Florent Marchet – Le monde du vivant

Après avoir chroniqué récemment Nature humaine de Serge Joncour, où le monde rural jouait un rôle de premier plan, je vous invite aujourd’hui à une nouvelle immersion dans la ruralité grâce au premier roman de l’auteur-compositeur Florent Marchet, intitulé Le monde du vivant. Il y dépeint, le temps d’un été, une famille de néo-ruraux ayant repris une ferme non loin d’Orléans.

Jérôme est ingénieur agronome et il est marié à Marion, avec laquelle il a deux enfants, Solène, 14 ans, et Gabi, 8 ans. Ils ont décidé, sur une idée de Jérôme, de quitter la ville pour reprendre une exploitation agricole en agriculture biologique. Cet été-là, les épisodes de chaleur et de pluie, tous les deux persistants, se succèdent, et l’on voit bien que derrière ce projet de vie, c’est une vie de labeur qui est leur quotidien : la traite des vaches, le soin à apporter aux cultures pour Jérôme, les fromages et les marchés pour Marion. Soudain, Marion a un accident avec une machine agricole, et doit rester plusieurs semaines sans rien faire, alors que la moisson va monopoliser l’attention de Jérôme. Ils décident de faire appel à de l’aide extérieur, à un « woofeur » en l’occurrence (bénévole en agriculture biologique, en échange du gîte et du couvert) et Théo, un jeune homme enthousiaste, aux idées bien arrêtées, fait son apparition dans la ferme, apportant l’aide nécessaire mais troublant le fragile équilibre de la famille jusqu’à mener à la fin du livre à un dénouement des plus tragiques.

On perçoit en effet dès le début du roman les tensions entre Solène et son père, alors que la jeune fille, en classe de troisième, s’intéresse plus à ses amis, à son petit ami qu’à aider sur l’exploitation.

Le mercredi midi, c’est son père qui vient la chercher à l’école. Elle n’aime pas ça. Jérôme, lui, s’en fout de sentir l’animal, l’étable, la fosse à purin. Il tient à avoir l’air d’un paysan.

Solène aperçoit son père : elle presse le pas, tête baissée, les joues rouges et les yeux qui vont nulle part. Ce matin, Le Yams a dit qu’elle était la fille la plus bonasse du bahut. Elle l’a entendu. C’était après la physique-chimie, dans la cour du haut, là où se trouvait le terrain de basket avant. Même si ça le dégoûte, ça lui fait quand même quelque chose.

Les relations dans le couple se sont également quelque peu distendus, et rapidement Théo, reprenant ses théories très alternatives (comme l’homme capable de photosynthèse par exemple…) a tôt fait d’agaçer Jérôme. C’est d’ailleurs un des points forts de ce livre : l’auteur est originaire de la région, il sait ce qu’est une exploitation agricole et il montre bien l’opposition qui existe entre les différents agriculteurs et les types d’agriculture : celle dite « conventionnelle », la « bio » ou une vision encore plus en rupture comme celle de Théo. Je trouve néanmoins que cela virait parfois à la caricature, notamment sur le premier type, qui, à en croire l’auteur, ne pense qu’à déverser des pesticides dans la nature. En tout cas, il a le mérite de montrer la réalité du métier de Jérôme qui doit se battre et travailler dur pour gagner sa vie.

Outre l’aspect agricole, j’ai trouvé que le personnage de Solène était bien campé ; ses premiers émois, les relations avec sa famille et ses amis sont bien traités. Le mot « transformation » qui s’applique à la jeune femme peut d’ailleurs être extrapolé à l’ensemble du livre : le climat change, l’époque hésite à choisir entre ses modèles, la ruralité se modifie et devient moins homogène.

Pour terminer, j’ai bien aimé cette histoire pour les raisons évoquées ci-dessus ; c’est un livre qui se lit assez rapidement, les nombreux dialogues aidant. Je sortais d’une lecture un peu plus classique, et en comparaison, le style de ce livre me paraissait tout de même « peu travaillé ». Au final, je vous conseillerais :


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de lire autre chose

Le monde du vivant, de Florent Marchet. Stock, 2020, 285 pages.

