Trente ans après la Chute du Mur de Berlin, l’histoire de la RDA reste omniprésente dans la littérature contemporaine allemande. On peut évoquer récemment le succès de Quand la lumière décline d’Eugen Ruge. Une littérature qualifiée d’ostalgie a même vu le jour. Dans Histoire d’un Allemand de l’Est, qui a valu à son auteur, Maxim Leo, le Prix du livre européen, c’est une part importante de l’histoire allemande, notamment de la RDA, qui se déroule sous nos yeux, vécue par la famille de l’auteur.
La traduction de certains titres peut parfois laisser interrogatif. Je rangerais volontiers le présent roman dans cette catégorie. En effet, publié en allemand sous le titre « Haltet euer Herz bereit – Eine ostdeutsche Familiengeschichte » (littéralement « Tenez votre coeur prêt – Une histoire de famille est-allemande »), la version française devient « Histoire d’un Allemand de l’Est ». Il fait ainsi croire au lecteur que c’est autour d’une personne que se déroule l’histoire. Or, c’est l’avantage l’histoire d’une famille. Maxim Leo est bel et bien là, mais plus souvent comme enquêteur.
C’est sur sa mère que s’apesantit d’abord l’auteur. Il lui consacre d’ailleurs un joli portrait. Communiste souhaitant allier la vérité à la doctrine du parti, elle se rend compte progressivement des incohérences du régime mais ne s’affranchira que beaucoup plus tard :
Je crois que ma mère avait pour cet Etat une sorte d’amour adolescent et malheureux. Elle s’était enflammée, jeune fille, pour la RDA, et il lui avait fallu toute une vie pour s’en détacher. Il m’est difficile de comprendre tout cela, d’admettre que ma mère, cette femme intelligente et réservée, porte encore le deuil de ce premier grand amour vingt ans après la fin de la RDA.
La figure tutélaire de la famille est en fait le grand-père maternel de Maxim, Gerhard. Il a 9 ans en 1933 quand son père Wilhelm, juif, est mollesté par les SA après l’incendie du Reichstag. Arrêté puis déporté au camp d’Oranienburg, il finit par prendre l’exil en France. Un exil qui ne sera pas de tout repos car, en tant qu’allemand, il sera interné à nouveau dans un camp, dès que l’Allemagne et la France seront en guerre. Gerhard se lancera très jeune dans la résistance et passera de peu à côté de la mort, sauvé par les FTP dans une gare française. On a donc peu de mal à imaginer à quel point l’antifascisme et les contacts avec les communistes (notamment le journaliste et écrivain communiste praguois, Egon Erwin Kisch – une incitation à découvrir son oeuvre, peut-être dans Le mois de l’Europe de l’Est !) ont façonné Gerhard :
Le parti devient pour lui une sorte de communauté de destins, une famille qui, même des décennies plus tard, aura pour lui plus d’importance que tout le reste. Il lui consacrera la vie qui lui a été offerte, et aucune doute ne sera jamais aussi fort que la reconnaissance et la joie qu’il a ressenties ce jour-là à la gare d’Allassac.
Du côté paternel, c’est une toute autre histoire. Le père de Maxim, Wolf, vécut une enfance dans une Allemagne dévastée, loin de son propre père, Werner, qui restera prisonnier pendant 3 ans en France. Un Werner qui sympathisera quant à lui avec le mouvement national-socialiste, avant de rejoindre également le parti. Il fait partie des gens qui s’accomodent des systèmes en place pourvu qu’ils lui offrent des opportunités. Là encore, c’est une réflexion intéressante qu’offre Maxim Léo sur les origines de l’attachement de ses grand-pères à la RDA :
Je crois que, pour mes deux grands-pères, la RDA était une sorte de pays de rêve où ils ont pu oublier toute ce qui les avait accablés jusque-là. C’était un nouveau départ, une chance de recommencer depuis le début. La persécution, la guerre, la captivité, toutes ces choses effroyables que Gerhard et Werner ont vécues, pouvaient être enterrées sous le gigantesque tumulus du passé. Désormais seul l’avenir comptait. Et le cauchemar s’est transformé en rêve. L’idée de construire un Etat fasciste était un baume pour ces deux hommes. Gerhard pouvait se laisser bercer par l’illusion que les citoyens de la RDA n’avaient rien à voir avec ceux qui, jadis, avaient chassé sa famille du pays. Quant à Werner, il pouvait faire comme s’il avait toujours cru au socialisme. Toutes les blessures, toutes les erreurs étaient oubliées et pardonnées lorsqu’on était prêt à devenir un rouage de cette nouvelle société.
On perçoit bien que cette fidélité s’estompe au fil des générations. Wolf, le père de Maxim, avait été critique dès le début et Anne s’affranchira petit à petit. Quant à Maxim, on sent bien que le lien qui le relie à ce pays est ténu ; de plus, il ne sera pas autorisé à passer le baccalauréat. Ce n’est paradoxalement qu’après la chute du mur qu’il se rend compte de son appartenance.
