autre côté, on trouve davantage les anciens Pays-Bas, les racines féodales, la hiérarchie, une société plus fermée, orientée vers l’est, villageoise et provinciale, plus intime, sécurisante. Selon le moment, c’est l’un des deux parties qui donne le la. Dans les années 60 c’est clairement la partie Randstad qui battait la mesure, actuellement c’est l’autre.

Il y a finalement beaucoup de paradoxes dans ce peuple dont on prend conscience à la lecture du livre. La tolérance et l’ouverture n’échappent pas à constat, le cloisonnement des groupes sociaux restant forts. C’est tout cela et encore plus encore (comme une ballade à travers quelques villes du pays) qui nous est offert, je vous conseille donc :

X d’acheter ce livre chez votre libraire, sur liseuse ou via le site des éditions Nevicata

X de l’emprunter dans votre bibliothèque

lire plutôt autre chose

Pays-Bas, les pieds sur terre, de Gerald de Hemptinne. Collection L’âme des peuples, éditions Nevicata. 2014. 96 p.

7 réflexions sur “Gerald de Hemptinne – Pays-Bas, les pieds sur terre

  1. Goran 11 octobre 2018 / 13:49

    Je connais les Pays-Bas qu’à travers quelques Hollandaises très très sympas que j’aie connu… Mais je suis peut-être hors sujet là. 🙂

    Aimé par 1 personne

      • Goran 12 octobre 2018 / 09:21

        Je vais aller contacter l’éditeur. 🙂

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    • Patrice 22 octobre 2018 / 20:12

      Mais c’est justement un des thèmes qu’il manquait dans ce livre pour être honnête 🙂

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  2. Passage à l'Est! 17 octobre 2018 / 18:17

    Vous déménagez aux Pays-Bas? Vous nous ferez découvrir encore plus la littérature néerlandaise? Si oui, chouette! J’ai lu récemment « Là haut tout est calme » de Gerbrand Bakker et j’ai bien apprécié, à la fois pour le récit de la vie d’un homme et pour son côté « vie rurale aux Pays-Bas ».

    Aimé par 1 personne

    • Patrice 22 octobre 2018 / 20:05

      En fait, on a déménagé l’an dernier, mais le livre était lu, l’article n’était toujours pas rédigé et j’attendais la saison des tulipes pour faire la photo. Bref, quoi qu’il en soit, on a trouvé ici quelques bons titres de littérature néerlandaise ; on va y revenir dans les prochains mois. Eva avait aussi apprécié ce livre de Gerbrand Bakker l’an dernier.

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