Auteure allemande contemporaine, Julia Franck s’était fait remarquer en 2007 pour « La femme de midi », livre couronné par le Prix du Livre Allemand (« Deutscher Buchpreis ») qui a eu pour titulaires ces dernières années des auteurs comme Arno Geiger, Uwe Tellkamp ou plus récemment Robert Menasse, dont j’avais chroniqué le très réussi La capitale. Dans Feu de camp, elle fait le portrait d’une femme est-allemande passant à l’Ouest avec ses enfants.
Lorsque s’ouvre le livre, nous faisons connaissance avec Nelly Senff et ses deux enfants alors qu’ils s’apprêtent à passer la frontière. Nelly, après avoir travaillé durant quatre années à l’Académie des Sciences en RDA, avait demandé une sortie de territoire, se retrouvant de facto « mutée » dans un cimetière, tandis que sa fille était harcelée de questions par l’institutrice :
Mais qu’est-ce qui vous attend, à votre avis, chez les capitalistes ? avait demandé la maîtresse à Katja quelques semaines auparavant en la retenant après les cours pour lui parler sans témoin. Vous ne croyez donc pas à la paix ? Katja, tu te souviens, pourtant ? Tu voulais aider les pauvres enfants du Vietnam, toi aussi. Tu as apporté du riz, tout de même, collecté des matières premières. A qui la faute, la misère au Vietnam ? Dis voir, à qui la faute ? Qui est-ce qui affame les enfants sur cette terre ? Tu n’as donc rien appris à l’école ? Au jardin d’enfants ? A la crèche ? Vous n’avez pas compris que le capitalisme est votre ennemi ? Katja était revenue à la maison les yeux gonflés. Elle ne voulait pas que des enfants meurent de faim à cause de nous, elle ne voulait pas nous suivre chez ceux qui affamaient d’autres enfants. Elle avait pleuré la moitié de la nuit.
Le lecteur se dit que les problèmes qui accompagnent la famille vont s’estomper après le passage à l’Ouest, mais c’est un tout autre schéma qui attend les réfugiés. C’est l’un des mérites de ce livre de montrer les conditions de vie dans ces camps provisoires (ici, il s’agit du camp de Marienfelde à Berlin Ouest). Une situation que l’auteure a elle-même connue puisqu’elle a passé 9 mois avec sa mère et ses trois soeurs à Marienfelde, en 1978 ; mais là encore, on se dit que le parti pris de la fiction est réussi puisqu’on n’imagine jamais la part autobiographique sous-jacente.
Découpé en 16 chapitres, articulés autour de 4 personnages principaux dont les destins se croisent à Marienfelde (chacun étant le narrateur de sa partie), le roman met bien en perspective l’incertitude au quotidien, les conditions d’interrogation qui, si elles ne sont pas celles de l’Est, ne sont pas qu’une simple formalité :
Il y a des choses qu’on préfère oublier », affirmai-je en repensant aux examens médicaux, aux séances de déshabillage et de rhabillage, à l’inspection de la langue, à l’examen des selles, aux bras levés puis baissés, et au bureau des contrôles qui m’avait retenu plusieurs jours, car les trois services secrets alliés n’en finissaient pas de m’interroger sur ma personne, mes opinions politiques et les croquis des prisons que je devais faire et eux vérifier, à la CIA là-bas dans la verdure, à la centrale, au service fédéral des admissions, et je revis en esprit la demande que j’avais dû remplir deux fois, la première s’étant perdue, l’examen préalable, et enfin la remise du billet d’admission du camp – une liste à faire viser, un permis de circuler à l’intérieur du camp, qui ne vous menait pas dehors, mais toujours plus profondément à l’intérieur, vous donnant droit à un hébergement, une aide à la recherche d’emploi, une aide financière, des bons de nourriture, et qui vous plongeait dans ce camp du provisoire, des réfugiés et des transfuges.
La violence n’est d’ailleurs pas exclue du roman et se retrouve à l’école. Les enfants se voient surnommés « vérole de l’est ».
J’ai trouvé ce livre intéressant pour le témoignage historique qu’il apporte et la description de situations individuelles assez désespérées. Sur un tout autre registre, j’ai apprécié le côté ironique du récit. Par contre, je dois avouer avoir perdu un peu le fil de la lecture. Après un très bon début, on finit par s’ennuyer à le lire, et la déception fut au rendez-vous quand je refermai le livre.
Je vous conseille donc :
d’acheter ce livre chez votre libraire ou bouquiniste
X de l’emprunter dans votre bibliothèque
X de lire autre chose
Feu de camp, de Julia Franck, traduit de l’allemand par Elisabeth Landes. Flammarion, 2011, 328 pages.
Ce livre a été lu dans le cadre des Feuilles allemandes, consacrées à la littérature de langue allemande. Pour y participer, rien de plus simple.
- lisez un livre d’un(e) auteur(e) de la langue allemande (Allemagne, Autriche, Suisse…) tous genres confondus
- partagez votre lecture sur votre blogue au cours du mois de novembre et jusqu’au 8 décembre et communiquez-moi s’il vous plaît le lien vers votre billet pour que je puisse l’intégrer dans notre bilan à la fin
- revenez ensuite au point 1.
J’avais noté ce titre il y a longtemps, et puis, ayant lu des avis un peu similaires au tien, j’ai abandonné l’idée de le lire… j’ai lu de mon côté Le transfuge de Lenz, dont mon billet paraîtra vers la fin du mois (une petite déception aussi…)
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Heureux de voir que je ne suis pas le seul, finalement. Tu n’as pas aimé « Le transfuge »? C’était le premier livre que je lisais de Siegfried Lenz, et cela m’a beaucoup plu à l’époque (il est vrai que la seconde partie est peut-être un peu moins bonne). J’ai hâte de lire ton billet.
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Sur le même thème, j’ai vu un très bon film allemand il y a quelques années, dont je ne me souviens plus du titre malheureusement…
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pas sûre d elire ce titre puisque je sens beaucoup de réserves.
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Il vaut mieux allouer son temps à d’autres lectures, en effet
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