Il y a 100 ans jour pour jour, le 28 octobre 1918, naissait sur les décombres de l’Autriche-Hongrie un nouvel Etat au centre de l’Europe, la Tchécoslovaquie. Quelles sont les raisons qui ont poussé à l’émergence de ce nouvel Etat, et plus largement, quels ont été les parcours des Tchèques et des Slovaques avant de s’unir en 1918 et jusqu’à la désunion en 1993 ? En ce jour commémoratif, je vous invite donc à vous plonger dans cette Histoire des Tchèques et des Slovaques, d’Antoine Marès.
Titulaire de la chaire d’histoire contemporaine de l’Europe centrale à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Antoine Marès est un historien spécialiste de cette région d’Europe et a été l’auteur de plusieurs ouvrages, dont celui-ci bien sûr, mais également une biographie d’Edvard Beneš, le ministre des Affaires Etrangères puis président de la Tchécoslovaquie de l’entre-deux guerres. Un ouvrage essentiel que j’aurai l’occasion de chroniquer prochainement.
Si initialement, je comptais résumer les points importants de l’histoire, force est de constater que celle-ci est si riche que l’entreprise est hasardeuse. Pour résumer, disons que la partie tchèque de la future Tchécoslovaquie (Bohême et Moravie) a connu très tôt de grandes périodes d’expansion avec des dynasties comme les Premyslides ou les Luxembourg. La richesse du sous-sol n’y est pas étrangère. On retrouve des personnages majeurs comme Charles IV (bien connu par celles et ceux qui visitèrent Prague) ou Jan Hus (un réformateur avant « la Réforme »).
Empêtrés pour des dizaines d’années dans des guerres de religion dès le début du 15ème siècle, les Pays Tchèques ont vu leur destin se lier à l’Empire des Habsbourg dès 1526. Majoritairement protestants, les Tchèques se rebellèrent contre le pouvoir en place, ce qui provoqua la guerre de Trente Ans et la « mise sous tutelle » de la région en 1620.
Au 19ème siècle, la montée du sentiment national tchèque conduit à la réhabilitation de la langue (alors que c’était l’allemand qui était parlé), et le rapport de force s’établit avec les Allemands. Si l’Autriche, battue en 1866 par une Allemagne en expansion, opère des réformes en faveur des Hongrois, les Tchèques se sentent floués dans cette réorganisation. A la veille du conflit de 1914, ils n’en demeurent pas moins fidèles aux Habsbourg et n’imaginent aucunement suivre une voie d’indépendance.
Du côté slovaque, les choses sont plus simples. A un bref intermède commun avec les Moraves, succéda pendant près d’un millénaire un destin aligné sur la Hongrie. La Slovaquie était appelée la Haute-Hongrie et n’a pas connu pendant ce temps d’Etat indépendant. A l’instar des autres peuples de la région, le réveil national slovaque débute à la fin du 18ème siècle et la lutte se déplace de la langue au combat politique.
L’opinion et les hommes politiques tchèques et slovaques étaient partagés sur l’attitude à tenir pendant la guerre (attachement à l’Autriche-Hongrie -courant d’abord majoritaire-, russophiles, occidentophiles, partisans de la rupture…) ; la voie de l’indépendance devient de plus en plus claire à la fin de la guerre. L’action de Tomáš Masaryk, d’Edvard Beneš du côté tchèque, et de Milan Štefánik du côté slovaque, appuyé par la lutte armée des légionnaires, finit par convaincre l’Entente (et en premier lieu la France) d’appuyer la naissance du futur Etat, qui doit représenter une zone de stabilité pour succéder à l’Autriche-Hongrie. La réunion des Tchèques et des Slovaques, deux peuples slaves, permet de donner des gages aux puissances européennes :
Du côté tchèque, vouloir inclure la Slovaquie affaiblissait la portée des arguments fondés sur le Droit historique, tout en offrant une assise plus large au nouvel Etat. En revanche, du côté slovaque, il s’agissait de la concrétisation inespérée d’un mouvement de sympathie né dans les dernières décennies du XIXème siècle.