A cela s’ajoutait le fait que ceux de l’Ouest commençaient déjà à me taper sur les nerfs. Ils parlaient de la RDA comme s’il s’agissait d’une zone touchée par une épidémie de choléra. (…) Je crois que je ne me suis jamais senti aussi proche de la RDA qu’après son naufrage.
C’est un livre d’une grande finesse. Je trouve que les personnages et leurs motivatons sont très bien décrits. On revit également une grande partie de l’histoire allemande des années 30 aux années 90, l’enthousiasme des fondateurs de l’Etat est-allemand mais aussi les contradictions, qui traversent le pays aussi bien que les protagonistes. J’ai appris beaucoup de choses, comme par exemple le fait que les communistes, après le Congrès de Moscou de 1928, ont considéré les socio-démocrates comme des ennemis, contribuant de facto à la montée d’Adolf Hitler. Enfin, comme le rappelle Maxim Leo, l’issue n’était pas écrite d’avance. En 1989, la Chine réprimait la révolte de la place Tien-Anmen dans le sang ; cela aurait pu être le cas en RDA. A l’heure où nous célébrons le trentième anniversaire de la chute du mur, ce qui parait peut être logique aujourd’hui aurait pu prendre une autre voie. Là encore, la fin du livre n’est pas caricaturale. On perçoit bien que cette chute du mur n’a pas été complètement synonyme de liberté, elle s’est accompagnée de beaucoup d’incertitudes sur l’avenir (notamment pour les parents).
Je vous conseille donc vivement la lecture de cet ouvrage et de :
X l’acheter chez votre libraire
X l’emprunter dans votre bibliothèque
lire autre chose
Histoire d’un Allemand de l’Est, de Maxim Leo, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni. Actes Sud collection Babel , 2013, 312 pages.
Ce livre a été lu dans le cadre des Feuilles allemandes, consacrées à la littérature de langue allemande. Pour y participer, rien de plus simple.
- lisez un livre d’un(e) auteur(e) de la langue allemande (Allemagne, Autriche, Suisse…) tous genres confondus
- partagez votre lecture sur votre blogue au cours du mois de novembre et jusqu’au 8 décembre et communiquez-moi s’il vous plaît le lien vers votre billet pour que je puisse l’intégrer dans notre bilan à la fin
- revenez ensuite au point 1.
Belle critique…
J’aimeJ’aime
Merci Goran
J’aimeAimé par 1 personne
Un titre que je note tout de suite, je lis peu de littérature allemande, mais là, le sujet me tente beaucoup. Je ne connais pas du tout non plus cette littérature de l’ostalgie. Alors tant qu’à faire, je vais aller voir de quoi parle Quand la lumière décline.
Merci pour cette note qui me donne des idées de découvertes.
J’aimeJ’aime
Merci pour ce commentaire. C’était l’un des objectifs de ce mois de la littérature allemande de faire découvrir des auteurs et des titres nouveaux. J’espère que vous lirez avec plaisir ces titres. A bientôt !
J’aimeJ’aime
Merci pour vos critiques que je lis régulièrement.
J’ai lu un petit livre autobiographique sur la fin de l’Allemagne de l’est ;
La fille qui venait d’un pays disparu : La chute du Mur vue de l’Est de Saskia Hellmund
mon avis sur Babelio :
https://www.babelio.com/livres/Hellmund-La-fille-qui-venait-dun-pays-disparu–La-chute-d/688195
Bien cordialement
Pommebleu
J’aimeJ’aime
Merci de nous lire si régulièrement :-).
Et merci pour le lien : c’est un titre que nous avions noté il y a quelque temps et je suis heureux de lire votre commentaire. C’est un des aspects aussi lié à la chute du mur. Maxim Leo évoque aussi ce sentiment de dévalorisation que les habitants de la RDA ont connu ; comme si leur vie n’avait pas la même valeur… A méditer. A bientôt !
J’aimeJ’aime
petit problème je suis abonnée à votre blog et pourtant je ne reçois plus les nouvelles parutions. Sinon ce livre me semble fort intéressant pour comprendre l’Allemagne d’aujourd’hui.
J’aimeJ’aime
Heureux de lire que le lien fonctionne à nouveau. Oui, c’est un livre vraiment intéressant, je le conseille sans hésitation.
J’aimeJ’aime
finalement j’ai retrouvé le mail …
J’aimeJ’aime
Ce livre a l’air passionnant, et les extraits me plaisent beaucoup ! Je vais l’acheter de ce pas. Merci de cette critique 🙂
J’aimeJ’aime
Et merci beaucoup pour cet avis. Je suivrai donc avec intérêt ton avis !
J’aimeAimé par 1 personne
D’ici quelques semaines sans doute ! Je ne manquerai pas d’en parler sur mon blog 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Ah, ce titre est dans mes listes depuis une éternité ! Je n’imaginais pas qu’il remontait jusqu’aux années 30, c’est d’autant plus intéressant. Je note également Quand la lumière décline que je ne connais pas.
J’aimeJ’aime
Tu verras, c’est une lecture vraiment agréable. J’avais eu plus de mal à lire le livre d’Eugen Ruge, mais il faudrait que je lui redonne une chance.
J’aimeJ’aime