Vous pouvez retrouver une belle chronique de ce livre sur le blogue d’Eve-Yeshé

18 réflexions sur “Florent Marchet – Le monde du vivant

  1. Goran 23 janvier 2021 / 13:14

    Le début me fait penser à un épisode de la petite maison dans la prairie… 🙂 Plus sérieusement, j’ai une question plus philosophique. L’agriculture bio d’aujourd’hui peut-elle réellement être rangée dans la catégorie conventionnelle ? Par exemple, le blé est une plante modifiée par nos très très lointain ancêtre, c’est en quelque sorte une plante OGM avant l’heure… Et puis Solène à parfaitement raison 🙂

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    • Patrice 26 janvier 2021 / 19:51

      Merci pour ton commentaire, Goran 🙂 En fait, comme beaucoup de plantes, le blé a profité d’une amélioration permanente : historiquement, on gardait les plus beaux grains/épi, plus récemment, on a sélectionné pour améliorer le rendement en grain de façon plus « organisée ». Le maïs est un exemple encore plus marquant : quand on compare la téosinte (son très lointain ancètre) et un épi de maïs actuel, cela n’a plus rien à voir. Je pense que c’est le travail des hommes qui a permis cela et finalement, c’est un acquis pour l’agriculture d’aujourd’hui, qu’elle soit « conventionnelle » ou « bio ». Si l’on veut revenir aux sources, c’est à une société de chasseurs – cueilleurs qu’il faut penser -, mais c’est absolument utopique !

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      • Goran 27 janvier 2021 / 08:04

        Merci c’est vraiment très intéressant.

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  2. Eve-Yeshé 23 janvier 2021 / 14:02

    J’ai trouvé les personnages vraiment caricaturaux donc je suis restée sur ma faim.
    le blé a été tellement « manipulé » au cours des siècles, que la teneur en gluten est bien supérieure d’où les intolérances actuelles hypersensibilité est un terme plus adéquat…
    Ce qui n’a rien à voir avec l’allergie alias « maladie cœliaque »
    j’en souffre donc je connais 🙂

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    • Patrice 26 janvier 2021 / 20:08

      Merci pour ton commentaire. Je me permets de revenir sur le blé et le gluten. Certes, le blé a été « amélioré » mais pas dans ce sens : une étude allemande a comparé l’évolution des teneurs en gluten sur des variétés de blé anciennes vs. modernes (120 ans d’évolution). Etonnament (ou pas justement), elle a montré que les teneurs en gluten des blés ont même baissé avec le temps : les variétés modernes ont moins de gluten que les anciennes, car l’amélioration génétique a favorisé plutôt le stockage d’amidon que de protéines dans le grain. Il est réel que l’hypersensibilité a augmenté, mais la véritable raison est peut-être à chercher dans la transformation excessive des aliments (parmi d’autres pistes), plutôt que dans le produit de départ.

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  3. keisha41 23 janvier 2021 / 17:11

    Cela pourrait m’intéresser (du rural pas trop noir, quoi, mais normal et réfléchi)

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    • Patrice 26 janvier 2021 / 20:08

      Ca se lit et très honnêtement, on sent que l’auteur connaît le milieu agricole et rural.

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  4. luocine 23 janvier 2021 / 17:25

    Tout en sachant que l’écologie c’est très important les écolos m’énervent souvent. Je sais que ce n’est pas politiquement correct.

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    • Patrice 26 janvier 2021 / 20:11

      Il est bon de ne pas être toujours politiquement correct, je te rejoins sur ce commentaire :-).

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  5. dominiqueivredelivres 24 janvier 2021 / 11:47

    Pas certaine de lire un roman un rien trop noir pour mon moral en ce moment mais ce que tu en dis le rend malgré tout intéressant, une problématique que l’on retrouve dans bien des familles de ruraux

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    • Patrice 26 janvier 2021 / 20:12

      Exactement, et l’un des mérites du livre est de ne pas idéaliser ce retour à la terre.

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    • Patrice 26 janvier 2021 / 20:13

      Il y a tellement de bons titres à livres !

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  6. lcathe 24 janvier 2021 / 16:46

    Hum très méfiante sur les discours vaseux autour de l’agriculture, le retour à la terre et autres fantaisies … Je passe

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    • Patrice 26 janvier 2021 / 20:21

      Il y a quand même de bonnes choses dans le livre mais je respecte ton opinion 🙂

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  7. laboucheaoreille 25 janvier 2021 / 18:34

    Je ne suis pas très friande des personnages caricaturaux ou des discours lénifiants sur l’écologie, et surtout si le style n’est pas terrible, donc je préfère passer mon tour…

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