Source : Grande Encyclopédie Larousse
C’est ainsi que naît, le 28 octobre 1918, la Tchécoslovaquie. Issue du combat pour « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », elle reste paradoxalement aussi un Etat multinational :
A l’échelle de chacune des trois parties de la République, la situation était différente. Près de trois millions d’Allemands en Pays Tchèques pour plus de 6 700 000 Tchèques. En Slovaquie, les Slovaques représentaient plus de deux millions d’habitants face à 636 000 Magyars (21,5%). En Ukraine subcarpatique, 450 000 (63%) Ruthènes se trouvaient face à 110 000 Magyars et 91 000 Juifs. Ce kaléidoscope posait autant de problèmes que de nationalités et les détracteurs de Prague en profitèrent pour qualifier le nouvel Etat « d’Autriche-Hongrie au petit pied ».
La première République Tchécoslovaque n’en demeure pas moins un modèle de réussite dans une région où nombre de pays seront gagnés par la dérive nationaliste. Portée par des personnages auxquels l’Histoire a donné des lettres de noblesse (en premier lieu le président « libérateur » Masaryk), fidéle à la démocratie, membre actif de la Société des Nations, elle n’a malheureusement pu résister à la crise des années 30, qui culmine avec les Accords de Munich. Après la Seconde Guerre Mondiale, la souveraineté retrouvée fut de courte durée, puisqu’en 1948, c’est le coup de Prague, durant lequel le pays tombe définitivement dans l’escarcelle soviétique. Une période sombre qui aura, entre autres, pour conséquence de faire « dévisser » la Tchécoslovaquie du 10ème au 40ème mondiale en terme de richesse et qui s’achève en 1989 avec la Révolution de Velours (Václav Havel). La Tchécoslovaquie prendra finalement fin en 1993, suite à de fortes divergences politiques et économiques.
Que de choses à dire après la lecture de ce livre! C’est une histoire riche, bien documentée et bien résumée. Malgré le petit format du livre, certaines cartes sont les bienvenues pour illustrer des périodes clés. Ayant déjà lu plusieurs ouvrages sur ce thème, je m’interroge néanmoins sur la capacité d’un lecteur complètement néophyte pour comprendre tout. Certains épisodes sont évoqués de façon succincte et je continue à penser que des bases sont nécessaires avant de plonger dans cette lecture. Néanmoins, en 450 pages, c’est un panorama complet d’une région qui s’offre à nous ; c’est la raison pour laquelle je vous conseille de :
X l’acheter chez votre libraire
X l’emprunter dans votre bibliothèque
lire plutôt autre chose
Histoire des Tchèques et des Slovaques, d’Antoine Marès. Tempus Perrin, 2005, 496 pages.
Félicitations, ce n’est pas facile de résumer un livre d’histoire! Je serai intéressée par le livre sur Benes. Côté hongrois, les mois à venir ne seront pas des mois de célébration. Est-ce que le livre de Marès parle des relations avec la Hongrie pendant la période Habsburg et celle juste apres la fin de la première Guerre Mondiale, et si oui comment?
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Merci pour ce commentaire. J’imagine bien que ce n’est pas une commémoration heureuse qui se profile en Hongrie. Marès évoque rapidement les relations avec la Hongrie, surtout avant 1914 avec la « magyarisation » forcée mais aussi avec la pression faite par la Hongrie pour que le dualisme n’évolue pas en trialisme. La majeure partie du livre concerne l’histoire des Pays Tchèques, et en 450 pages, il est difficile d’approfondir un point particulier.
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Comme j’ai un peu de sang slovaque, il faudrait que je lise ce livre d’histoire 🙂
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Une personnalité faite de nombreuses identités :-).
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🙂
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Bonjour à vous deux,
rien à voir avec ce billet pourtant passionnant, mais la LC de Faulkner pour le 18/11 est toujours d’actualité ? Dans tous les cas, je l’ai commencé…
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Merci beaucoup. Et oui, la proposition de LC est toujours d’actualité, je vais bientôt commencer la lecture de mon côté. A très bientôt!
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Parfait, rendez-vous au 18, alors !
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